Interview d'Alice Geslin, à propos de Ailé(e)s

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Ailé(e)s, parue aux éditions Les Humanoïdes Associés, en lisant l'interview de la scénariste de Carrie – la première des quatre histoires de l'album – Alice Geslin.
Comment êtes-vous devenue scénariste ?
Eh bien, je crois que j'ai eu la chance de tomber sur le meilleur professeur de scénario du monde ! Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours écrit, mais jamais de scénario à proprement parler. Petite, je découpais des images et je créais mes propres histoires de bande dessinée dans des carnets vierges. Cette passion ne m'a jamais quittée, mais je voyais plutôt le métier d'écrivain ou de scénariste comme un rêve lointain. Et un jour, j'ai entendu parler d'une série qui se lançait, totalement excitante : « Fées des Sixties » (son nom initial). J'ai été totalement challengée par l'univers. J'ai tenté un pitch et après quelques mois de travail, Carrie est née.
Vous signez le scénario de Carrie, la première bande dessinée de l'album collectif Ailé(e)s. Quel a été le point de départ de cette histoire ?
Le principe même de l'univers de Ailées est la volonté d'intégration, ses difficultés et ses conséquences. Dans nos quatre histoires, ce sont des fées. Toutes sont attirées par la rébellion de la jeunesse Londonienne. Elles tentent de s'intégrer avec la naïveté de croire que l'intégration sera facile, muées par un même désir d'affranchissement. C'est ce qui m'a plu. J'avais envie de parler de la dichotomie entre ce que je suis capable de faire et comment les autres perçoivent ce que je peux faire. Carrie, c'est cette héroïne ordinaire, douée mais préservée qui va devoir affronter ce qu'il y a de pire dans notre société : la différence. Non pas les différences qui l'entourent, mais sa différence intrinsèque. J'avais envie de montrer que ce ne sont pas deux ailes à paillettes dans le dos qui l'empêcheront de devenir ce qu'elle rêve d'être depuis toujours.
En page de garde, le lecteur peut lire que les bandes dessinées Ailith et Annan ont déjà été publiées sous les titres Fées des Sixties tome 1 et tome 2. Le concept d'Ailé(e)s est d'ailleurs développé par Gihef et Christian Lachenal, les auteurs de Annan. Pouvez-vous nous parler du concept d'Ailé(e)s, en dehors du fait qu'il regroupe des histoires de fées dans les années 60 ?
Gihef et Christian Lachenal ont proposé aux Humanoïdes Associés un univers où la fantasy croiserait notre monde réel. Ils ont imaginé que pendant le Swinging London (révolution culturelle, à Londres, dans les années 60), les fées seraient, elles aussi, en pleine rébellion et souhaiteraient se mêler à la jeunesse de l'époque. Bien évidemment, ça n'est pas sans conséquence de débarquer chez nous autres humains – on n'est déjà pas capable de se supporter entre nous – quand on porte une paire d'ailes dans le dos, qu'on vole, et qu'on utilise la magie comme on prend le métro ! Ils ont donc écrit une bible de l'univers et les Humanoïdes Associés ont lancé un appel à pitch à divers scénaristes.
Vous écrivez en dédicace : « À Bruno, sans qui je n'aurai jamais osé sortir de ma forêt pour écrire. » Êtes-vous une fée de Forest Fawr à la solde de Kelpie ? Et qui est Bruno ?
Alors oui, je compte sur votre discrétion, mais en effet, je suis une fée ! Je viens d'une forêt très verte, remplie de châtaigniers, d'hêtres et de chênes et dont les légendes n'ont rien à envier à Forest Fawr ! Bruno Lecigne est le premier éditeur qui m'a fait confiance et la première personne hors entourage à qui j'ai osé faire lire quelque chose. Non seulement il a bien voulu signer cette histoire, mais surtout, il m'a fait travailler comme personne. Il n'a pas compté ses heures pour me montrer le chemin de la rigueur et de l'exigence. Pour devenir scénariste, apprendre les différentes techniques, j'ai beaucoup travaillé. Mais il me faisait confiance. Et c'est un des plus beaux cadeaux qu'on ne m'ait jamais fait.
Comment avez-vous travaillé le scénario ? Faites-vous un synopsis, puis un plan, etc. ?
Oui, je travaille exclusivement par étape. Je peux me montrer assez digressive dans mes idées ou mes conversations ! Je suis donc ultra rigoureuse dans mon travail de scénariste, car depuis j'ai signé avec d'autres éditeurs et ça me rassure beaucoup de travailler par étape. Il y a d'abord la graine qui grandit dans ma tête quelques mois, sans écriture. Ensuite, un pitch puis toutes les étapes qui mènent au script : synopsis, traitement, séquencier, pré-découpage et découpage. Une pause entre chaque étape pour la retravailler entièrement. J'essaie d'être un maximum contente du résultat.
Comment avez-vous rencontré Loreto Aroca, le dessinateur, et comment avez-vous travaillé avec lui ?
Alors c'est une véritable blague notre rencontre et je vois que vous tombez dans le panneau aussi ! Vous allez vite comprendre pourquoi je dis ça… Nous cherchions un dessinateur ou une dessinatrice pour le projet et j'avais déjà remarqué à plusieurs reprises le travail de Loreto. Je rêvais de lui proposer, mais j'étais très intimidé. Quand j'ai osé en parler à Bruno, il m'a dit qu'il le connaissait, qu'il lui écrivait depuis longtemps et que c'était une vieille connaissance. J'ai donc pris rendez-vous (par Zoom) avec Loreto, précisant que je lui écrivais de la part de Bruno. On se connecte le jour du rendez-vous et je vois une jeune fille faire des branchements. J'attendais patiemment sans parler ! Car moi, j'attendais la vieille connaissance ! Mais elle s'est installée et s'est présentée : c'était Loreto ! Loreto, c'est la version espagnole de Laurette. C'est donc une jeune femme et pas une si « vieille » connaissance ! On a tous beaucoup ri ! En tout cas, j'ai été très impressionnée par son talent, sa rigueur aussi. Je n'avais jamais rien à dire, tout était déjà dans sa tête. Elle a donné vie à toutes mes propres images comme par magie. Et cette sensation incroyable et merveilleuse pour un scénariste. Je suis absolument bluffée par son travail et je suis sûre qu'elle a une grande carrière devant elle.
Combien de temps vous a demandé l'écriture du scénario et combien de temps a demandé l'album au total ?
C'est ma toute première histoire et, comme pour toutes les premières histoires, on a beaucoup (trop) à dire ! C'est donc celle qui m'a pris le plus de temps en ratio temps passé/pages finales. Pour ce qui est du temps, c'est compliqué, car je travaille la journée et j'ai une famille. J'écris donc certains soirs quand j'ai encore un peu de cerveau disponible ou le week-end. Pour l'écriture du synopsis, il m'arrive de travailler dans le métro. J'ai dû mettre pas tout à fait une année entre le premier pitch et le mot « FIN ».
Avez-vous une anecdote relative à cet album ?
Ceux qui me connaissent doivent se demander pourquoi j'ai écrit une histoire de fantasy, car c'est vraiment le genre que je lis le moins (je suis une inconditionnelle du fantastique et du polar) et surtout, pourquoi j'ai mis autant de chevaux, parce que j'en ai peur ! En même temps, depuis, je dois vous avouer que j'ai très envie de faire du cheval.
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
Je travaille actuellement sur plusieurs projets. Un projet de bande dessinée qui est en voie de signature chez un nouvel éditeur et d'autres projets « surprises » dont je parlerai quand ce sera plus concret. J'ai deux projets de bande dessinée en cours de dessin : un biopic avec Jean-Côme (dessinateur de Fileuses de soie) à la Boîte à Bulles et une fiction de romantasy avec Yuri Campo (que vous avez pu découvrir dans Métal Hurlant), chez les Humanoïdes Associés. Tous deux à paraître fin 2025, début 2026.
Le 21 octobre 2024