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Interview d'Andrea Meloni, à propos d'Atatürk

Couverture de la BD Atatürk

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Atatürk, parue aux éditions Glénat, en lisant l'interview de son dessinateur, Andrea Meloni.

Comment avez-vous été amené à travailler sur Atatürk ?

Je suis venu travailler sur Atatürk parce qu'il m'a été proposé par l'éditeur de la série, Cédric Illand. Nous avons déjà travaillé ensemble sur d'autres albums de la série “Ils ont fait l'Histoire” au cours des dernières années et ce dernier album s'inscrit dans la continuité.

Atatürk étant avant tout l'histoire d'un homme, même si elle est aussi celle d'un pays, comment avez-vous abordé la représentation d'Atatürk, des lieux et des éléments historiques ? Quel rôle François Georgeon a-t-il joué dans ces recherches préalables ?

Atatürk est un personnage relativement récent, donc pour l'aspect esthétique, je me suis basé sur de nombreuses photographies. En discutant avec Marie (la scénariste) et Cédric, j'ai découvert d'autres facettes du personnage que je ne connaissais pas, ce qui m'a été utile pour essayer de trouver les nuances dans les attitudes, les poses et les expressions. Ce n'est pas un travail facile car il n'y a pas beaucoup de moments pour faire ressortir ces particularités dans les 46 pages mouvementées, mais nous avons essayé. Nous nous sommes également appuyés sur la documentation photographique et muséale pour les lieux de tournage. Dans cette phase, François Georgeon a surtout collaboré avec le scénariste et le rédacteur en chef, ce qui m'a donné une bonne base de départ. J'ai ensuite intégré les parties manquantes pour la recherche visuelle.

Comment avez-vous travaillé avec Marie Bardioux-Vaïente ?

J'adore travailler avec Marie, c'est le deuxième album que nous faisons ensemble et j'en suis très satisfait. Les scénarios sont complets, pleins de photos et de documentation. Elle essaie ensuite de vous raconter la véritable signification des scènes, et pas seulement une description des événements. Elles sont déjà divisées en vignettes avec tous les dialogues et les plans principaux. Lors de la phase du storyboard, nous comparons et discutons de la manière d'améliorer certaines séquences, peut-être en ajoutant, en supprimant ou en fusionnant des vignettes, afin d'améliorer la narration.

Comment avez-vous abordé votre storyboard, afin d'intégrer l'Histoire dans l'histoire ? Je pense notamment aux suggestions, par forcément évidentes pour le lecteur, comme page 37, deuxième case de la ligne du bas. Est-ce un viol ?

Oui, la scène représente un viol. Dans une première version, certaines séquences de guerre et de violence étaient très fortes et explicites, mais nous avons finalement décidé de les rendre plus subtiles, et c'est l'une d'entre elles. Le dessin animé précédent avec les soldats prêts à être décapités en fait également partie, de même que certaines séquences de combat. Dans ce numéro, les premières pages du storyboard étaient très fidèles au scénario, mais ensuite, en discutant avec Marie et Cédric, nous avons changé et ajusté ici et là. C'est un processus naturel de classement et d'affinage et, pour moi en tout cas, c'est la partie la plus difficile du travail. Il me faut toujours un certain temps pour trouver le bon équilibre entre la représentation littérale du scénario et la nécessité d'intervenir et d'apporter ma propre touche visuelle. Parfois, la page écrite fonctionne bien, mais lorsqu'elle est représentée par le dessin, on se rend compte qu'il manque quelque chose ou que les scènes ne fonctionnent pas visuellement, et il faut ajuster là où c'est nécessaire. C'est normal, car l'écriture et le dessin sont deux langages différents.

Comment réagit-on en tant qu'homme, en dessinant un tel album, quand Atatürk incite son peuple à rendre coup pour coup, avec tout ce que cela sous-entend, à l'adversaire. Avez-vous choisi d'édulcorer le dessin ou le choix de la scène, ou au contraire avez-vous fait fi de vos réactions pour coller à la réalité ?

Dans cette séquence, comme dans tout le reste de l'album (et dans les autres albums que j'ai réalisés), je donne toujours la priorité à la fidélité historique. C'est l'une des caractéristiques de la série, et c'est donc toujours mon point de départ. Ce que je pense ou ce que je pense n'a pas beaucoup d'incidence sur la série. Aussi parce que je trouve inutile de juger les événements passés avec la sensibilité et la mentalité d'aujourd'hui. L'histoire est l'histoire, qu'on le veuille ou non, mais les événements se sont déjà produits, et chaque action ou événement a eu des motifs, des causes et des conséquences que l'on oublie parfois de prendre en considération. De temps en temps, lorsque je travaille sur ces albums, je me demande « mais à sa place, à son époque, qu'est-ce que j'aurais fait ? ». C'est un jeu amusant :D

Comment travaillez-vous et combien de temps vous a demandé cet album ?

Cet album a été entièrement réalisé en numérique, aussi bien les dessins que les couleurs, dans Photoshop. Il m'a fallu environ six mois pour terminer l'album. J'ai commencé à travailler dessus de la fin janvier 2023 jusqu'au mois d'août, avec quelques pauses entre les deux.

Avez-vous une anecdote relative à la création de cet album?

Au début du travail, j'ai cherché de nombreuses photos pour représenter au mieux Atatürk. Différentes vues, profils, expressions, afin d'avoir l'image la plus complète possible. Pour moi, avant même de commencer l'album, c'était le nom le plus important pour identifier le personnage. Mais lorsque j'ai tapé Ataturk dans la recherche, les résultats étaient là mais pas très satisfaisants… Il me semblait étrange de trouver toujours les mêmes images avec les mêmes expressions et poses, mais je pensais qu'il s'agissait d'un problème de sources. Ayant déjà travaillé sur un bon nombre de pages, une fois, par erreur, au lieu d'Ataturk, j'ai utilisé l'autre nom, Mustafa Kemal. Et j'ai trouvé beaucoup plus qu'avant, beaucoup d'angles ou d'expressions que je n'avais pas vus auparavant et qui m'auraient été très utiles (et m'auraient fait travailler moins). Je n'y avais pas pensé avant, et pourtant c'était si simple :D

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Je suis non seulement illustrateur, mais aussi coloriste et directeur artistique d'Arancia Studio, ce qui fait que les tâches sont toujours nombreuses et variées. Il y a toujours différents projets à vérifier et à superviser, sur tous les marchés. Au cours de la dernière période et des prochains mois, les projets qui prendront le plus de temps sont une série que je colorie et qui sortira aux États-Unis, ainsi que la supervision et l'édition de deux autres albums pour Glénat, dont je ne veux pas anticiper grand-chose, mais qui contiennent de très beaux dessins. J'ai également d'autres choses sur mon calendrier, mais ce sont celles qui sont les plus proches.

Le 17 novembre 2023