Interview d'Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg, à propos de Copenhague

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Copenhague, parue aux éditions Dargaud, en lisant l'interview de ses auteurs, Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg.
Anne-Caroline Pandolfo, comment êtes-vous devenue scénariste ?
J'ai travaillé dans le dessin animé comme réalisatrice et j'ai eu à superviser et corriger un grand nombre de scénarios. Je me suis mise au scénario sur le terrain en quelque sorte. Plus tard, j'ai utilisé ce que j'avais appris en travaillant sur des projets de BD avec Terkel et j'y ai vraiment pris goût. J'ai fait des études de lettres modernes et des études d'art aux Arts Déco de Strasbourg. Le rapport texte-image est assez naturel pour moi, je crois que j'ai une écriture qui fonctionne en image.
Terkel Risbjerg, comment êtes-vous devenu dessinateur ?
Mon père était dessinateur et j'ai toujours eu un œil sur ce qu'il faisait. Quand j'ai découvert des bandes dessinées pour adulte, ça m'a complètement épaté. Je voulais être dessinateur. Une semaine, je voulais être Moebius, la suivante Tardi, ensuite Corben. Après mes études de cinéma à la fac de Copenhague, je me suis installé à Paris pour faire du dessin animé et ensuite de la BD. C'est à Paris que j'ai découvert le travail de Sfar, Blain, Prudhomme, Guibert, etc.
Copenhague est votre dixième album en commun. Le lecteur est tellement habitué à voir vos deux noms côte-à-côte que certains croient que Pandolfo Risbjerg est un prénom et un nom. D'autres couples travaillent ensemble, comme Camille Moog et Augustin Lebon, mais, s'ils travaillent parfois ensemble, ils travaillent également pour d'autres auteurs ou en solo. Comment vous êtes-vous rencontrés et pourquoi ce choix de travailler quasi exclusivement ensemble ?
Anne-Caroline Pandolfo : Nous nous sommes rencontrés à Paris sur une production de dessin animé. Nous avons travaillé ensemble plusieurs années et ensuite, nous avons naturellement eu envie de faire des projets ensemble, tous les deux, et non plus avec de grosses équipes comme c'est le cas dans un studio d'animation. On travaille bien ensemble, j'aime le dessin de Terkel, il aime lire mes histoires, on a une bonne alchimie depuis le début, on se passionne ensemble pour des projets à long terme, on en parle énormément, c'est très stimulant pour chacun de nous. Notre vie familiale et professionnelle, nos goûts, nos envies, nos projets se sont entremêlés intimement. J'écris, on construit ensemble, Terkel dessine. Je connais très bien son dessin et il comprend parfaitement mes intentions. C'est très chouette de partager un projet parce que c'est une passion pour nous deux et on ne sort pas facilement d'une passion.
Terkel Risbjerg : Pour ma part, c'est simple. J'ai une confiance totale dans le travail d'Anne-Caroline et aussi dans son regard sur mon travail. Je crois que nous sommes très complémentaires. De plus, nous nous connaissons très bien, nous n'avons pas peur de dire ce que l'un pense du travail de l'autre. C'est une équipe qui marche.
Quel a été le point de départ de Copenhague ?
Anne-Caroline Pandolfo : Une ville que nous connaissons très bien puisque Terkel y est né. Nous y allons au moins une fois par an et nous adorons y passer du temps. Nous avons fait référence au Danemark plusieurs fois dans nos BD, mais là, nous avions envie d'en faire un personnage principal. Le Covid, le confinement, l'inquiétude de cet enfermement ont déclenché l'idée de travailler la perte de la possibilité de s'échapper par l'imaginaire, puisque c'est ce que tout le monde faisait à l'époque, en apprenant à chanter, en écrivant des livres, etc. La mort d'une sirène.
Est-ce que le fait de travailler ensemble en proximité physique au long cours change la manière de travailler ? Y a-t-il eu un travail à quatre mains ou livrez-vous un scénario détaillé à la case de Terkel Risbjerg, comme vous le feriez à n'importe quel autre dessinateur ?
Anne-Caroline Pandolfo : Je travaille d'abord sur mon scénario, je développe une idée, je fais des recherches, je lis beaucoup, finalement, j'écris. Tous les matins, nous marchons une heure ou deux, Terkel et moi, et nous parlons du projet, ce qui a forcément des répercussions sur ma partie. Ensuite, nous faisons ensemble la recherche de personnages, puis nous construisons toute la BD en brouillon (story-board) ensemble également, pour traduire le texte en image et régler le rythme. C'est notre outil de travail. Quand on est satisfait du résultat — ce qui peut prendre beaucoup de temps ! — Terkel finalise le dessin en réalisant les planches originales, un peu plus grandes que le format imprimé, avec de l'encre de Chine. Le dessin, au moment du story-board, influence le scénario, en effet. Les personnages, une fois trouvés physiquement, deviennent vivants et nous suggèrent des scènes. Certaines parties du texte disparaissent quand on peut les illustrer complètement par le dessin. Notre vie commune influe forcément sur nos choix de projets, et je pense que le rapport texte-image est particulier du fait que nous soyons toujours très proches l'un de l'autre et que le projet soit toujours autant le mien que celui de Terkel.
Vous remerciez en fin d'album le conseil des arts du Danemark pour son soutien depuis votre début. Les albums sont-ils édités au Danemark ? En quoi consiste le soutien de ce conseil ?
Anne-Caroline Pandolfo : Oui, la plupart de nos albums sont traduits en danois et en d'autres langues européennes. Le soutien du Conseil des arts ressemble beaucoup à l'aide que peuvent obtenir des auteurs français de la part du CNL. Cela permet aux autrices/auteurs d'avoir un peu de temps de réflexion entre deux projets, le temps de faire de la recherche pour l'album suivant, par exemple.
Terkel Risbjerg, comment travaillez-vous le dessin et la couleur ?
Les planches originales de Copenhague sont à l'encre de Chine, noir et lavis (gris) sur du papier aquarelle. Une partie d'elles sont exposées à la galerie Barbier à Paris à partir du 19 mars 2024. Avec Anne-Caroline, nous discutons ensemble des intentions narratives et des codes couleurs pour l'album. Ensuite, je fais la mise en couleur sur Photoshop et des fois, Anne-Caroline revient encore dessus pour clarifier certaines choses. La couleur numérique permet de contrôler et éventuellement de corriger plus facilement.
Combien de temps vous a demandé l'album au total ?
Anne-Caroline Pandolfo : C'est différent d'un album à l'autre. Au temps de nos premiers albums, nous avions un rythme assez haletant, un an entre chaque album d'environ 200 pages. Ce dernier, Copenhague, a mis plus de temps. Il est plus long que les précédents et a nécessité beaucoup de travail de recherche et de construction de cette narration bien complexe. Nous avons mis entre deux et trois ans à le faire, mais nous avons pris du temps pour faire autre chose pendant la fabrication. Le prochain album mettra moins de temps… j'espère !
Pour qui n'a pas lu vos dix albums, y a-t-il un thème de prédilection, une structure particulière que l'on retrouverait dans chaque album, ou toute autre une récurrence ?
Anne-Caroline Pandolfo : Il y en a plusieurs, ce n'est pas conscient évidemment, je m'en rends compte avec le temps. L'enfermement en est un et la manière de s'en échapper est un de mes thèmes récurrents. Par l'imaginaire, l'art, l'amour et l'amitié aussi. L'enfance et l'adolescence, comme des périodes sur-stimulantes et définitivement marquantes pour toute la vie. Je crois qu'il y a une idée comme quoi, pour vivre et supporter la vie, on ne doit jamais vraiment devenir un adulte. ;-) Être adulte, c'est être chiant.
Avez-vous une anecdote relative à cet album ?
Terkel Risbjerg : Une scène dans Copenhague tourne autour de la statue de la petite sirène, hommage à Hans Christian Andersen, dans le port de Copenhague. Nous avions d’abord dessiné la sculpture comme elle est, mais les avocats des héritiers du sculpteur ont demandé une somme d’argent considérable en droit d’usage. La sculpture est dans l’espace public et il s’agit des dessins, pas de photos. Nous avons décidé de contourner ce problème en changeant la pose et la coupe de cheveux de la sirène et d'en faire une blague. Les héritiers n’ont pas pu nous faire un procès, mais ils ont envoyé une lettre disant qu'ils trouvaient très dommage que nous n'ayons pas représenté la sculpture comme elle est vraiment. Ont-ils surtout trouvé dommage que nous n’ayons pas payé ?
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
Anne-Caroline Pandolfo : On travaille sur un nouveau projet de BD ensemble et avec Dargaud. Je n'en dirai pas plus pour ne pas me mettre de pression, parce que la pression, pour moi, est complètement anti-constructive !
Le 21 mars 2024