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Interview d'Arno Monin, à propos de L'Adoption : Le Sourire du plombier

Couverture de la BD L'Adoption : Le Sourire du plombier

Découvrez les coulisses de la bande dessinée L'Adoption : Le Sourire du plombier, parue aux éditions Grand Angle, en lisant l'interview de son dessinateur, Arno Monin.

Comment êtes-vous devenu dessinateur ?

J'ai commencé comme tous les enfants, et ça a duré. La notion de livre était déjà quelque chose qui devait me parler petit, car il paraît que je demandais à ma grand-mère de coudre une reliure sur les mini-BD de quelques pages que je pouvais dessiner à l'époque. C'est resté en dilettante, à l'envie, jusqu'à l'après-bac. J'ai tenté les arts appliqués pour voir si le dessin me parlait de là à y passer mes journées et la mise à niveau m'a beaucoup stimulé. J'ai quitté rapidement le cursus pour préparer des dossiers chez moi, rencontrer les éditeurs au Quai des bulles pour avoir des retours pros. Ça a fini par payer. J'ai appris à faire de la bande dessinée sur le tas, au final, en « cuisinant ».

Comment avez-vous rencontré Zidrou, le scénariste de la série L'Adoption, et comment avez-vous travaillé avec lui ?

J'ai découvert Zidrou, véritablement, par Lydie. Le duo Jordi Lafebre Zidrou m'avait beaucoup plu. Je travaillais déjà depuis quelques années avec Grand Angle, Zidrou aussi. Il avait été évoqué qu'il puisse me faire suivre un des projets qui remplissent ses précieux tiroirs. J'étais évidemment très partant pour lire. Il me semble que ça ne s'est pas fait de but en blanc, c'est le jeu des plannings. Au final, il m'a fait suivre le scénario du one shot Merci qui nous a permis d'entamer notre collaboration. Un one shot ça passe vite, aussi très naturellement, nous avons cherché à nous entendre sur un nouveau projet. Dans la liste des options se trouvait l'histoire de Qinaya, tome 1 de L'Adoption. Déjà en l'état, ce projet ressortait. Quand je me décide pour un projet, j'ai souvent le cerveau qui se met au travail avant que j'aie pris ma décision. Il se met à chercher comment faire le livre durant la vaisselle, les trajets, le sommeil. C'est très pratique.

Dans les remerciements, vous dites : « Je souhaite remercier Floe et Manu pour leurs regards aiguisés sur l'illu de couv. » Pouvez-vous nous expliquer cette phrase qui en dit trop peu, mais déjà trop…

C'est vrai que ces petits espaces de dédicaces restent opaques globalement au public. Comme c'est une question professionnelle, je peux vous répondre. En l'occurrence, quand je commence à tenir mon image de couverture, j'aime bien la soumettre à deux ou trois amis qui peuvent m'aider à « serrer les boulons » pour aller au bout de l'image. À un moment, on n'est plus capable de voir l'image, le cerveau la connaît par cœur. Il en va aussi d'un besoin d'être rassuré, je pense. Donc il s'agit de Florence Guittard et Emmanuel Ristord qui font tous deux du super boulot en jeunesse. Ils ont un super sens de la couleur. Concrètement, de mémoire, ça peut être la densité de certaines couleurs, l'angle d'incidence de certaines ombres. Je me souviens de la maison en arrière-plan qui était davantage dans la lumière et donc bien blanche. En la passant dans l'ombre bleutée, c'est comme si l'image franchissait un petit cap, ça tourne mieux. Plus de cohérence générale. C'est assez ludique de chercher.

Le Sourire du plombier est votre cinquième album ensemble sur cette série. Les tomes 1 et 2 faisaient le premier cycle, les 3 et 4 le deuxième cycle, et ce cinquième tome est un one-shot. Faut-il le voir comme un tome final, ou simplement comme un changement de rythme ?

C'est un changement de rythme, tout à fait. Une proposition du scénariste. Zidrou avait plusieurs histoires d'adoption en tête, il est très conscient de ce qu'il a pu proposer jusque-là sur le sujet, et se soucie toujours du lecteur, en brisant le moule, comme il dit. Rien ne s'installe durablement sur une ligne. Il module. Le Sourire du plombier était le projet le plus adapté pour succéder à Wajdi, en terme de tonalité, et ce projet fonctionnait bien en one shot en terme de propos.

Page 7, vous insérez des dessins « d'enfant » dans la BD. Est-ce que vous avez, comme c'est souvent le cas, sollicité un enfant dans votre entourage pour le faire ou vous êtes-vous amusé à dessiner comme le ferait un enfant ?

Je suis heureux que vous vous posiez la question, si le doute est permis : je ne me suis pas trop mal débrouillé. Mes premiers dessins d'enfant étaient trop « réguliers ». Ma collègue d'atelier, Mélanie Allag, m'avait fait remarquer combien à cet âge rien n'est dessiné deux fois de la même façon. C'est très accidenté.

Comment avez-vous travaillé le dessin et la couleur ?

Pour la cuisine, L'Adoption étant devenu une série, je tiens une certaine cohérence graphique. Depuis le début, l'idée est d'avoir un travail en ligne claire, mais au crayon, pas trop propre de préférence, quelque chose qui vit. L'idée est que la ligne laisse la part belle aux couleurs numériques. Elles aussi, entre aplat et travail jeté de touches, pour la vibration. C'est un travail assez classique techniquement. J'aime bien faire monter mes couleurs, petit à petit, rouvrir souvent les pages pour modifier une teinte, un arrière-plan. Cette façon de procéder permet de tâtonner et, par définition, n'est pas du tout optimale ! Avantages : je peux bouger des choses assez tardivement sur le planning sur l'ensemble des pages. Inconvénients : parfois, c'est dur de savoir où on en est. Je n'ai pas toujours fait comme ça. Je teste des méthodes différentes.

Combien de temps vous a demandé le dessin de l'album ?

Cette question est indissociable de la précédente. L'aspect technique vient se frotter aux contraintes de finances et de temps, il faut faire des choix. Ça implique très concrètement le temps que l'on peut allouer à chaque étape (recherches, documentation), le nombre de fois qu'on peut se permettre de reprendre complètement une planche… Il est important de pouvoir présenter un tome dans l'année grosso modo (pour la bonne vie du livre, la patience des lecteurs, tout ça), je suis en pratique plutôt sur 13/­14 mois. Comme nous sommes sur une série thématique dans laquelle les personnages ne sont pas récurrents, je dois replacer régulièrement une phase de création de personnages et de leur univers. La recherche et la prise en mains de ces personnages pour une période assez courte, 2 tomes, voire ici un one shot, est un vrai défi pour moi. C'est aussi intéressant de repartir à zéro si souvent. Mais on quitte parfois vite des personnages qu'on aurait bien fait se bonifier graphiquement avec le temps.

Avez-vous une anecdote relative à cet album ?

Certainement ! Je vais vous parler encore un peu de processus créatif. Sur cet album, de façon choisie, j'ai souhaité dessiner en utilisant, plus que précédemment, des souvenirs, des émotions, en associant des amis, des lieux aux différents personnages aux différentes scènes. Parfois au premier degré, le Pouldu étant à proprement parler une région de cœur pour moi. Conscient ou pas, je suis bien certain que je tends à dessiner comme ça. C'est mon rapport au dessin. Ça me fait penser à un commentaire de Raymond Depardon, je crois, face à une photo qu'il avait prise (je dis peut-être des bêtises, mais il me semble, j'essaierai de retrouver ça). Il prenait en photo des hommes dans les pays de l'Est. En cadrant cette photo, il était conscient que cette scène résonnait, lui évoquait des personnages de son enfance. Quand je dessine Edu avec ses filles, c'est un mélange d'un ami de lycée au type ibérique, de mes émotions de père et de mes émotions d'enfant, de mes intentions d'auteur. Quand on décortique tout ça, on est heureux que l'inconscient prenne en charge le tressage de toutes ces trames et de ne plus avoir qu'à sentir et dessiner !

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Eh bien, figurez-vous que Zidrou m'a mis entre les mains un nouveau one shot, qui viendra rejoindre notre palette de famille adoptante. Cette fois-ci, une comédie. Pour la suite, c'est à définir. Je lis des projets, j'échange. À suivre !

Le 14 septembre 2024