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Interview d'Augustin Lebon, à propos de Western Love : La Teigne et le gentil

Couverture de la BD Western Love : La Teigne et le gentil

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Western Love : La Teigne et le gentil, parue aux éditions Soleil, en lisant l'interview de son auteur, Augustin Lebon.

Quel a été le point de départ de l'idée de Western Love ?

Avant tout, l'envie de refaire un western. Je suis un vrai fan du genre, et ma première série, Le Révérend, scénarisée par Lylian, s'est arrêtée après seulement deux tomes. Depuis, malgré tous les autres projets que j'ai en tête, l'envie de retrouver les plaines de l'Ouest me démangeait ! La question était, maintenant que le genre est revenu à la mode, comment faire un western un peu différent ? La majorité des westerns publiés sont des histoires sombres, crachant avec beaucoup de sérieux sur l'humanité. J'ai eu envie de m'en écarter. Je voulais quelque chose de lumineux, divertissant, et avec l'humour et l'ironie que j'aime tant dans les vieux westerns spaghettis. L'idée de raconter l'histoire d'un couple est venue rapidement, mais l'axe “romantique” était moins présent. Je tournais autour du sujet, sans vraiment trouver mon histoire. Puis, un jour, tandis que je travaillais sur ma série Résilience, j'ai eu envie de dessiner une planche de western pour le plaisir, sans réfléchir. C'était un brouillon de ce qui deviendrait la page 1 de l'album. J'ai alors décidé de faire confiance à cette planche “instinctive” et de centrer l'histoire sur la rencontre des deux personnages.

Combien de tomes sont prévus  ?

Trois tomes sont prévus, mais l'idée est de lancer une série à l'ancienne, avec une histoire par tome. Si le public est au rendez-vous, il pourrait donc y avoir un second cycle.

Comment avez-vous pensé la série Western Love : un one-shot amoureux sur fond de western, avec de nouveaux protagonistes à chaque album, donc 3 duos, ou sera-ce le même duo que l'on va suivre avec une évolution de leurs péripéties ?

Pour ces trois premiers tomes, on suivra les aventures de Gentil et Molly. Le premier tome traite de leur rencontre, la séduction et les premiers émois amoureux. Le second traitera des débuts du couple, ils sont très jeunes, et affronteront une situation délicate qui mettra leur toute nouvelle relation à l'épreuve. Quant au troisième tome, je préfère ne pas en dire trop pour l'instant !

Comment avez-vous décidé du chara design de Molly et Gentil ?

Le graphisme de “Molly la teigne” est venu très vite, avant même de trouver l'histoire de Western Love. Sa chevelure a toutefois pris de plus en plus d'ampleur au fil des versions ! : ) Le graphisme de Gentil a demandé plus de recherche. Il était initialement plus vieux. Molly également, mais dans une moindre mesure. Mon éditeur chez Soleil, Jean Wacquet, m'a suggéré de les rajeunir et le visage de mon héros est apparu à ce moment-là. Pour le reste du costume, j'ai essayé de choisir un personnage dynamique avec des détails qui lui donnent de la vie : les habits déchirés, la montre autour du cou, les taches de sueurs et de nourriture, etc. Une fois les planches commencées, j'ai beaucoup travaillé sur les visages et les attitudes, pour qu'ils soient aussi beaux l'un que l'autre. Tenter de rendre un personnage attachant et séduisant pour les lecteurs et lectrices est un gros boulot. Dans cet exercice, je trouve la collaboration entre Vincent Mallié et Régis Loisel très inspirante  !

Comment avez-vous travaillé le scénario de cet album ?

J'écris un scénario détaillé, case par case. Je suis quelqu'un qui doute beaucoup. Je réfléchis parfois trop, et cela m'aide de partitionner les décisions à prendre. Une fois le scénario validé, je peux ainsi me concentrer sur la mise en scène et le découpage. C'est là que les personnages prennent vie ! Je réalise le découpage en entier, et le fait relire à trois de mes collègues : Louise Joor, Hugo Poupelin et Mobidic. Ils m'aident à déceler les éventuels problèmes de lecture, ou les petites failles du scénario. Il m'arrive donc de modifier le scénario au découpage, parfois pour des détails, parfois pour 5 ou 6 pages. C'est assez variable d'un album à l'autre.

Page 16, Gentil dit à Teresa « Redis-moi pourquoi… », afin que Teresa explique devant le lecteur. Pourquoi avoir eu recours à cette pirouette scénaristique au lieu de l'intégrer de manière plus naturelle dans l'histoire ?

Quand on lit une BD, on ne se rend pas compte de la masse de travail que cela représente. En tant qu'auteur, il faut faire un nombre incalculable de choix. Chaque trait, chaque bulle… Faut-il mettre tel mot, ou celui-ci ? Faut-il mettre un nuage dans ce ciel ou le laisser vide ? Une tâche sur ce genou ? Un trou entre les dents de ce personnage ? Un cheval brun, blanc ou noir ? Etc. Contrairement au cinéma, ou même au théâtre, on est seul face à sa planche. Il faut tout créer, histoire, personnage, décors, costumes, lumières… Alors évidemment, pour ne pas s'épuiser, il faut établir des priorités dans son écriture et son dessin. Savoir quel passage est important et lequel l'est moins. La page 16 n'est pas un moment crucial de l'album, j'ai donc cédé à la facilité avec ce dialogue pour gagner du temps. Là ou sur d'autres, j'ai passé des heures à les travailler pour que l'humour et le ton soient justes.

Avez-vous glissé des clins d'œil à certains westerns, et si oui lesquels ?

Le plus gros clin d'œil est le nom de la ville où se déroule l'histoire, Tucumcari. Il s'agit d'une ville récurrente dans les westerns spaghetti, notamment dans Et pour quelques dollars de plus…. Mais en réalité, tous les décors de ce tome 1 font référence à ce cinéma. En 2019, avant de démarrer l'album, je me suis rendu en Andalousie, sur les anciens sites de tournages des westerns italiens. Il y a encore les décors des films de Leone, et bien sûr le désert de Tabernas… J'ai pris énormément de références photos et m'en suis inspiré pour l'album. C'était un vrai plaisir. Je ne voulais pas que l'album soit un énième catalogue de photos Google sur les États-Unis. J'aime l'ambiance que l'Andalousie donnait aux westerns spaghetti.

Vous utilisez un procédé scénaristique intéressant en amenant la poursuite entre le chasseur de prime et la fille qui chute sous son cheval. Est-ce un personnage que l'on est amené à revoir (si elle n'est pas morte…) ?

Non. On ne saura jamais si elle a survécu, ou si elle est morte de faim, bouffée par des charognards.

Comment avez-vous travaillé pour la partie graphique de cet album ?

Je travaille à l'ancienne. J'utilise de l'encre de chine, des pinceaux, des plumes, sur du papier au format A2. J'ai un dessin plutôt nerveux et salissant. J'aime les ratures, les rustines et les couches de gouaches lorsque je me reprends. Ça donne de la vie à mon dessin. C'est rare, mais il m'arrive aussi de poursuivre ces retouches sur ordinateur si je ne suis pas satisfait. Tous les moyens sont bons pour atteindre le résultat que je souhaite, mais l'essentiel est sur papier. Les couleurs sont faites sur Photoshop, car j'aime les aplats très francs. Mes deux influences principales sont les couleurs de Sophie Lafon, sur la série Durango, très proche des westerns spaghetti également, et celles de Cerise, sur Soda et Jérome Bloche. Beaucoup de coloriste vont vers de plus en plus de réalisme en BD, se calquant sur des ambiances de cinéma. C'est très bien, mais j'ai toujours préféré les couleurs franco-belges, et ce parti pris très “Bande Dessinée”, avec ces codes bien précis. Il y a un vrai langage BD, et je me suis régalé à l'utiliser sur Western Love.

Dans les remerciements vous dédié une mention à Mobidic pour son cours de perspective nasale. Cela signifie-t-il que vous avez eu des problèmes nasaux avec certains personnages de cet album ? Pouvez-vous nous en dire plus ?

Haha ! C'est évidemment une blague privée qu'elle comprendra. Comme je le disais plus tôt, j'ai beaucoup travaillé mes personnages. Et pour pousser l'exigence plus loin, j'ai demandé l'avis de la dessinatrice Louise Joor sur l'ensemble de l'album, et de Mobidic sur les premières planches. Cette dernière m'a fait un retour détaillé sur certaines choses qui, selon elle, pouvaient être améliorées. Certains nez notamment ! Dessiner ces machins vus d'en dessous est loin d'être simple, demandez à tous les dessinateurs et dessinatrices !

Combien de temps vous a demandé ce tome 1 de Western Love du synopsis à la dernière planche ?

Je ne sais pas exactement. J'ai commencé à travailler dessus quelque part en 2019, et validé la maquette finale du livre en 2023. Mais la période était particulière, j'ai eu un enfant, et il y a eu la pandémie. Je n'ai donc pas pu y travailler à 100 %. L'important pour moi était surtout d'y prendre un maximum de plaisir. Je voulais en profiter à fond et livrer le meilleur dessin possible !

Avez-vous une anecdote relative à cet album ?

Le repérage de certains décors en Andalousie a été parfois spécial. Le cinéma des westerns spaghetti a aujourd'hui disparu et les lieux dégagent une ambiance particulière. Le restaurant de Molly est inspiré d'un bâtiment d'une petite ville western à moitié à l'abandon… Nous y sommes arrivés à pied dans la caillasse avec mon épouse, nous étions absolument seuls dans les rues. Il y avait juste des chevaux, un chat, et probablement un “figurant” quelque part, mais que nous n'avons pas croisé. Cela faisait vraiment gros cliché de western, mais le vivre en vrai était amusant  ! L'église en ruine qui sert de repère aux hors-la-loi était aussi perdue au milieu de nulle part… On l'a rejointe par une piste de terre rouge dans un état lamentable, j'ai bien cru que la voiture de location nous lâcherait en route, mais non  ! Il n'y avait personne, juste un maigre panneau indiquant la liste des films tournés sur place. On s'est également fait virer d'une propriété par des chasseurs espagnols… Il a fallu mériter certaines photos  !

Où en est le tome 2 ?  Pouvez-vous nous en dire un peu ?

Pour être tout à fait exact, j'en suis à la page 39 en noir et blanc, et 12 pages sont mises en couleur pour l'instant. Je compte le terminer début 2024 et il sortira probablement à la fin de l'été. Ce deuxième tome se passe dans la neige. On retrouve Molly et Gentil qui vivent leurs premiers mois de couple, évoquent l'avenir ensemble et leurs rêves. Jusqu'au jour où ils découvrent le cadavre gelé d'une mère, qui tient dans ses bras un bébé bien vivant et hurlant à plein poumon.

Travaillez-vous sur d'autres projets en parallèle de Western Love ?

J'ai toujours une demi-douzaine de projets en tête, oui. Des scénarios pour d'autres, pour moi, et quelques histoires courtes pour le magazine Spirou… Je ne m'embête pas  ! Pendant la réalisation du tome 1 de Western Love, j'avais fait une pause de deux mois pour scénariser Le Grand migrateur, album dessiné par Louise Joor. C'était agréable de reposer ma main de dessinateur pendant quelque temps. J'aime bien varier les plaisirs  !

Le 29 septembre 2023