La Mouette hurlante Le webzine spécialisé dans les interviews d'auteurs de BD et de romans graphiques

Interview de Camille Moog, à propos d'Ayla : Le Clan de l'ours des cavernes

Couverture de la BD Ayla : Le Clan de l'ours des cavernes

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Ayla : Le Clan de l'ours des cavernes, parue aux éditions Jungle, en lisant l'interview de son autrice, Camille Moog.

Comment avez-vous été amené à faire l'adaptation du premier tome des Enfants de la terre de Jean M. Auel ?

J'ai adoré cette saga plus jeune, notamment ce premier tome qui m'a beaucoup marqué. C'est pourquoi, lorsque j'ai rencontré Estelle, l'éditrice du projet, pendant un festival il y a quelques années, je lui ai tout de suite parlé de la saga des Enfants de la terre de Jean M. Auel. L'idée lui a plu, et la machine s'est mise en marche.

Sur la couverture, une anotation induit en erreur, en effet, il est écrit « D'après la saga Les Enfants de la Terre de Jean M. Auel », or, comme l'indique le communiqué de presse, Ayla est l'adaptation en BD du premier tome de la saga, Le Clan de l'Ours des Cavernes, ce qui induit qu'il va y avoir cinq autres tomes et que ce n'est pas un one shot, ou que l'histoire restera en suspens. Avez-vous signé un contrat pour les cinq autres tomes de la série ?

C'est vrai que cela peut prêter à confusion, mais non, je n'ai signé un contrat que pour l'adaptation du premier tome.

Comment avez-vous travaillé votre scénario par rapport à ce tome, mais également par rapport à la série entière ? Vous êtes-vous fixé un nombre de pages équivalent pour chaque tome et un découpage tome par tome, si vous étiez amené à continuer l'adaptation de la série ?

Au début, j'avais signé pour un 96 pages, comme vous pouvez le voir, j'ai dû en ajouter un peu… Les différents tomes de la saga de Jean Auel font entre 500 pages pour les plus petits et 900 pages pour les plus gros. Ainsi, pour adapter le premier roman en une BD d'un seul tome, j'ai été vite confronté à une problématique : même en coupant certaines scènes, je devais densifier l'histoire et la narration devenait trop frénétique. J'ai donc pensé à cette astuce de découper en chapitres l'ensemble de l'album et ainsi permettre aux lecteurs et aux lectrices des respirations dans leur lecture. Sur ce premier tome, j'ai aussi profité de ces doubles pages de chapitres pour présenter quelques outils et aussi, un peu à la manière des cauchemars récurrents d'Ayla dans le roman, revenir sous forme de flashback sur l'attaque du lion des cavernes alors qu'elle n'avait que 4/5 ans. C'est un procédé que j'aimerais utiliser dans les prochains tomes en l'adaptant un peu. Et oui, si je devais réaliser la suite, j'aimerais adapter les différents tomes sans les couper en deux et avec la même pagination d'environ 130/140 pages.

Avez-vous opté pour une adaptation linéaire ou globale de ce premier tome ?

J'ai opté pour une adaptation plutôt globale. En plus de devoir me passer de certaines scènes, j'ai changé aussi légèrement la chronologie de certains événements pour que l'enchaînement des péripéties ne soit pas trop alambiqué.

Maria Todeschini apparaît en deuxième nom sur la couverture, ce qui est très rare pour une coloriste, en général l'éditeur ne mettant que le nom du scénariste et du dessinateur. Est-ce une demande de votre part, ou une décision de l'éditeur ? Comment avez-vous travaillé ensemble ?

Cela s'est décidé très naturellement, je crois que ça n'a même pas été un sujet de discussion avec Estelle, notre éditrice. Quand Marta nous a rejoint sur le projet pour s'occuper des couleurs de l'album, nous avons juste rajouté son nom sur la couverture. D'autant que nous avons toutes les deux adapté notre travail pour qu'il fonctionne de concert avec celui de l'autre. J'ai foncé mon trait et ajouté des ombres pour créer des contrastes avec lesquels Martha pourrait jouer et elle a ajusté sa palette de couleurs et ses outils pour mieux coller aux ambiances et à mon dessin. Marta a tout de suite été hyper emballée par le projet et le résultat est un vrai travail à 4 mains !

Quelle est la tranche d'âge cible des lecteurs de Jungle, car l'éditeur est un éditeur jeunesse, mais le contenu ne l'est pas vraiment… Puisque nous avons une scène de viol, à peine suggérée.

C'est un album plutôt ado/adulte. À destiner à des lecteurs à partir de 12/13 ans, car oui, plusieurs scènes de violences sont représentées (comme l'introduction avec la scène du tremblement de terre ou encore, de façon atténuée, la Grande Cérémonie dont on va parler à la question suivante). C'est pour s'adapter à un lectorat de cette tranche d'âge que j'ai pris le parti de représenter en off certaines scènes indispensables au récit de Jean Auel (la scène de viol et l'accouchement d'Ayla notamment).

Lors du massacre d'Ursus, vous montrez l'ours apprivoisé depuis sept ans laper sa gamelle, avant que ces derniers ne le massacre sauvagement sans lui laisser aucune chance de survivre. Certes, ce passage est dans le chapitre 23 du Clan de l'Ours des Cavernes, mais Jean M. Auel balaye la scène en quelques lignes et l'autrice écrit : « Pour la première fois depuis sa capture, il connaissait la faim. ».  Pourquoi avoir consacré autant de cases à ce massacre, qui plus est en introduisant cette notion de domestication depuis sept ans, qui fait que le propos est comparable au massacre d'un animal de compagnie de son chien âgé de sept ans ? Cela tend à donner de l'importance à un passage finalement anecdotique dans le livre, et à distiller une imagerie qui n'est pas du tout présente dans l'œuvre de Jean M. Auel.

Je ne sais pas trop comment répondre à cette question, pour moi, justement, cette scène est très marquante dans le roman. Déjà parce que le moment du grand rassemblement est assez intense, il se passe beaucoup de choses en peu de pages ; la présentation des autres clans et leur hostilité envers Ayla, le concours de force et d'adresse entre les hommes, la rencontre avec Oda, le rituel sacré et ce moment de la mise à mort de la figure terrestre d'Ursus qui est un peu l'axe autour duquel tous ces événements gravitent. Dans le roman de Jean Auel, le sacrifice de l'ours des cavernes (enfin, son accompagnement vers le monde des esprits) est présenté comme une, voire la cérémonie spirituelle la plus importante pour les Néandertaliens. Et ce moment, parce qu'il est particulièrement violent, permet à Ayla de se démarquer par son courage et de gagner l'estime des autres clans. D'où mon choix de mettre l'accent sur cette scène, car elle fait avancer le récit et marque une évolution du statut social d'Ayla au sein des clans. Jean Auel nous raconte par quelques phrases disséminées par ci par là les soins et les égards qu'a reçu cet ours depuis sa capture ourson et cela crée une dichotomie avec le destin que lui réservent les Néandertaliens. Cette dichotomie est aussi présente parce que nous lisons la scène avec notre regard contemporain et occidental. L'autrice nous parle d'une autre époque, très lointaine, et forcément imagine d'autres mœurs et une autre façon de concevoir la relation à l'animal. Prenant en compte sa valeur en tant d'être vivant, mais mue aussi par la nécessité de l'utiliser comme ressource pour survivre. Pour aller un peu plus loin, dans le roman, il y a deux scènes de chasse de gros animaux. La première est la chasse au bison pour bénir la nouvelle caverne et la deuxième la scène de chasse au mammouth pour honorer les esprits et constituer de précieuses réserves. Dans ces deux scènes, l'autrice présente avec beaucoup d'application les techniques de chasse utilisées par Néandertal, la façon dont les chasseurs s'adaptent à leur environnement, à la topographie du terrain ou au comportement et à la morphologie de leurs proies. Mais justement, elle ne cache pas la sentience de ces animaux et donc ne nous épargne pas l'extrême violence de ces moments : des épieux plantés dans les yeux ou dans la gorge des animaux, les tendons sectionnés pour empêcher leur fuite ou même la panique et la douleur dans leurs regards.

Comment avez-vous réalisé le dessin de cet album ?

Pour cet album, j'ai commencé par faire le storyboard sur carnets puis j'ai réalisé les crayonnés et les encrages sur iPad pro avec le logiciel Procreate.

Avez-vous une anecdote relative à ce tome ?

J'en ai même deux. La première étant que j'avais déjà réalisé une adaptation du Clan de l'Ours des Cavernes lors de mes études d'illustration il y a 10 ans. C'était une BD quasi-muette ou les Néandertaliens parlaient une sorte de langue des signes comme dans le roman de Jean Auel, et je n'adaptais que la première moitié de celui-ci. Je regarde désormais ce projet d'études avec beaucoup de tendresse.

Ayla
Le 28 avril 2015, Camille Moog postait ce dessin d'Ayla sur moog-moogie.blogspot.com

Et la deuxième anecdote, c'est que le jour de la signature de mon contrat d'édition, j'accouchais de mon deuxième enfant. J'ai commencé le découpage et le storyboard en sortant de la maternité et pendant presque 3∇mois, j'étais sur un petit nuage d'amour et d'euphorie, persuadé que ce que je faisais était génial. Quand je suis redescendue j'ai dû tout recommencer ! Ça ne fonctionnait pas du tout !

Combien de temps a demandé la réalisation du scénario et des dessins de Ayla ?

Cela m'a pris un peu plus de deux ans. Environ un an pour le découpage, le storyboard et les textes et un peu plus d'un an pour les crayonnées et l'encrage.

Pour quand est la signature du tome 2 d'Ayla, La Vallée des chevaux ?

J'adorais pouvoir vous répondre, mais je ne sais pas encore si on pourra faire la suite avec Marta. Si l'album trouve son public, et que notre éditeur nous donne le feu vert, on rempilera avec plaisir !

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Actuellement, je travaille sur un projet de BD jeunesse un peu plus personnel, mais je ne peux pas en dire trop. J'en montrerais un peu plus sur mon compte Instagram dans les mois à venir !

Le 23 décembre 2023