Interview de Christian De Metter, à propos d'Au revoir là-haut

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Au revoir là-haut, parue aux éditions Rue de Sèvres, en lisant l'interview de son dessinateur, Christian De Metter.
Le livre de Pierre Lemaître a été publié en 2013. La première édition de votre adaptation BD date de 2015, et l'album vient d'être réédité en 2023. Entre 2015 et 2023, l'adaptation du livre a été portée au cinéma avec des visages d'acteurs et des interprétations humaines pour chaque personnage. Avez-vous vu le film, et est-ce que cela a changé votre regard sur l'œuvre originale et sur votre adaptation ?
J'avais été invité à la première du film que j'ai donc bien vu. Je l'ai trouvé d'ailleurs esthétiquement très réussi. Et je pense que l'œuvre de Pierre a cette faculté d'offrir aux personnes qui l'adaptent sur d'autres supports, le cinéma ou la bande dessinée ici, d'avoir une lecture à la fois différente et personnelle tout en racontant la même histoire et les mêmes personnages. Au final, on a le livre avec sa force, le style et la voix de Pierre et une bande dessinée qui est une autre lecture, qui a j'espère, son charme, et le film qui est encore différent où y surgit l'univers de Dupontel.
La réédition 2023 a été réalisée dans le cadre des 10 ans de Rue de Sèvres, qui a choisi de rééditer quelques ouvrages emblématiques. Comment avez-vous accueilli cette réédition ?
C'est un choix dont l'éditeur est le seul décideur. J'ai appris que Au revoir là-haut avait été choisi et j'en ai été ravi. Après, quand vous choisissez 10 livres, forcément vous êtes obligé d'en mettre de côté certains qui auraient tout à fait mérité également d'être dans la liste. Mais c'est à l'éditeur qu'il faudrait demander pourquoi tel ou tel livre.
Comment avez-vous rencontré Pierre Lemaître et avez-vous été amené à faire l'adaptation de son roman ?
Encore une fois, c'est l'éditeur qui a été le moteur. En l'occurence Louis Delas. Il est allé demander à Pierre si une adaptation en bande dessinée l'intéresserait. Le fait est que Pierre cherchait justement à ce moment à contacter des éditeurs de bande dessinée. Ensuite, on m'a dit que j'étais sur la liste des auteurs potentiels à la fois pour Pierre et Rue de Sèvres. On s'est rencontré et cela a matché immédiatement entre nous. Même goût pour le noir, même envie d'efficacité dans les méthodes de travail. Bref, cela a été évident dès le départ.
Dans les remerciements, Pierre Lemaître vous remercie de l'avoir initié aux secrets de la BD. Est-ce Pierre Lemaître qui a fait le scénario avec votre aide, ou est-ce une vision plus globale de la BD que vous lui avez montrée ?
Je lui ai juste donné mes codes, mes petites règles et recettes, mais il a vite compris le truc. Par contre, ce qu'il a effectivement découvert, ce sont les contraintes dues au format de la bande dessinée. Le nombre de pages limité avec le système d'impression par cahiers, c'est-à-dire que si vous dépassez le nombre de pages prévu, ce sont des cahiers (8 ou 16 pages) supplémentaires et donc des coûts d'impression plus élevés, ce genre de choses. Et puis le langage de la bande dessinée qui autorise certaines choses. Parfois trois lignes du roman deviennent deux pages de dessins et à contrario un paragraphe de 40 lignes peut très bien se dire en une case.
Comment prenez-vous vos notes de lecture et comment procédez-vous pour créer votre scénario ?
Après Au revoir là haut j'ai adapté seul les autres romans de Pierre. Généralement, je fais une lecture plaisir pour m'imprégner de l'univers, des personnages, du rythme puis une lecture de travail où je vais d'abord résumer chaque chapitre puis commencer la sélection de ce que je garde et ce qui n'est pas indispensable à l'histoire. Parfois, deux ou trois scènes du roman peuvent se regrouper en une seule. Après quelques découpages textes qui servent à s'approcher d'une pagination adéquate (environ 160 pages), je passe au découpage dessiné. C'est dans cette phase là que j'oublie le livre et que cela devient ma bande dessinée et les décisions prises le sont uniquement dans l'intérêt de celle-ci.
Au revoir là-haut montre la guerre, l'immoralité, la cupidité, et aborde nombre de sujets sombres et pourtant vous en avez fait une BD lumineuse, avec un sentiment de justice et de fraternité qui reste après avoir refermé l'album. Comment avez-vous réussi ce tour de force ?
Je crois que ce sont les personnages de Pierre qui le permettent. Albert et Edouard sont formidables d'humanité et sans doute m'ont-ils donné l'envie d'éclaircir un peu ma palette. J'avoue avoir eu beaucoup d'affection pour ces deux-là. Et cela influence forcément ma façon de les mettre en lumière.
Vous utilisez pour votre pagination un gaufrier mobile avec de grandes cases. Est-ce lié au format sur lequel vous dessinez ? Car contrairement à la grande majorité des BD, aucune case ne montre de silhouette dessinée sur petit format, cela se voit nettement en prenant la loupe, et cela contribue à un sentiment de force dans votre dessin.
Généralement, je dessine un strip, une bande, sur un format A3. Mon dessin, ma mise en couleur nécessitent un peu d'espace. Je n'aime pas dessiner sur de petits formats, mon geste se retrouve contraint et bloqué et je préfère les grands gestes plus ou moins nerveux selon ce que je raconte. Après, il m'est arrivé de passer à la tablette pensant solutionner des problèmes réguliers de tendinites. Cela a plutôt provoqué d'autres tendinites, notamment sur l'autre bras. Sans doute à cause d'un mauvais positionnement ou d'un rythme de travail un peu trop intense.
Comment travaillez-vous vos dessins ?
Cela change un peu d'un projet à l'autre. J'ai utilisé le fusain et un crayon Conté, je crois sur La nuit des temps avec une mise en couleur sur tablette. Au revoir là haut est à la plume et crayon de papier pour le dessin puis une mise en couleur, au pinceau avec de l'acrylique ou du liant et des pigments, réalisée sur une autre feuille sur laquelle j'avais imprimé en très léger le dessin noir et blanc. Le tout étant réuni via l'ordinateur.Emma a été faite directement au pinceau avec soit de l'aquarelle, soit des encres, sans quasiment aucun crayonné. Dernièrement, j'ai travaillé au stylo plume. Je ne sais pas encore comment je ferai le prochain.
Dessiner et coloriser 157 planches, avec ce niveau de finition vous a demandé combien de temps ?
Je crois me souvenir que Au revoir là haut a été réalisé en neuf mois. Je ne compte pas la partie en amont, le découpage texte puis dessiné. Tout compris, cela doit faire un an. C'est globalement le temps que je mets à peu de choses près sur chaque album.
La Couverture de la BD l'album, et c'est chose rare, reprend une des images fortes et finales de l'album. Sans pour autant que le lecteur ne la relie à ce qui va se passer. Qui a fait le choix de cette couverture, et n'était-ce pas risqué de “dévoiler” ainsi la fin d'un des personnages ?
C'est une scène qui n'existe pas dans le roman, en tout cas pas ainsi. Je l'ai proposée à Pierre qui a très vite été convaincu par cette nouvelle interprétation. Après, cette couverture est un peu mystérieuse et se veut poétique. On y voit un homme bizarrement vêtu qui semble prendre son envol. Une image qui finalement ne véhicule pas nécessairement le drame, mais qui est plutôt comprise comme une allégorie. On ne s'attend donc pas à la revoir dans l'album. On l'oublie et on la redécouvre.
Avez-vous une anecdote relative à cette histoire ?
La première idée de Pierre était de faire un album entièrement muet. Bon… après discussion, on s'est mis d'accord sur une économie de dialogues, ce qui me convenait parfaitement.
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quelles seront vos prochaines publications ?
Après sa trilogie, Pierre a commencé une tétralogie. Deux premiers volumes sont déjà sortis. Le Grand Monde et Le Silence et la colère. On y suit le parcours de la famille Pelletier, les parents et leurs quatre enfants sur plusieurs décennies. On m'a demandé si je souhaitais les porter à l'image. Je suis donc actuellement sur le découpage du premier, Le Grand Monde, où je vais naviguer entre Beyrouth, Saïgon et Paris durant l'année 48. J'ai aussi beaucoup de projets personnels que je mets donc de côté quelque temps.
Le 9 novembre 2023