Interview de Clément Baloup, à propos d'Œdipe roi Massilia 1720

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Œdipe roi Massilia 1720, parue aux éditions La Boîtes à Bulles, en lisant l'interview de son scénariste, Clément Baloup.
Comment êtes-vous devenu scénariste ?
Dès le début de ma carrière, au milieu des années 2000, il était évident pour moi d'écrire mes histoires et de les dessiner, dans l'idéal d'être un auteur complet, mais très rapidement, je me suis retrouvé avec plus d'idées et de concepts à explorer que je n'avais le temps de les dessiner. Ayant fait mes études aux Beaux-Arts d'Angoulême, j'étais entouré d'amis talentueux dont certains étaient d'accord pour dessiner sur mes scénarios, d'abord sur des histoires courtes, puis sur des projets longs d'albums. J'ai dû me former à ce moment-là à écrire pour quelqu'un d'autre. J'y ai pris goût, car c'est toujours une aventure.
Quel a été le point de départ d'Œdipe roi Massilia 1720, et pourquoi avoir fait le choix de transposer Œdipe roi dans la cité phocéenne ?
J'ai eu un flash au moment des commémorations à Marseille des 300 ans de la peste de 1720 : le fait historique me rappelait le début de la pièce de Sophocle ! À Marseille, les responsables de l'épidémie sont les dirigeants de la ville qui usant de passe-droit font entrer le navire Le Grand Saint-Antoine, contaminé, pour tirer profit de la cargaison, or dans Oedipe-roi, le maître de la cité, Œdipe, est le responsable de la malédiction, sous forme d'épidémie, qui s'abat sur Thèbes. J'ai commencé à nourrir une obsession pour la ressemblance du drame antique avec l'épisode historique, cherchant des analogies, projetant des images mentales commençant par « et si Thèbes était en réalité Marseille ? »
Comment avez-vous travaillé le scénario d'Œdipe roi Massilia 1720 ? Car si vous avez respecté les actes, vous avez dû vous affranchir des scènes : les treize scènes de l'acte Ⅰ sont ainsi condensées en sept planches.
Une adaptation littéraire en BD, loin d'être une facilité, est une gageure. Une succession de questionnements, de choix et de coupes sont nécessaires pour passer d'un média à l'autre. La question principale étant d'être fidèle ou pas à l'œuvre originale, à son esprit. Cependant, dans la pièce originale, il y a énormément de chants qui contextualisent et développent l'ambiance. Pour la BD, qui est une œuvre très visuelle, je les ai remplacés par des images, des actions, on comprend ainsi en un coup d'œil ce qui était dit par de longs vers.
Œdipe roi Massilia 1720 est aussi un album particulier, puisqu'il a été initié avec le dessinateur Eddy Vaccaro, qui est décédé en cours d'album, raison du relais pris par Sae Youn Koh. À quel stade de l'album Eddy Vaccaro est-il décédé ? Comment s'est passée cette période charnière, au-delà de l'affectif, car vous étiez proche avec Eddy Vaccaro.
Dans le déroulé du travail, Sae Youn nous avait déjà rejoint en tant qu'assistant au dessin et l'album était quasiment fini quand Eddy nous a quittés. Eddy avait, avec moi et l'éditeur, validé le travail de Sae Youn qui lui plaisait. C'est donc assez naturellement que Sae Youn a repris le crayon ensuite pour les toutes dernières étapes, la couverture notamment. C'est évidemment un moment étrange et difficile pour moi, mais tout le monde a été très professionnel et nous avons mené le projet à son terme. En ce qui me concerne, cela représente beaucoup pour moi que ce livre soit le dernier témoignage du talent d'Eddy, offert aux lecteurs.
Comment avez-vous travaillé avec Eddy Vaccaro et avec Sae Youn Koh ? Êtes-vous plutôt un scénariste directif, donnant un scénario à la case, avec des dialogues établis, ou plutôt un scénariste laissant la part belle à la créativité du dessinateur dans sa découpe ?
Étant aussi dessinateur, j'ai parfois des idées très précises, donc je vais être “directif”, mais pas tout le temps, car j'aime discuter avec le dessinateur pour voir ce qui l'inspire dans le découpage et à ce moment-là le laisser me surprendre. Comme dans toute relation de travail, il y a des passages plus compliqués, je prends alors mon crayon pour faire un rough ou un storyboard afin de proposer une autre option. On fait quelques aller-retour et on trouve la bonne formule.
Combien de temps vous a demandé l'adaptation de la pièce de Sophocle, sa transposition et son écriture ?
Je dirais que ça a duré trois ans, avec des pauses évidemment, car j'étais appelé sur d'autres projets.
Combien de temps a demandé l'album au total ?
Environ quatre ans de l'idée première à l'impression du livre, mais là aussi, il y a des pauses pendant cette période.
Avez-vous une anecdote relative à cet album ?
Ce n'est pas une anecdote, c'est plutôt de réaliser après coup que ce projet revêt une valeur symbolique, car il est posthume pour Eddy, or l'histoire aborde les grands thèmes de la vie. Le livre se charge d'une émotion insoupçonnée au début du projet.
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
Nous travaillons justement avec Sae Youn à un nouveau projet de BD chez un autre éditeur et ça s'appellera Il ne nous restait que le vent. Sinon, chez Steinkis, nous venons avec Hugo Stephan de mettre la dernière touche à un album intitulé Captif des glaces.
Le 22 février 2024