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Interview de Coco, à propos de Pauvres Bêtes : Voyage au cœur de la condition animale

Couverture de la BD Pauvres Bêtes : Voyage au cœur de la condition animale

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Pauvres Bêtes : Voyage au cœur de la condition animale, parue aux éditions Les Échappés, en lisant l'interview de son auteur, Coco.

Vous êtes dessinatrice de presse à Charlie Hebdo et à Libération et dessinatrice sur le plateau de 28 Minutes sur Arte, comme Cabu le faisait lors du Club Dorothée. Vous êtes justement de la génération Club Dorothée, est-ce un hasard de vous trouver à Charlie Hebdo et à dessiner sur un plateau télé ? Comment êtes-vous devenue dessinatrice ?

J’étais étudiante à l’école européenne supérieure de l’image de Poitiers, on faisait de tout, de la photo, de la gravure, du numérique et du dessin, surtout… Je dessinais beaucoup et je travaillais sur les accumulations, la société, les faits divers, les rapports homme-femme. Je mettais beaucoup d’humour et de provocation dans mon travail, si bien qu’un prof d’école m’a conseillé d’envoyer ma demande de stage à Charlie. Ce que j’ai fait et j’y ai passé un mois comme stagiaire, en novembre 2007. C’était incroyable et, même si j’étais très timide, impressionnée d’être dans cette rédaction, ça m’a immédiatement beaucoup plu. Dessiner à 28 minutes s’est inscrit dans la suite de cela. Pigiste à Charlie depuis 2008 (après mon stage, on m’a invitée à revenir !) et plusieurs journaux (Vigousse, un hebdo satirique suisse, Les Inrocks, Psikopat…), Charb est venu vers moi un jour de septembre 2012 en me disant qu’il travaillait depuis peu dans une émission avec du dessin en direct et que je devrais essayer d’y aller. J’y suis allée, et là encore, même si c’était impressionnant, j’ai dessiné. C’était vraiment cool. Je suis devenue dessinatrice tout simplement en dessinant, en cherchant des idées drôles et engagées, en doutant aussi (beaucoup, encore aujourd’hui !). Mais j’ai eu la chance de côtoyer des gens comme Charb, Cabu (et beaucoup d’autres), qui m’ont accueillie et m’ont toujours encouragée.

Quelle est la genèse de Pauvres Bêtes ?

Riss m’a proposé de faire un livre de reportages et avait envie que je le fasse sur les animaux, car il sait que c’est un sujet qui me passionne : dans la rédaction à Charlie, tout le monde connaît mon faible pour les documentaires animaliers, ma fascination pour tout type d’espèces, et Charlie est un des premiers journaux à avoir une rubrique de protection animale, initiée par Cavanna, très sensible à ce sujet aussi. Ce projet tombait bien, car depuis que je suis en quotidien à Libération (tout en étant en hebdo à Charlie), je ne fais plus trop de reportages et ça me manquait un peu (j’avoue). J’ai rapidement cherché des sujets, pris des contacts avec des refuges, etc. Je me suis mise assez vite au travail, j’avais plein d’idées, et il pourrait y en avoir tellement encore !

Dans Pauvres Bêtes vous réalisez 130 planches sur un sujet vous tenant à cœur. Les reportages ne sont pas tendres envers les maltraitants, même si vous abordez le sujet avec beaucoup d'anecdotes et d'humour. Comment en tant qu'autrice avez-vous réussi à garder le contact avec vos émotions et vos convictions tout en vous préservant, car le sujet de la maltraitance animale est un combat qui ronge de l'intérieur beaucoup des défenseurs de la cause animale ?

Je crois que ce qui empêche les émotions de déborder, c’est d’abord le fait de traiter ces informations de manière journalistique. Et puis il y a une deuxième forme de « mise à distance des émotions », c’est le fait de pouvoir les transcender par l’humour, la dérision ou un traitement plus engagé, politique. Dénoncer la maltraitance animale, par exemple, en montrant le réel. Les émotions sont là, et on fait avec dans toutes circonstances. Pour ma part, elles sont l’impulsion de tout : on dessine plus fort quand les choses nous indignent, nous mettent en colère ou nous retournent le cœur. 

Vous parlez dans votre livre du Marineland d'Antibes et vous citez le propos visant à appâter le visiteur, le rendant complice de l'exploitation animalière, comme vous l'expliquez. Sur le site du Zoo de La Flèche, il est possible de lire la « mission » suivante : « Émerveiller et faire aimer les animaux sauvages pour impliquer les futures générations dans la protection de la faune et de la nature : telle est la vocation du Zoo de La Flèche. » Sur le site du zoo de Beauval, le message utilise le biais d'une association : « L'association Beauval Nature soutient plus de 70 programmes de conservation et de recherche à travers le monde. » Votre livre n'aborde pas les zoos. Marineland et zoos sont-ils dans le même panier, les missions avancées par les zoos sont-elles essentiellement des arguments de vente sans réelle action sur le terrain, ou y a-t-il un vrai engagement de ces structures ?

Le livre n’aborde pas les zoos, c’est vrai, mais c’est dans mes perspectives pour un deuxième volume, peut-être (note : j’avais une deadline relativement courte pour faire ce livre). omme je vous le disais plus haut, la condition animale ne manque pas de sujets à aborder/­approfondir. Le cas de Marineland est vraiment lamentable : les structures rouillées et en mauvais état du parc, des bassins qui se vantent d’être grands alors qu’ils sont ridicules pour des cétacés de cette taille, l’exploitation des bêtes, la rentabilité financière qui prime sur le bien-être animal…L’idéal serait qu’il n’y ait plus d’animaux en captivité et que les animaux puissent vivre dans l’habitat qui est le leur sans que l’humain ne le détruise ou ne braconne… Mais c’est utopique de l’espérer dans le monde capitaliste actuel. Si des espèces sont en captivité, il est important de veiller à ce qu’elles le soient dans de bonnes conditions (des associations de protection animale sont très actives sur ce sujet). Certaines réserves (Cerza en Normandie) disposent de grands espaces. Certaines espèces semblent mieux s’adapter à la captivité que d’autres…Nous avons ces discussions avec Luce Lapin (Charlie). Effectivement, c’est un débat : personnellement, je me rends de temps en temps à la Menagerie du jardin des plantes, ou à d’autres zoos parfois (j’ai fait celui de Berlin, d’Amsterdam, en Slovénie aussi…). Ces animaux sont là, nés en captivité ; ils ne pourraient pas vivre à l’état naturel et il faut encourager les zoos/­réserves qui travaillent à la préservation d’espèces (la biodiversité est considérablement menacée par les activités humaines), contribuent à des échanges (éviter la consanguinité), sauvent des espèces interceptées en douanes. Le trafic d’animaux est devenu le troisième trafic au monde après le trafic d’armes et de drogues…

Parallèlement aux « missions » des zoos, Le Refuge de l'Arche, situé en Mayenne, recueille et soigne près d’un millier d’animaux saisis par les autorités ou abandonnés. Ils sont issus de cirques, laboratoires, parcs zoologiques, de particuliers ou du trafic illégal. Récemment, son centre de soins a été obligé de fermer faute de budget. Dans le même temps, les zoos obtiennent des subventions de plus en plus importantes en « entassant » les grands fauves qui sont ceux qui rapportent le plus de subventions (1200 € pour les fauves et assimilés (loups, hyènes, etc.), 120 € par autre animal, à l’exception des invertébrés). Pensez-vous que les instances publiques sont complices de la maltraitance animale en France ?

L’ami Antonio à Charlie Hebdo a fait un reportage sur le refuge de l’arche et appelait aux dons pour ce lieu essentiel à la survie de nombreux animaux. La survie d’un animal ne devrait pas dépendre de ce qu’il est en capacité de rapporter, c’est une honte. Il faut aider les retraites animales comme le Refuge de l’arche ou les sanctuaires, car ces structures n’ont rien d’autre que les dons pour s’assurer une pérennité. Et il faut les aider en priorité. 

Vous avez fait le choix de vous affranchir du traditionnel gaufrier. Si cela permet de sortir de la lecture linéaire, cela la complique également. Est-ce un choix pour permettre d'insérer les exemples sans avoir à les développer ou est-ce parce que cela correspond mieux à votre manière de travailler et de vous exprimer via le dessin ?

C’est un choix que j’assume, et pleinement. Le gaufrier est parfois assez monotone. Ici, il s’agit d’un livre de reportages. Ce sont des dessins faits sur place pour beaucoup (assez vifs), de toutes formes. On a des doubles pages, parfois il y a des grandes cases (des encadrés), des petits détails… Rien n’est omis par précision de l’information, et sans oublier des anecdotes ou touches d’humour. Les dessins se succèdent dans des compositions telles qu’on en fait à Charlie dans ce qu’on appelle des « colonnes ». Cabu n’utilisait pas toujours de cases pour raconter ses reportages.

Comment avez-vous travaillé le dessin et la couleur pour Pauvres Bêtes ?

Tous les dessins sont faits sur papier, au stylo ou encre de Chine, sur des carnets Canson et des feuilles. Ils sont mis en couleur soit au crayon de couleur, soit à l’aquarelle (parfois mêlée à de l’encre de couleur, type Colorex, plus vive). Je dessine toujours sur papier, je n’aime que travailler comme ça (pas sur tablette), j’ai un attachement particulier au processus de travail effectué pour créer un dessin original : le trait de crayon, la gomme, l’encre sur la feuille, le pinceau ou la plume, les repentirs, les collages, les blancs pour corriger… J’ai eu la chance d’apprendre cela à Charlie, Tignous avec ses gammes de couleur à l’aquarelle, Luz et ses encres, Cabu le pastel sec parfois et la plume, bien sûr, Charb le feutre…

Combien de temps vous a demandé le dessin de l'album ?

Il y a eu différents temps dans le travail de ce livre : les recherches et prises de contacts, les déplacements et reportages sur place, la mise en couleur des dessins, le tri et l’écriture des textes, le « montage » et la mise en plage des pages, la couverture, les « cabochons », les remerciements…J’ai travaillé d’avril à fin octobre environ. Pour faire les dessins, j’ai un trait assez rapide en reportage, je crois.

Avez-vous une anecdote relative à cet album ?

J’ai mis des anecdotes marrantes dans le livre. Celle de ce petit sanglochon, Mickey, vraiment mignon que je vois en arrivant au refuge Groin Groin. Je vais pour le caresser et il me mord le doigt, ce morfale ! Je ne l’ai pas vu venir ! Sinon, mon officier de sécurité a bien failli prendre un petit chaton !

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

🤫

Carte blanche

Ce livre est avant tout un livre de reportages sur le vivant, la manière dont on le traite. S’il y a des maltraitances, il y a aussi des gens qui se donnent corps et âme pour aider les bêtes. Et nous sommes nombreux (nombreuses) à les aimer, ces bestioles, et à vouloir les préserver ! C’est un livre qui appelle à plus de bien-être animal, un appel humaniste contre la connerie et la barbarie (l’essence même de mon travail de presse, je dirais !) :)

Le 27 novembre 2024