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Interview de Cyril Elophe, à propos de Tsar Bomba : Les Paradoxes d'Andreï Sakharov

Couverture de la BD Tsar Bomba : Les Paradoxes d'Andreï Sakharov

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Tsar Bomba : Les Paradoxes d'Andreï Sakharov, parue aux éditions Glénat, en lisant l'interview de son dessinateur, Cyril Elophe.

Comment êtes-vous devenu dessinateur ?

De manière assez classique, enfant je lisais beaucoup de bande dessinée, principalement des traductions de comics des éditions Lug/­Semic. Je dessinais énormément aussi et j'ai vite rêvé d'en faire mon métier. J'ai donc suivi des études secondaires orientées artistiques puis un cursus en bande dessinée à l'ESA Saint-Luc de Bruxelles, ville où je me suis installé. Après, en tant que métier, c'est très précaire et ça m'a pris du temps de trouver un semblant d'équilibre au niveau professionnel. J'ai enchaîné, pendant des années, des emplois complémentaires dans des secteurs très différents (en intérim, à l'usine, en magasin, ...) ainsi que des travaux de commande en illustration, avant de pouvoir me consacrer principalement à des projets de bande dessinée choisis.

Comment avez-vous rencontré Fabien Grolleau, le scénariste, et comment avez-vous travaillé avec lui ?

J'ai rencontré Fabien en 2012 lors d'un festival de bande dessinée qu'il organisait à Nantes avec sa structure d'édition, Vide Cocagne. Nous gravitions dans le même environnement de l'édition alternative et le collectif Tête à tête, que nous avions fondé avec trois amis, était invité à participer. Par la suite, Vide Cocagne a édité un album sur lequel j'étais dessinateur (Zwarthoek, sorti en 2020), et Fabien m'a contacté, peu de temps après, pour me proposer le scénario de Tsar Bomba. J'ai tout de suite accepté : le sujet était passionnant et, graphiquement, le contexte scientifique et la période historique, en URSS, me parlaient.

Avez-vous reçu un scénario strict ou laissant la place à l'improvisation, notamment au niveau de la mise en page ?

Fabien scénarise en découpant planche par planche, c'est donc lui qui a choisi la pagination avec pas mal d'indications graphiques. Pour autant, ça reste une proposition ouverte et nous avons fonctionné en dialogue permanent sur la création du livre. J'ai redécoupé de nombreuses pages pour m'approprier l'univers du récit et apporter des éléments qui me semblaient importants ; d'autres collent tout à fait à ce que Fabien imaginait au départ. Au final, j'estime que le livre est vraiment une œuvre de co-auteur, nourrie de nos regards mutuels et de nos échanges. Je pense d'ailleurs que c'est le cas des autres ouvrages que Fabien scénarise, quand on voit leur diversité d'approche. C'est un de ses grands mérites de scénariste : tout en gardant sa « patte » narrative, il laisse les dessinateurs intégrer complètement le processus créatif.

Comment avez-vous travaillé le dessin et la couleur ?

Sur papier, je réalise le découpage des planches au marqueur, puis des crayonnés un peu plus poussés que je scanne et qui me servent de base pour dessiner les planches de manière numérique. Je travaille sur une tablette Cintiq et, principalement, avec Illustrator, un logiciel de dessin vectoriel.

Le dessin des personnages n'est pas sans rappeler la ligne claire. Est-ce un choix pour cet album ou votre style ?

Que ce soit en illustration ou en bande dessinée, la plupart de mes créations sont dans un style « ligne claire ». C'est en partie lié à mes influences, mais aussi, et peut-être plus encore, à ma méthode de travail : le dessin vectoriel induit cette esthétique, qui correspond tout à fait à ma sensibilité plastique. Bien sûr, mon style s'adapte en fonction de chaque projet et des besoins de la narration. Même si l'aspect ligne claire reste présent, il y a de grandes différences stylistiques entre Tsar Bomba et mon précédent album.

Plusieurs parties de l'album se déroulent sur pages noires. Qu'est-ce que cela implique au niveau de la conception du dessin ? Car, par exemple, on ne voit plus les traits de contour des personnages.

Pour le découpage, ça ne change pas énormément, si ce n'est que la lisibilité doit tenir compte, notamment, de l'absence de gouttières (ou intercases) marquées. Au moment de la réalisation, c'est en jouant avec les masses, plus qu'avec le trait, que les planches et les cases trouvent leur équilibre.

Combien de temps vous a demandé le dessin de l'album ?

Ce n'est pas si évident à évaluer, ahah. J'ai reçu les premières pages du scénario en mai 2022 et l'album a été finalisé en mai 2025. La période de travail sur le projet s'est donc étalée sur trois ans, mais ça n'a pas toujours été continu, car Fabien, comme moi, menons de nombreux autres projets et activités en parallèle. Je dirais qu'au final, le temps consacré au livre doit représenter un an et demi à temps plein.

Quel est votre ressenti sur cet album maintenant qu'il est terminé ?

C'est toujours un peu étrange et mitigé comme sentiment pour moi de finir un projet. C'est très gratifiant d'arriver au moment où un travail aussi long se concrétise enfin en livre (et j'adore les livres), mais, d'un autre côté, dans un premier temps, je vois surtout ce que j'aurais voulu faire mieux en tant que dessinateur (plein de choses). Je trouve que Glénat et nos éditeurs (Cédric Illand et Aurélien Ducoudray) ont fait un superbe travail sur la maquette et la qualité de l'objet. Une fois que le livre est distribué, il appartient totalement aux lectrices et lecteurs, et ce sont elles et eux qui décideront si elles et ils trouvent que ça en valait la peine. Pour l'instant, j'ai eu des retours très positifs des premières personnes qui l'ont lu, et ça, c'est vraiment le plus important.

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Je travaille sur un volume de l'Histoire dessinée de France, en collaboration avec Julie Le Gac qui est historienne. C'est une collection d'albums, éditée par la Revue dessinée et la Découverte, qui propose à des binômes, d'auteur ou d'autrice de bande dessinée avec un ou une spécialiste d'histoire, de poser un regard sur une période de l'histoire française. C'est un projet passionnant.

Le 19 mai 2025