Interview de Daniel Horia, à propos de Je suis né Roumain

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Je suis né Roumain, parue aux éditions Paquet, en lisant l'interview de son auteur, Daniel Horia.
Dans votre préface, vous dites : « La faculté d'architecture n'a rien été de plus qu'un obstacle entre le dessin et moi », pourquoi celà ?
Je me suis rendu compte que je n’aimai pas ça, que ce n'était pas pour moi. Tout le temps que j'aurais pu passer à dessiner, je devrais le perdre à faire des plans d'architecture ou apprendre pour de l'architecture. Alors que moi, j'aurais préféré dessiner.
Toujours dans votre préface, vous dites avoir retrouvé le bonheur de dessiner en tant qu’artiste pour les jeux sur mobile, en France et en Espagne. En quoi cela consiste-t-il ?
Je suis infographiste pour les boîtes de jeux vidéo depuis 2006, quand j'ai commencé à travailler dans ce domaine, je n'ai pas arrêté jusqu'à aujourd'hui. Donc, je fais du concept art. Je fais un peu de tout, des décors, des personnages. Je suis un généraliste.
Je suis né Roumain est votre autobiographie, sous forme de BD. Pourquoi avoir eu envie de faire une autobiographie aussi jeune ? Et pourquoi sous cette forme ?
Je suis pas si jeune que ça. J'ai 42 ans. La raison, c'est que j'avais quitté la Roumanie depuis quelques années quand j'ai eu l'idée de faire cette BD. Mon pays et mon quartier où j'avais grandi, j'avais vécu,ma famille et mes amis, ont commencé à me manquer. Et puis, en 2014, j'ai perdu mes deux grand-mères que j'avais beaucoup aimées. Je pense que c'est ça qui a tout déclenché, parce qu'elles me manquaient tellement. La BD c'est une façon pour moi de les sentir plus près, plus proches de moi. Les souvenirs d'enfance sont mélangés avec l'amour pour ma famille, pour mes grands-parents, et comme ça, la BD est née. Pourquoi une BD ? Parce que j'ai toujours aimé cette façon de m'exprimer depuis que je suis petit.
Dans la bande dessinée, on retrouve sous diverses couleurs la Renault 12, c’était une voiture populaire en Roumanie dans les années 80 ?
Non, ce sont Dacia. Renault avait ouvert des entreprises, des usines en Roumanie pour fabriquer une marque roumaine. Donc peut être oui, peut être, ça ressemble à quelque chose français. En fait, dans les années 80, 90 % de toutes les voitures en Roumanie étaient des Dacia.
Votre livre marque par sa fraîcheur. Comment arrive-t-on en tant qu’adulte à retrouver son propre regard d’enfant ?
Je ne sais pas exactement comment l’expliquer, mais je pense que de base, je suis très enfantin encore. Sûrement, ça aide. Mais j'ai eu des moments où j'ai commencé à écrire plus comme un adulte. Alors je donnais à lire à quelqu'un d'autre. J'ai des amis à qui j'envoie ça et qui m'aident. Ils m'ont dit Là, un enfant ne dirait pas comme ça.
Après votre appendicite et avant le verdict de la péritonite, vous faite une parenthèse d’une vingtaine de pages, sans cases, parfois en dégradé de gris, sur l’enfance de votre mère. Comment avez-vous conçu et abordé cette partie ?
J’ai beaucoup parlé avec ma mère. C'est elle qui m'a raconté son enfance et sa jeunesse. Je pense qu'il y a presque tout. Tout est vrai. Dans toute la BD, tout est vrai, mais dans ce que je raconte sur moi et sur mes souvenirs, même si c'est vrai, je change souvent la façon dont je raconte pour que ça soit un peu plus intéressant ou et je change l'ordre des événements. Même si je garde la vérité. Mais à propos de la partie sur ma mère, j'ai vraiment gardé l'ordre des événements. J'ai vraiment gardé le plus possible la vérité. Donc c'est plutôt comme un documentaire. C'est moins comme un roman. Je voulais que ça soit complètement différent graphiquement de mes souvenirs à moi. C'est pour ça que j'ai choisi que ça soit plus comme si c'était plus ou moins des aquarelles.
Dans le dialogue final avec le professeur Pirota, vous utilisez un procédé original pour montrer la colère de votre mère, des bulles de couleur rouge, avec écriture en blanc. D’où vous est venue cette idée surprenante mais très claire pour le lecteur ?
Je ne sais pas. Je voulais juste exprimer la colère. Je me suis dit, que le rouge exprimait super bien la colère. Je croyais que c’était quelque chose qu'on utilise souvent.
Quelle technique utilisez-vous ? En voyant de nombreuses cases, on a une impression de profondeur, peut-être lié au graphisme assez simple des personnages et au décor qui est détaillé. Vous utilisez des calques ?
Oui, j'utilise des calques. Toute la BD est faite sur iPad, donc sur une tablette Apple. Elle est faite en Procreate, c'est une application de dessin sur iPad, qui ressemble vraiment à Photoshop. Ainsi, je peux modifier vite tout ce que je veux. Les personnages sont faits sur un calque et le décor, bien sûr, sur d'autres calques derrière.
Le livre commence et se termine par un soleil. On ressort de la lecture de Je suis né Roumain, avec ce soleil, mais aussi une impression de douceur et d’amour. Ceci grâce, notamment, aux traits des personnages dont vous partagez les recherches de style en fin d’album. Comment, finalement, avez-vous opté pour tel ou tel graphisme ?
Je voulais quelque chose d'assez simple pour les personnages. En fait, une de mes premières BD que j'ai lues, une BD française, c'est Tintin. Je pense que j'ai toujours été influencé par ça, par les personnages qui ont des traits hyper simples, mais qui sont assez expressifs. Comme vous avez vu, je me suis dessiné avec deux points au lieu des yeux. Je me suis dit que c’était plus expressif, parce que comme ça, le lecteur, projette plus ses sentiments et tout ça dans le personnage que si je faisais des yeux hyper détaillés.
L’histoire se termine en 1986. Trente-sept ans après, comment la partie de votre famille qui était présente dans l’album a-t-elle réagi lors de la parution ? L’album a-t-il été publié en Roumanie ?
Le livre n’a pas été traduit. En fait, la première édition a été en Roumanie, il y a deux ans. C'est là que je l'ai publié. La deuxième édition, est celle française. De toute ma famille qui apparait dans la BD, il y a juste ma mère, mon père et ma tante qui sont encore en vie. Et de ces trois là, je sais que ma tante et ma mère l’ont lu. Ma mère a adoré. Elle est ma fan numéro un. Ma tante, elle, a été un peu, je pense, choquée quand elle a lu ces parties sur elle. Puis, elle s'est habituée. Elle a dit qu'elle adorait aussi. Et mon père, je ne sais rien sur lui parce que je n'ai pas parlé avec lui dans plus de 20 ans.
Pourquoi avoir choisi cette partie de votre vie pour votre autobiographie ? Y aura-t-il une suite, et si oui, est-elle déjà en cours ?
Oui, il y a une suite. En fait, je travaille déjà sur la suite. Le plan, c'est de faire trois volumes. Ça serait seulement sur l'enfance, donc jusqu'à l'âge de 12, 13 ans, peut être quelque chose comme ça. Le deuxième tome, c'est à partir de cinq ans jusqu'à sept ans, peut être. C'est une courte durée, mais il y a beaucoup de choses qui se passent.
Quand sortira le tome 2 ?
Aucune idée parce que, comme je vous disais, moi, je travaille en tant qu' infographiste pour des jeux vidéo, donc la BD, je la fais dans mon temps libre, donc je me dépêche pas du tout et je me donne pas de limite de temps. Mais j'ai déjà fait plus de 150 pages.
Sur combien d’années s’est étalée la création de Je suis né Roumain ?
C'était plus ou moins trois ans. Quand j'ai commencé à travailler avec l'édition roumaine, j'ai dû faire des petites modifications, sur quelques images. Et puis, j'ai dû le traduire, parce qu' à la base, je l'ai écrit en anglais, donc j'ai dû le traduire en romain. C'était long.
Étant scénariste et dessinateur, avez-vous utilisé un storyboard et un scénario détaillé ?
Non, pas du tout. C'était très chaotique. En fait, pour moi, ce n'est pas chaotique, mais pour quelqu'un d'autre, cela le serait sans doute. Je planifie tout dans ma tête et je ne fais aucun storyboard. Absolument rien. Je dessine et au fur et à mesure, si je vois quelque chose que je n'aime pas, je change. Je change au fur et à mesure que je mets mes pensées sur le papier. Je bosse une page, je finis la page complètement et je passe à la prochaine. Je travaille comme ça, page par page. Je ne sais pas comment on fait parce que je pense vraiment que je ne travaille pas comme on travaille dans ce métier.
Du fait que vous travaillez page par page, imprimez-vous la page après qu’elle ne soit terminée, pour faire des navettes visuelles entre votre tablette et ce qui a déjà été fait ?
J'ai toute la BD sur ma tablette. Il y a des fois je retourne en arrière, bien sûr, pour me souvenir de comment j'ai fait une certaine scène. Mais pour la plupart, je ne regarde pas, et je n'imprime rien sur papier.
Avez-vous une anecdote concernant Je suis né Roumain ?
C'était hyper difficile de trouver le nom de l'album. Le nom de l'album est différent de l'édition romaine, parce qu'en Roumain, le titre est Mon âge d'or. C'est un jeu de mots. L'âge d'or en roumain, c'était le nom que Ceaușescu, le dictateur, avait donné aux années 80 en Roumanie. Il avait appelé cette époque où tout était noir, déprimant, affreux pour tout le monde à part lui, l'âge d'or. J'ai appelé ma BD Mon âge d'or pour faire référence à cette époque. La deuxième chose, c'était aussi de faire référence à mon enfance qui était, pour moi, à mes yeux, un vrai âge d'or. C'était le contraste entre le vrai âge d'or affreux roumain lié au communisme et mon âge d'or qui était merveilleux. Mais ça ne pouvait pas marcher en France, bien sûr, parce que personne ne sait ce qu’est l’âge d'or en Roumanie. On a fait énormément d'essais de titres jusqu'à trouver ce titre-là.
Le 24 mai 2023