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Interview de Desideriu, à propos de Petru Santu : Pastore Forever

Couverture de la BD Petru Santu : Pastore Forever

Découvrez les coulisses de la série BD Petru Santu : Pastore Forever, parue aux éditions Corsica Comix, en lisant l'interview de son scénariste, Desideriu.

Comment êtes-vous venu à écrire des scénarios de BD ?

Je dessine des BD depuis le début des années 80 au collège. J’ai même publié en 1991 dans le journal U Ribombu une planche hebdomadaire d’un personnage qui s’appelait Petru Lisandru u ribellu. J’ai cependant plus de compétences pour les scénarios que pour une technique de dessin vraiment aboutie.

Quel a été le point de départ de la série Petru Santu ?

En 2005, quand mon grand-père est décédé, avec Federzoni, nous avons discuté ensemble de cette ancienne génération de Corses qui était partie et qui auraient eu encore tant de choses à nous apprendre. C’est à ce moment-là que l’idée de faire revivre nos anciens à travers un personnage de BD s’est concrétisée autour du personnage de Petru Santu.

Quand vous avez scénarisé Petru Santu, Ça se corse, le tome 1, en 2011, pensiez-vous que Petru Santu allait devenir l'emblème de la bande dessinée corse ?

En fait, le tome 1 de 2011 est la réunion des deux premiers tomes historiques parus en 2005 et 2007. Rétrospectivement, en 2005, nous voulions surtout nous faire plaisir et faire plaisir à notre entourage avec une bonne dose d’humour insulaire. Jamais je n’aurais imaginé à ce moment-là que Petru Santu deviendrait une BD Corse emblématique et qui rayonnerait aussi sur le continent européen.

AvecPetru Santu, vous exportez la langue corse, car vous n'hésitez pas à écrire des phrases complètes dans cette langue, qu'on se plait à dire à haute voix. Pourquoi était-ce important d'intégrer la langue Corse ?

Nos anciens parlaient naturellement notre langue, ma mère me chantait des berceuses corses pour me faire dormir. Petru Santu est de cette génération qui prenait des coups de règles et de bâton pour leur interdire de parler corse à l’école. Ses échanges avec ses amis se font donc naturellement dans sa langue maternelle, moins avec les jeunes générations dont une grande proportion est acculturée sur ce plan linguistique. Nous avons pour projet de produire un best-off intégralement en langue corse.

Quel est le statut de la langue corse ?

La langue corse est une langue minoritaire reconnue par la charte des langues minoritaires, qui n’est certes pas ratifiée par la France.

Petru Santu, au-delà de la bande dessinée, aborde un point sociétal essentiel aujourd'hui, celui de la différence entre La Corse et la Keurse. Pouvez-vous revenir pour les lecteurs sur cette différence, beaucoup moins anodine qu'il n'y parait ?

La Corse renvoie à l’imaginaire collectif d’un peuple multiséculaire qui a ses propres représentations, un rapport à la terre spécifique, des codes sociétaux, une culture et une histoire longtemps ancrées dans l’oralité. La Keurse est le produit toxique de plusieurs facteurs ; une acculturation insulaire de masse, les fantasmes et escroqueries entretenus pour les touristes, les clichés du parisianisme mondain et aussi le mépris pour celles et ceux qui viennent en terre conquise.

Le premier album était réalisé avec Frédéric Federzoni au dessin, un duo que l'on retrouve durant les neufs albums de la série. Pouvez-vous revenir sur votre rencontre avec Frédéric Federzoni ?

J’ai rencontré Federzoni à l’Université de Corse en 1992, à l’époque où il était connu pour ses illustrations diverses. Nous sommes devenus amis. Ayant des compétences en PAO, j’ai contribué à l’équiper et à le former pour maitriser les outils et la palette numérique. Depuis ses compétences ont très largement dépassé les miennes.

Petru Santu a régulièrement changé de coloriste, parfois mentionné en couverture, parfois absent. On retrouve Nino sur le tome 1, Pradelle sur le tome 2, Ghjuva sur les tomes 3 à 7, et le duo Frédéric Federzoni/­Sebgeko pour les tomes 8 et 9. Pourquoi ces changements et comment se sont faites les rencontres ?

J’avoue que je n’ai jamais discuté des choix des coloristes avec Federzoni. C’est un domaine dans lequel je n’ai pas assez de recul technique pour exprimer un avis pertinent.

On observe un glissement dans la série, qui est passée du schéma d'un gag par planche à une histoire complète dans Pastore Forever. Pourquoi ce changement ? Vous avez eu envie de développer une histoire plus scénarisée pour dénoncer de manière plus profonde la problématique majeure rencontrée en Corse ?

C’est un défi que nous avions envie de relever ensemble. Quand on suit plusieurs jours durant les personnages par rapport aux problématiques qu’ils rencontrent, on s’imprègne beaucoup mieux des perceptions et des enjeux insulaires. Ici, c’était l’occasion de dénoncer les difficultés rencontrées par les derniers bergers à l’ancienne face à la prédation foncière et à la marchandisation à outrance.

Avez-vous une anecdote relative à Pastore Forever ?

Oui. Toute ressemblance d’un maire de village avec le dessinateur ne serait sans doute pas due à une coïncidence. Ça nous a fait bien marrer.

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets, et y aura-t-il un dixième tome de Petru Santu ?

Nous travaillons sur le dixième album pour les 20 ans de Petru Santu en 2025. Encore une histoire d’un seul tenant dans laquelle Petru Santu et ses amis seront confrontés à de nouveaux défis. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il y aura un peu moins de fromage et plus de technologie.

Le 25 mai 2024