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Interview d'Emma Tissier, à propos de Vers l'infini et les monts auvergnats

Couverture de la BD Vers l'infini et les monts auvergnats

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Vers l'infini et les monts auvergnats, parue aux éditions Dargaud, en lisant l'interview de sa dessinatrice, Emma Tissier.

Comment avez-vous rencontré la scénariste Lucile Gorse pour créer et préparer cet album ?

On s'est rencontrés à l'occasion d'une collaboration qui était dans le domaine de la communication de la mairie de Bordeaux. Elle travaillait à la communication de la mairie, et moi j'intervenais en tant que graphiste. On a fait un premier, un premier roman graphique complet qui s'appelle Rien ne se passe jamais comme prévu. Et on en est au deuxième numéro.

Donc une collaboration qui est amenée encore à durer.

Il y a des chances parce qu'on s'entend bien mieux, et on se comprend bien aussi.

Vous avez un style graphique léger, frais, simple. Comment avez-vous créé ce style très particulier, juste dans le trait ?

Je pense que j'ai un peu évolué dans ma manière de dessiner parce que, au tout début de mon activité d'illustratrice, je travaillais pour la pub et la communication avec un agent à Paris et je pense que le dessin était un peu plus contenu, un peu moins en mouvement et que c'est l’exercice du roman graphique qui m a amené à libérer un peu le trait. Parce que ça s'est un peu fait tout seul. Je crois que c'était les besoins de l’histoire qui faisaient que. Je dois aussi avouer qu'il y a des endroits que je ne sais pas dessiner et du coup c'est plus facile pour moi de les suggérer que de les dessiner complètement.

Comme le nez, qui n’est présent sur aucun des personnages ?

Oui, et au départ je ne dessinais pas de bouche non plus. Et puis pour une commande, dans le domaine de la pub, on m'a demandé de dessiner des bouches parce que c'était pour des sujets alimentaires. Donc je m'y suis mise. C'était un peu compliqué pour moi au début parce que ça faisait partie des choses auxquelles je tenais fort, et puis ben je me suis assouplie,et adaptée.

Dans cet album, les clins d’œil à des références externes sont nombreux.

Je peux pas m'empêcher de coller des petites refs de temps en temps parce que ça me fait plaisir, ça me fait rigoler et ça me fait encore plus plaisir quand les gens les repèrent.

Comment dessinez-vous, en traditionnel ou en numérique ? Et quel matériel utilisez-vous ?

Tout numérique. J'utilise une tablette iPad Pro avec un stylet, et le logiciel Pro Create pour dessiner les planches. J'ai fait le story board dans un logiciel de prise de notes, Good Note. Ça permet d'extraire un PDF facilement et d'échanger avec Lucile et avec Pauline Mermet, l'éditrice de Dargaud. Donc on a fait du ping-pong à partir du storyboard qui était fait avec cette application, plus pour les notes. À partir de là, j'ai importé les PDF dans Pro Create et j'ai fait mes roughs à partir de ça. Puis l’encrage et la colorisation, même si ce n'est pas vraiment une mise en couleur parce que je considère que c'est plus un encrage coloré qu'une mise en couleur.

La couleur dans cet album, est vraiment très particulière. Vous utilisez une sorte de technique de lavis, qui se mélange au trait noir et, finalement, il y a très peu de cases où la couleur est mise uniquement pour la couleur.

C'est une sorte d’astuce graphique qu'on avait trouvée avec Lucile dans le roman graphique précédent ; la couleur avait un sens précis, elle définissait des émotions. Dans cette histoire-là, ça ne définit pas vraiment des choses très précises mais ça délimite des espaces et des temps. Avec une volonté d'être sur des couleurs les plus simples possible.

Pourquoi avoir choisi de montrer les mouvements de pinceaux et de crayons, au lieu de faire un aplat ?

Ça a dû se faire tout seul. C'est un numérique très sensible et organique. On obtient des choses hyperfidèles. On pourrait imaginer que ce n'est pas du numérique, que c'est du crayon, du vrai, ou de l'aquarelle, de la vraie. J'aime cet outil pour cette facilité-là, parce que depuis des années, je travaille dans des environnements numériques et j'ai complètement perdu la main avec les outils réels. D'ailleurs, quand je dessine sur un vrai papier, j'ai tendance à double taper sur ma feuille ou à zoomer. Je me surprends à faire des trucs un peu fous comme ça.

Dans vos dessins,on retrouve la fraicheur du trait de Sempé.

Je suis hyperflattée parce que Sempé, c'est un rêve quand même. C'est chouette parce que j'ai l'impression qu'on m'a un peu assimilé dans la catégorie des dessinatrices comme Pénélope Bagieu ou Margaux Motin pendant longtemps. Avec Sempé, je change de catégorie, (rires).

La couverture bénéficie d’une mise en couleur, ne reflétant pas votre choix pour les dessins d’intérieur. Est-ce un choix de l'éditeur ?

Oui, c'est l'éditeur qui a orienté la couverture parce que moi j'avais des envies qui n'étaient pas le résultat final. Je me suis laissé guider par le savoir-faire, l'expérience et l'expertise de l'éditeur, car je ne me sens pas compétente en la matière. Donc c'est un travail un peu à six mains qu'il y a eu, et le résultat nous paraissait bien, même si je suis d’accord sur le décalage.

Combien de temps vous a demandé cet album ?

Vachement longtemps, parce qu'on avait commencé avant le premier confinement du Covid. Et on a été, Lucile et moi, absorbé par des vies un peu mouvementées. Donc ça nous a pris de 2019 à maintenant. Quelque part, c'est bien aussi parce que ça permet à l'album de mûrir. Et puis j'ai mis longtemps à démarrer, parce que j'ai un peu un blocage d'appréhension, et j’avais aussi d'autres activités d'illustration pour faire tourner la boutique. C’était un peu, à la fois un marathon et un peu un rythme syncopé parce que je pouvais faire des gros morceaux d'un coup, et puis il fallait que je m'arrête. Donc je perdais le groove et il fallait que je me relance la machine. Ça a été un processus un peu éprouvant. Et puis on n'était pas tous disponibles en même temps, Lucide, de son côté, pouvait ne pas être disponible pour lire ce que j'ai envoyé. On a donc pris notre temps, mais on est contente du résultat.

Avez-vous une anecdote particulière sur ce livre ?

Oui, le titre. Il y a eu plusieurs titres et pendant tout le temps qu'on a cheminé dans cette histoire, on s'est questionné sur le titre. Le tout premier titre, c'était Le grand saut, qui était un titre brouillon, et n'était pas destiné à rester tel quel. Et puis on a imaginé d'autres titres et parmi ce qui avait été pressenti, il y avait « Haut les cœurs et mort aux vaches ». C'était un peu notre cri de guerre avec Lucile. Quand on voulait se donner du cœur au ventre et du courage, on criait haut les cœurs et mort aux vaches ce qui nous paraissait être un bon titre. Et puis finalement, l'éditrice nous a dit que, au sein de la rédaction, ça ne faisait pas trop l’unanimité, qu’il n'y avait pas trop de lien avec le sujet. Donc on a envisagé des tas d'autres trucs, je ne me souviens plus de tous les détails parce qu'il y en a eu tellement. Mais finalement on est arrivé à Vers l'infini et les monts auvergnats qui nous plaisaient à tous les trois.

Quels sont vos projets actuellement ?

J'ai des trucs plein les tuyaux et plein la tête. Ça se bouscule, à dire vrai. Et je m'attends à ce que Lucille revienne vers moi avec des idées. J'ai aussi un projet perso que j'aimerais bien mettre en forme, mais je n’ose pas trop en dire, pour ne pas me mettre la pression. En fait, je suis un bébé auteur et je voudrais faire ça quand je serai grande.

Le 11 août 2023