Interview d'Emmanuel Despujol, à propos de La Mort n'est pas une fin

Découvrez les coulisses de la bande dessinée La Mort n'est pas une fin, parue aux éditions Paquet, dans la collection Agatha Christie, en lisant l'interview de son dessinateur, Emmanuel Despujol.
Alain Charron, conservateur en chef du patrimoine à Montpellier, et vous-même évoquez en préambule à l'histoire, dans les remerciements, quelques entorses faites. Quelles sont-elles et pourquoi les avoir faites ?
Le sujet est vaste et les exemples nombreux, mais voici ce que m'a écrit Alain à la fin de l'un de nos premiers échanges : « N'oubliez pas qu’il s’agit d’une œuvre de fiction vue par le prisme de la BD, on peut jouer avec l’Histoire et la trahir de temps à autre, personne (de normal) ne vous en voudra. » Je crois que tout est dit. Dans la pratique, je me suis heurté assez fréquemment aux limites des connaissances d'Alain et de ses collègues cités dans les remerciements, surtout en ce qui concerne la vie quotidienne de cette époque. N'oublions pas que l'histoire se passe il y a 4000 ans et les vestiges de cette époque sont essentiellement à propos des Rois et de la religion. Quand j'ai eu à dessiner de la vaisselle , du mobilier et tout ce qui touche au quotidien des personnes modestes de cette époque, j'ai eu du mal à avoir des réponses précises. C'était plutôt : « On n'a rien trouvé à ce sujet. » J'ai donc fait ce que tout auteur de bande dessinée a l'habitude de faire, j'ai comblé les trous avec mon imagination. Ensuite, il est vrai que j'ai volontairement pris un peu de liberté en ce qui concerne la maison et les jardins qui sont l'essentiel des décors de l'histoire, je les ai rendus un peu plus vastes et plus colorés que cela pouvait être à l'époque. J'ai gardé les codes, mais j'ai rendu l'ensemble plus attrayant. Et comme dernier exemple, il y avait aussi ce que je ne pouvais pas dessiner. J'ai eu un refus des ayants droit en ce qui concerne la nudité qui était chose courante à l'époque. Le vêtement était autant inutile en raison de la chaleur, surtout à Thèbe, là où se passe l'histoire, qu'un luxe que les gens modestes ne pouvaient se permettre. Malgré cela, en ce qui concerne la mort, les rites funéraires et les tombes pour lesquels il reste beaucoup de vestiges et de documents, je suis resté, grâce à Alain, au plus près de ce qu'on sait de l'époque.
Isabelle Bottier a adapté La Mort n'est pas une fin, d'Agatha Christie, et en a écrit le scénario. Comment avez-vous travaillé avec elle et sous quelle forme vous a-t-elle remis le scénario ?
C'est vrai qu'Isabelle a fait un travail formidable avec cette adaptation. J'ai reçu toute l'histoire découpée par pages et par cases et avec tous les dialogues. C'est heureusement ce que j'ai l'habitude de recevoir de la part des scénaristes avec qui je travaille. Cela permet d'avoir, avant de commencer à dessiner, une vue d'ensemble de l'histoire, de l'importance de chaque décors et de la personnalité de chaque personnage. Indispensable pour que le chef-op, le directeur de casting, l'accessoiriste et tous les autres, puissent bien faire leur travail. Si je peux faire ce parallèle avec le cinéma. Ensuite, je me permet des ajustements au moment du story-board. La plupart du temps, cela concerne l'importance des cases et la répartition des dialogues pour amener le bon rythme au déroulement de l'histoire. Mais je soumets toujours mes propositions au scénariste avec qui je travaille.
Comment, et en quoi Alain Charron, Dominique Farout et Bénédicte Lhoyer vous ont-ils accompagné dans la réalisation de cet album ?
J'ai eu la chance de rencontrer Alain Charron depuis mon premier album, Le dixième peuple, qui parlait déjà de mythologie égyptienne, et quand les Éditions Paquet, Pol Beauté pour ne pas le citer, m'a proposé de faire cette adaptation, j'ai rapidement pensé à lui pour avoir un accompagnement sur la partie historique de l'histoire. Il se trouve que la tâche s'est avérée plus complexe que prévu, comme indiqué lors de la première question. Alain a consacré beaucoup de temps à répondre à mes interrogations et a même dû aller chercher des réponses auprès de ses collègues. C'est pour cela qu'ils sont tous remerciés pour leur temps passé.
Vers la conclusion de l'intrigue policière, vous utilisez un procédé graphique en total décrochage avec l'album pour livrer le modus operandi du criminel. Pourquoi ce choix graphique, fort plaisant, même si très surprenant quand on arrive sur la page ?
Je dois rendre hommage à Isabelle, car c'est elle qui a eu cette très brillante idée ! Cela remplace efficacement, de façon très originale et parfaitement avec le style de l'époque, la scène finale du dénouement propre aux romans d'Agatha Christie. Tout y est clairement évoqué et élucidé et ce changement graphique a été très rafraîchissant à ce moment de l'histoire. J'ai trouvé qu'après la tension des pages qui précédent, cette page permet au lecteur de reprendre son souffle et de comprendre tout ce qui s'est passé avec l'angle de l'assassin.
Qui a fait la carte à l'intérieur de la couverture, pour placer les aventures d'Agatha Christie, est-ce vous ?
C'est l'éditeur et je crois que c'est propre à la collection.
Comment travaillez-vous, utilisez-vous le numérique ?
C'est après mon second album que j'ai failli me mettre au numérique. Et j'ai fait un refus d'obstacle. Je n'ai pas pu me résigner à ne plus toucher de papier, à avoir les mains salies par les crayons, les manches pleines de chiures de gomme, le clavier noir de pigment, le bureau encombré de pinceaux, gommes, porte-mines, crayons, feutres, pots en tout genre, carnet, etc. Et surtout de ne plus avoir le plaisir de voir et de montrer mon travail, mes planches, mes recherches, mes imperfections, mes erreurs. Pas de Ctrl-Z pour les envoyer dans le néant. J'aime cet aspect artisanal de mon métier, devoir contrôler sa respiration et son geste quand le pinceau entreprend une courbe qui n'a pas droit à l'erreur. Je n'ai pu me résigner à perdre tout ça…
Pouvez-vous nous parler du travail fait par votre fille, Juliette Despujol, qui co-signe la couleur sur cet album ?
C'est son premier album et donc notre première collaboration. Je suis absolument ravi qu'elle soit attirée par cette voie et que l'on puisse travailler ensemble. J'ai eu l'occasion de voir ses possibilités à l'occasion de plusieurs essais qu'elle a faits pour des projets. L'un est, d'ailleurs, en cours de réalisation et d'autres sont à venir. Avant de s'engager, j'ai pu juger de ses compétences et de la facilité qu'on a de travailler ensemble. En tout cas, en ce qui me concerne, mais il faudrait aussi lui poser la question. La collaboration avec un coloriste est faite de compromis, on remet entre ses mains son travail et il se l'approprie. Quand on peut choisir son coloriste parce que l'on sait qu'il va aller dans notre sens, même s'il amène sa propre perception, c'est une chance que je n'ai pas toujours eue, mais que j'ai avec Juliette. Comme elle débute dans ce métier, elle est très à l'écoute et a su m'accompagner dans les directions que je souhaitais, et c'est très agréable de voir que, petit à petit, elle prend des initiatives et forge son identité.In fine, je suis vraiment très satisfait de l'ambiance de couleur qu'on a ensemble amenée dans cet album et qui, j'aime à penser, lui donne une part de son intérêt.
Combien de temps vous a demandé la création de cet album ?
Environ un an. Plus que je ne l'aurais voulu, ainsi que mon éditeur. ^^
Avez-vous une anecdote relative à La Mort n'est pas une fin ?
Pol m'a demandé si cela me dirait faire un album dans la collection Agatha Christie. L'idée ne me déplaisait pas, mais j'avais peur de devoir réinventer des personnages déjà trop connus. Ce que je ne savais pas, c'est qu'il avait déjà en tête de me proposer La Mort n'est pas une fin comme cela se passait en Égypte antique et que j'avais un peu d'expérience en la matière suite à mes albums du Dixième peuple. Ça a été une excellente et bien agréable surprise pour moi. Il se trouvait aussi, et je l'ai appris plus tard, que l'originalité de ce roman avait déjà attiré l'attention d'un autre auteur qui aurait bien aimé l'adapter. Mais Pol me l'avait déjà réservé avant même de me le proposer. Désolé Damien…
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
Caledonia. Une histoire en trois tomes avec mon ami Éric Corbeyran. L'Écosse au IIe siècle, les Romains, les Pictes, le mur d'Hadrien, la 9e légion, le tout sur fond de mythologie celte. Avec, forcément quand on me connaît et qu'on connaît Eric, une bonne part de fantastique ! Sortie prévue pour le tome 1 le 22 mai 2024.
Le 16 novembre 2023