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Interview d'Éric Corbeyran, à propos de La Piste de l'Oregon

Couverture de la BD La Piste de l'Oregon

Découvrez les coulisses de la bande dessinée La Piste de l'Oregon, parue aux éditions Kennes, en lisant l'interview de son scénariste, Éric Corbeyran.

Comment êtes-vous devenu scénariste ?

Quand j'étais gosse, j'avais du mal à lire des livres. Mes parents m'ont offert des BD. Ils m'ont ainsi donné des clés qui ouvraient les portes d'une multitude d'univers. Aujourd'hui, je suis un lecteur acharné, je dévore autant de romans que d'albums de BD. Mais la BD a été mon entrée dans le monde des histoires. Des histoires racontées en image : fascinant ! J'ai toujours voulu faire partie de ce monde, avoir une part active dans ce domaine. Mon dessin étant médiocre, j'ai alors confié mes idées à des artistes beaucoup plus doués que moi (mon tout premier collaborateur s'appelle Nicolas Tabary). Mais dessiner et écrire, c'est pareil (« graphein » en grec signifie écrire), et l'essentiel en BD, quelle que soit sa spécialité, c'est de raconter une histoire.

Dans les remerciements, vous écrivez : « Merci à mon ami Jean-Marc Krings d'avoir eu la bonne idée de m'embarquer avec lui ». Pouvez-vous nous raconter la genèse de La Piste de l'Oregon ?

Jean-Marc, que je ne connaissais pas à l'époque, m'a contacté et m'a fait part de son désir de travailler avec moi. Il avait une idée derrière la tête : raconter cette épopée, cette « ruée » vers l'ouest, qui a fait couler tant d'encre (et sans doute beaucoup plus de sang). Mon expérience en matière de western se limitait alors à une trilogie intitulée Badlands (éditions Soleil, ressortie récemment sous forme d'intégrale chez Underdog) et j'avais très envie de m'y atteler à nouveau. J'ai donc tout de suite été partant pour m'associer à cette expérience. J'adore la littérature populaire et, de tous les genres et sous-genres qui en font la richesse, le western y occupe une place prépondérante.

Toujours dans les remerciements, Jean-Marc Krings relate : « À Éric pour cette magnifique collaboration… Et pour sa patience infinie ! » Pourquoi cette allusion à une patience infinie ?

Tout simplement parce qu'il a fallu beaucoup de temps pour mener ce projet à son terme. Une fois La Piste de l'Oregon signée, Jean-Marc s'est retrouvé avec d'autres projets Kennes qu'il lui a fallu intercaler pendant la réalisation de l'album. Ce qui a considérablement ralenti la production des pages. Mais comme c'est un artiste brillant doublé d'un perfectionniste et qu'il voulait absolument faire l'album qu'il avait en tête, il n'a jamais lâché une vignette, il a tout donné. Le résultat est à la hauteur de nos attentes.

Comment avez-vous travaillé le scénario de La Piste de l'Oregon ?

J'ai relu mes classiques. J'ai revu plein de films. C'est une phase d'approche que j'adore : me replonger dans le bain ! Ensuite, j'ai cherché (et trouvé) une idée que je n'avais pas encore vue associée au genre (je ne dis pas laquelle pour ne pas spoiler l'histoire). Puis j'ai créé des personnages que j'ai voulu forts et attachants. Enfin, j'ai fractionné le récit en chapitres avec un moment fort par séquence et du suspens tout au long. On a donc un western avec de l'action, de l'aventure et du suspense comme dans un thriller.

Dernière page de la BD, le capitaine Patterson dit à Pierre Charbonnier : « Vous savez où se trouve Fort George, n'est-ce pas ? ». S'ensuit un dialogue entre les deux hommes. Si l'on comprend aisément la dernière case, pourquoi avoir parlé de Fort George et avoir donné cette réponse dans l'avant dernière et la pénultième case ?

Il s'agit d'un gag qui met en avant les doutes de Patterson au sujet de son âge (avancé). Mais apparemment, mon effet est raté… Sinon, vous ne poseriez pas la question… Ahaha !

Vous avez fait le choix de diviser l'histoire en cinq chapitres, avec cinq pages de chapitres. Est-ce pour la pagination ou était-ce un choix scénaristique, et pourquoi ?

C'est un choix. Avec Jean-Marc, on voulait créer un récit classique, mais s'émanciper un peu du format habituel des 46 pages. L'envie d'un récit plus long nous a conduits à ce chapitrage qui permet de donner une unité à chaque séquence et à les mettre ainsi en valeur.

Page 31, première bulle du révérend, le texte chevauche le dessin. On voit clairement ici qu'il y a eu un souci, le « a » pouvant être mis à côté de « quelqu'un ». À quel stade de l'élaboration du livre ce genre d'erreur, de coquille, se présente-t-elle ?

C'est étrange, en effet, car cette erreur n'apparait pas dans le tirage spécial en noir et blanc que nous avons réalisé chez BC Print SRL et Underdog. Concernant ce type de coquille, c'est plutôt du côté du lettreur ou de la fab', chez l'éditeur, qu'il faut chercher la réponse.

Comment avez-vous rencontré Jean-Marc Krings, le dessinateur, et comment avez-vous travaillé ensemble ?

Comme je l'indiquais précédemment, je ne connaissais pas Jean-Marc, même si j'avais déjà lu quelques uns de ses albums (notamment Violine). C'est lui qui m'a contacté. Nous avons bossé dans le plus grand respect de la liberté artistique de l'autre. On s'est encouragé et critiqué pour améliorer notre travail réciproque. Ce type de collaboration est plaisante et constructive.

Combien de temps vous a demandé l'écriture du scénario et combien de temps a demandé l'album au total ?

La production s'est étalée sur plusieurs années. Il y a eu deux versions du scénario. Une classique de 46 pages et celle que vous avez entre les mains. Je n'ai pas chronométré le temps, car étant donné qu'il s'agit d'un one shot, personne n'attendait vraiment l'album avec impatience (à part Jean-Marc et moi, bien sûr, ahaha). On a pris le temps qu'il fallait pour faire l'album qui nous plaisait, aucun de nous ne regrette le temps qu'il y a passé.

Avez-vous une anecdote relative à cet album ?

Plutôt une déclaration. Voilà ce que j'adore dans ce bouquin : une histoire finalement assez sombre et assez dure servie par un dessin ligne claire, école Spirou, de type humoristique. Ce contraste flagrant entre le fond et la forme donne une saveur toute particulière à l'ensemble. Un peu comme quand un chef compose un plat en mixant des ingrédients appartenant à des cultures différentes : c'est atypique, mais on se régale !

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Je travaille toujours simultanément sur de nombreux projets qui en sont à des stades très divers d'élaboration. C'est donc toujours un peu compliqué pour moi de répondre à cette question de manière succincte. Je me contenterai donc de citer mes récentes sorties, dont je suis très satisfait : Les Yeux doux  (avec Michel Colline aux éditions Glénat), Eden Glitter (avec Sandra Cardona aux éditions Dargaud) et Tarzan (avec Roy Allan Martinez aux éditions Glénat).

Le 23 septembre 2024