Interview d'Éric Salch, à propos de Résidence autonomie

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Résidence autonomie, parue aux éditions Dargaud, en lisant l'interview de son auteur, Éric Salch.
Éric Salch, d'où vous est venue cette idée de faire une BD sur les résidences autonomie ? Est ce venu de votre parcours, du parcours d’un proche, ou du fait divers d’Orpea que vous évoquez dans l’ouvrage ?
C’est un ami à moi, un ami d’enfance qui a déménagé. Il cherchait du travail en province, a été à Pôle emploi. Et Pôle emploi lui a tout de suite proposé ce boulot d’agent social en résidence autonomie. C’est-à-dire qu’il commençait deux jours plus tard. Il n’y a même pas eu d’entretien d’embauche. On se pointe, il y a une formation de trois jours pour s’occuper de 45 résidents. Ça veut dire s’occuper d’eux au quotidien et leur donner leurs médicaments, c’est-à-dire des anxiolytiques, et les prescriptions des médecins. Lui, il faisait deux ou trois nuits par semaine. Il commence à me raconter ça comme un copain qui vous raconte ce qui lui arrive en ce moment. Là, j’hallucine de ce qu’il me raconte. Je lui ai dit « Écoute, ça, c’est un super sujet pour une BD ». Au début, il n’était pas très chaud à l’idée que je fasse cette BD sur son travail, parce qu’en réalité, on n’a pas le droit. Comme c’est dans le public, normalement, c’est confidentiel ce qu’il s’y passe, mais j’ai changé tous les noms, j’ai inventé les lieux. Même lui, ce n’est pas son vrai nom. J’ai commencé la BD et il était convaincu dès qu’il a vu les premières pages.
Il y a un vrai portrait, féroce et tendre à la fois, des résidences senior dans ce livre. Le vécu de votre ami d’enfance a-t-il servi de point de départ à une fiction, ou les faits sont-ils réels ?
Tout ce qui est dedans est vraiment issu de son vécu. J’ai changé les noms, les lieux. Le physique des personnages, je l’ai inventé parce que je ne savais pas à quoi ils ressemblaient. Il n’y a que ça qui est inventé. Tout ce qui est dans la BD, hormis le physique des personnages, tout est basé sur du réel, tout est vrai. Je n’ai rien eu besoin d' inventer. Quand je créais, je me disais « Les gens vont croire que j’invente », tellement des fois, ça pouvait paraître gros.Qu’est-ce finalement que ces résidences autonomie ?
J’avoue que j’ai découvert ce terme en discutant avec mon ami, parce que je ne savais pas que le terme résidence autonomie existait. Ce sont des établissements publics et payants. Je dirais que c’est un peu les maisons de retraite, où les gens qui ne se sentent pas bien et qui n’ont plus la force d’affronter la vie le quotidien peuvent aller. C’est le purgatoire avant l’enfer de l’Ehpad.
Quand on a un style comme le vôtre, qui est plus près du dessin de presse que du style réaliste, comment arrive-t-on à embarquer et à toucher le lecteur dans un univers finalement très réel et où rien n’a été inventé ?
Je pense que les gens sont habitués. Quand on regarde Les Simpson, South Park, c’est assez caricatural et on est embarqué dans le dessin animé, dans l’histoire. La caricature n’empêche pas de rentrer dans une histoire. Je dirais même que ça contribue à rentrer dans l’histoire. Quand c’est caricaturé, on peut mieux se projeter dedans. Une bande dessinée très réaliste, ça ne va pas forcément me donner envie de la lire. Je préfère avoir une interprétation du réel avec la caricature.
Dans votre dessin, vous délaissez l’arrière-plan au profit de l’efficacité de la lecture et d’un focus sur les personnages. Est-ce une volonté ou est-ce quelque chose qui s’est mis en place intuitivement ?
En tant que lecteur, j’aime quand c’est simple. J’aime être tenu par la main, par l’auteur. La volonté, c’était vraiment de faire un style simple. Il y a peut-être aussi une part de fainéantise dans le fait de ne pas dessiner les décors. Et puis la répétition de dessiner quatre fois la même chaise sur quatre cases, ça n’a pas grand intérêt. Ce que je cherche, c’est vraiment l’efficacité pour le lecteur, surtout sur ce livre-là. Ou même par la couleur, j’ai fait exprès de faire un truc très simple, qui ne fatigue pas les yeux, qui permet vraiment de rentrer dans l’histoire et d’être focalisé sur l’histoire et de ne mettre aucun égo de ma part.
En parlant de facilité de lecture et d’efficacité, la police d’écriture est suffisamment grosse, justement, pour être lisible facilement, même sans lunettes, par la majorité des gens. Est-ce un choix ?
Avant d’avoir des lunettes, je dessinais tout petit, sur des feuilles A5. J’ai dû me péter les yeux à cette époque-là. Depuis, c’est vrai que moi-même, comme je vois moins bien, je fais plus attention à la lisibilité de mes bandes dessinées et de penser aux myopes.
Vous parliez d’efficacité, est-ce que cette efficacité à engendré un passage au tout numérique pour la création ?
Le dessin est tout fait à la main. Tout est découpé à la main. Après, je scanne la planche et je colorise sur Photoshop.
J’aurai cru que les dessins étaient faits sur tablette avec les options de correction de courbes tant celles-ci sont nettes.
C’est le talent du dessinateur. (Rires)
Combien de temps cet album a demandé en temps de travail ?
Je dirais un an, mais pas un an tout le temps. Tout à l’heure, vous me parliez d’Orpea. J’ai commencé le livre au mois de septembre et le scandale d’Orpea est arrivé, je crois, trois mois après. Je n’ai pas fait ce livre en me disant « Je vais faire un coup ». C’est vraiment tombé en même temps.
Avez-vous eu toute latitude de la part de Dargaud pour cet album, même après le scandale d’Orpéa ?
J’ai fait vraiment eu carte blanche. Tout ce que j’ai voulu mettre, a été dedans. On ne m’a rien empêché de faire. Je ne me suis rien empêché non plus. C’est vraiment complètement libre à ce niveau-là.
Le livre, en tant qu’objet, est également atypique, avec une couverture souple mat à rabats. Est-ce un choix de l’éditeur ?
La conception même du livre, c’est ma volonté. L’avantage, c’est que quand on est entouré de gens talentueux, ça aide. Je pense à Philippe Ghielmetti qui m’a fait la maquette. J’avais vraiment ce truc de « Je voulais faire un roman graphique souple dans ce format-là. » Puis après, c’est magnifié par des gens de talent. Je trouve que c’est important d’avoir une identité visuelle au niveau de l’objet. Je ne sais pas pour les autres, mais j’aime bien que mes livres, on les reconnaisse bien. Je pense l’objet livre et je veux que ça soit beau. Ce que j’estime être beau, en tout cas. Il n’y a pas que de l’humour dans le livre, il faut qu’il y ai toujours cette dimension du beau qui soit là et que ce soit élégant.
Résidence autonomie a bénéficié du concours du centre national des lettres, pouvez-vous en dire un mot ?
C’est une bourse pour dégager du temps, pour qu’on puisse faire ça un peu, j’imagine, comme le centre national du cinéma. On les sollicite, on leur présente le projet, on leur explique le pourquoi du comment et puis ils vous disent oui ou non pour avoir une bourse qui vous est ensuite attribuée. On a droit à une bourse comme ça tous les trois ans, ce n’est pas à chaque bouquin.
Sur quel album êtes en train de travailler en ce moment ?
Je suis en train de refaire un look book, car je n’en avais pas fait depuis longtemps, mais c’est entre deux. Ça regroupe les looks de tous les gens qu’il peut y avoir dans la société. Ça peut aller de là, de l’ado harcelé aux militants d’extrême droite. Je fais une silhouette et je m’attache à décrire cette silhouette à ma façon, en m’amusant, en me moquant. C’est de la satyre, pour caricaturer et se moquer lourdement des tendances de 2023. En termes de livre pour l’instant, je n’ai rien. Je suis dans la phase pas marrante de « Il va falloir trouver une idée.»
Le 8 juin 2023