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Interview d'Exaheva et de Félix Laurent, à propos de Mekka Nikki

Couverture de la BD Mekka Nikki

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Mekka Nikki, parue aux éditions Les Humanoïdes Associés, en lisant l'interview de ses auteurs, Exaheva et Félix Laurent.

Mekka Nikki est né en 2015, sur internet, sous le label Attaque Surprise. Pouvez-vous revenir sur ce début de projet ?

Exaheva : Le projet a débuté quand Félix m'a demandé que je lui écrive un scénario d'aventure. Durant nos études, nous avions réalisé plein de BDs très courtes et souvent sur des thématiques plus adultes, réalistes voire autobiographiques. Je pense que nous avions tous les deux envie de nous lancer dans un récit plus long et plus dans les codes de la BD de genre. J'avoue n'avoir pas tout de suite accepté le projet, car je pensais que ça allait mourir dans l'œuf et que j'allais écrire une histoire dans le vide. Au final, j'ai écrit quasiment tout le fil rouge de la moitié du récit et fin 2015 paraissait le premier épisode. Je me disais à chaque épisode que cela serait probablement le dernier, mais heureusement, Félix n'a jamais arrêté de dessiner Mekka Nikki !

Félix Laurent : J'avais envie d'un récit pop et entraînant, mais après avoir essentiellement dessiné des récits plus adultes, je préférais me lancer dans un autre genre de récit avec un ami. Exaheva avait déjà travaillé sur des récits d'aventures (elle dessinait un épisode des Cavaliers du Ciel, récit initié par Mortis Ghost). Donc ça me semblait la bonne occasion de travailler à deux !

Le projet a également été publié dans un fanzine. Est-ce que le passage du Web au print a changé votre façon d'aborder Mekka Nikki ?

Exaheva : À vrai dire, il n'y a pas eu de passage du web au fanzine, nous avons directement lancé le récit à la fois en ligne et en fanzine. Avec Félix, nous faisions partie d'un collectif de fanzines à Bruxelles du nom de Jean Guichon, éditeur. Le fanzine était donc un format naturel pour nous, car nous côtoyions énormément ce milieu. J'ai personnellement proposé que cela soit également publié en ligne, car j'ai toujours eu cette culture web, j'ai tenu un blog assidûment pendant dix ans et je voulais que Mekka Nikki soit accessible de partout au moindre coût. Ceci dit, nous pensions cette BD avant tout comme un objet imprimé. Nous avions également un Patreon (système d'abonnement en ligne avec différents paliers de soutien financier) pour que les gens puissent recevoir le fanzine directement chez eux. D'ailleurs, nous avons entièrement sorti la BD en format fanzine ! Même après la sortie du premier tome en librairie, nous voulions conclure Mekka Nikki sous sa forme originelle. Il existe donc bien l'entièreté de la série en format fanzine.

Félix Laurent : On peut aussi dire que le rythme de 20 pages par épisode en noir et blanc était aussi une contrainte économique : c'était plus facile d'imprimer un petit livret en noir et blanc, qu'on imprimait avec la riso de Jean Guichon éditeur ! Le deal était qu'exa gérait la partie web et les abonnés (la mise en ligne, le patréon et les envois postaux) pendant que je m'occupai de mettre en page et d'imprimer tout moi-même ! Même si souvent, on s'entraidait mutuellement !

En 2020, Vide Cocagne publie Mekka Nikki en deux tomes. Le premier tome, de 424 pages, parait en novembre 2020. Le second tome, de 424 pages également, parait en mai 2022, quelques mois avant la faillite de l'éditeur. Qu'est-ce qui se passe dans la tête à ce moment-là ? Pour vous, était-ce la fin pour Mekka Nikki, ou espériez-vous qu'un éditeur reprenne la série ?

Exaheva : Mekka Nikki a vraiment traversé des hauts et des bas assez extrêmes ! Après avoir travaillé pendant quatre ans dessus tout seuls, nous avons signé chez Vide Cocagne, un petit éditeur indépendant basé à Nantes. Nous étions très enthousiastes, mais le premier tome est sorti en plein confinement, et l'éditeur n'avait pas assez d'argent pour faire de la promo en dehors des festivals où ils allaient (festivals qui commençaient seulement à réapparaître en 2022, d'ailleurs). En 2022, on apprend qu'ils vont fermer boutique et que le tome 2 sera donc leur ultime livre.

Félix Laurent : En fait, techniquement, Vide Cocagne n'a pas fait faillite, par contre ils ne pouvaient plus se charger d'éditer de nouveaux projets et, de ce fait, continuer à être distribués. Ils nous ont prévenus un peu en avance, pour qu'on ait le choix de sortir le tome 2 chez eux ou non. Mais on voulait tellement finir la série qu'on a préféré finir l'aventure avec eux. En espérant que plus tard, un autre éditeur redonne vie à Mekka Nikki.

Exaheva : À ce moment, nous étions évidemment extrêmement déçus, surtout que cela impliquait que ce tome n'allait pouvoir rester qu'à peine six mois en librairie avant que le stock disparaisse. Personnellement, j'avais l'impression que Nikki n'avait vraiment pas eu la chance qu'elle méritait. Nous travaillions sur ce projet depuis sept ans et il allait disparaître aussi vite… En plus, nous n'avions eu que très peu d'occasions de présenter notre livre, et il n'a quasiment pas existé en librairie.

Félix Laurent : On a bien envoyé un dossier de réédition à quelques maisons d'édition, mais c'est assez compliqué de rééditer une énorme série, juste après une première sortie. On a donc tenté de passer à autre chose, en se disant que l'objet était là, on était déjà assez fier du résultat.

Exaheva : en 2023, nous avions commencé à nous dire que c'était fini pour Mekka Nikki et que personne ne prendrait le risque de rééditer cette BD, jusqu'à ce qu'on reçoive la proposition inattendue des Humanoïdes Associés.

L'édition 2024, puisque les quare tomes de Mekka Nikki paraitront intégralement cette année, est annoncée comme relettrée et augmentée. Pouvez-vous nous en dire plus et quel travail a été fait spécialement pour cette édition ?

Exaheva : On ne s'en rend pas compte sans pouvoir comparer réellement les deux éditions, mais nous avons beaucoup retravaillé cette édition ! Premièrement, j'ai créé une police d'écriture spécialement pour ce projet, à partir de l'écriture de Félix. L'ancienne édition était écrite à la main, ce qui est cool, mais était parfois un peu difficile à lire. En plus, la nouvelle typo mécanique nous a permis de refaire toutes les bulles et de rendre la BD beaucoup plus aérée et agréable à l'œil. Nous avons aussi revu le texte pour améliorer la fluidité du récit et certains passages ont même été entièrement redécoupés. Nous avons également décidé d'ajouter des bonus, principalement des illustrations, par des dessinateurs de BD invités que nous connaissons. C'est un peu un hommage au format d'origine, car il y avait une page d'invité dans chaque épisode en format fanzine et Web.

Félix Laurent : en plus de corriger toutes les bulles, j'ai modifié beaucoup de pages existantes (parfois de l'ordre du détail, comme un œil, une main). Parfois des pages entières. J'ai donc retouché énormément de dessins, de détails, de poses, d'expressions faciales, etc. Mais nous en avons profité pour rajouter environ une centaine de pages inédites ! Elles sont étalées sur toute la série, afin de donner plus d'espace à des scènes qui étaient trop expéditives.

Exaheva : Vide Cocagne – pour des raisons économiques – nous avait limité en nombre de pages et j'avais dû raccourcir et adapter certains passages pour pouvoir respecter cette contrainte. Aujourd'hui, nous avons pu donc ajouter ce qu'il manquait et, on espère, rendre le récit encore meilleur ! Dans le tome 1, par exemple, on a rajouté six pages d'intro, quatre pages de baston et sept pages d'outro, pour retravailler le cliffhanger de fin de tome.

Dans les bonus, on constate que certains sont de vous, Exaheva, ce qui signifie que vous dessinez également. Avez-vous participé de manière régulière aux dessins de Mekka Nikki ? Et Félix Laurent, de son côté, a-t-il participé au scénario ? Comment avez-vous travaillé avec Félix Laurent ?

Exaheva : En effet, je suis aussi dessinatrice de BD ! J'ai suivi la même formation que Félix Laurent, nous nous sommes rencontrés ainsi. Pour Mekka Nikki, nous travaillons bien plus en collaboration que chacun dans notre coin avec nos rôles respectifs. Quand nous avons commencé, Félix m'a demandé de faire également le découpage, car, au vu de la cadence à tenir pour les abonnés, il y avait beaucoup de pages à dessiner ! J'ai donc réalisé avec grand plaisir tous les découpages de Mekka Nikki. Ensuite, voici comment l'on a procédé : j'envoie le découpage à Félix et nous en discutons ensemble. Il vient souvent apporter des suggestions et des modifications. Certains épisodes ont eu de nombreuses versions avant que Félix commence le crayonné. Nous avons chacun nos forces et nos faiblesses et l'on se complète très bien, je pense ! Puis, quand Félix a fait le crayonné, c'est moi qui viens l'embêter pour lui suggérer des retouches. Donc on échange beaucoup à chaque étape de la création, même si c'est moi qui apporte clairement le scénario et lui qui, au final, dessine les planches et apporte son identité graphique. D'ailleurs, j'ai par exemple très souvent fait les premières esquisses de recherches de personnages quand un nouveau protagoniste apparaissait et que j'avais déjà une idée en tête, et Félix m'a souvent suggéré des éléments scénaristiques que je pourrais intégrer à l'histoire ! Je ne spoile rien, mais un des épisodes finaux est à vrai dire réalisé à quatre mains. Vous le découvrirez dans le tome 4 ! Et pour cette édition, j'ai également fait la couleur des couvertures !

Mekka Nikki est né, nous le disions, sur le Web. Comment gère-t-on le scénario quand on connait le début, mais pas la fin ?

Exaheva : En fait, j'ai toujours eu une idée globale du récit avec les étapes importantes à venir. Cela me permettait à l'envie d'ajouter des petits éléments par-ci par-là, entre ces étapes, et d'avoir une marge de manœuvre sur la longueur du récit. On a assez vite décidé avec Félix que cela n'irait pas au-delà d'un certain nombre de pages, on ne voulait pas d'une histoire qui tire sur la longueur sans raison non plus.

Le titre, Mekka Nikki, fait penser aux Meccha, ces mangas qui présentent des robots combattants. Pourtant, dans ce tome 1, aucun combat de robot. Nous avons juste un robot. Pourquoi ce choix ?

Exaheva : Oui, je voulais un peu jouer sur ce terme. Dans Mekka Nikki, l'aspect mécanique et l'aspect organique sont deux éléments qui s'opposent, mais qui vont aussi se compléter. Les robots sont pour les personnages principaux à la fois une menace, mais également ce qui leur permet de fabriquer de la soupe et donc d'avoir de l'espoir. Tout l'aspect mécanique représente une dualité et c'est aussi une métaphore de l'évolution de Nikki. Le fait d'écrire Mekka de cette manière était aussi une manière de mettre en avant cette distinction et la particularité de ce récit : Nikki construit un robot, puis elle conduit ce robot qui devient une extension d'elle-même. On va voir par la suite que c'est une thématique qui se développe et qui est au centre de l'aventure de Nikki.

Félix Laurent : L'histoire est composée en deux grosses parties, et on avait l'ambition de prendre notre temps afin de faire monter les enjeux et d'en profiter pour être plus focus sur les ressentis des personnages. Mais ne vous inquiétez pas, des robots, il y en a ! Plein !

Combien de temps vous a demandé l'écriture du scénario et combien de temps a demandé l'album au total ?

Exaheva : C'est assez difficile à quantifier. J'ai écrit une sorte de guide des grandes lignes de Mekka Nikki ainsi qu'un résumé court des épisodes 1 à 19 dans le courant de 2015. Ensuite, tous les détails se sont construits au fur et à mesure de la réalisation de la BD. Certains éléments (dont la fin) ont changé en cours de création de Mekka Nikki. Vu que pendant quatre ans nous n'étions pas édités, nous devions parfois faire des pauses plus ou moins longues entre deux épisodes. Cela me permettait aussi de réfléchir à nouveau à des détails pour la suite, par exemple. C'est un récit qui a bénéficié de ce temps long et qui a évolué en même temps que moi. Certains personnes – entre autres – ont changé parce que je ne les percevais plus de la même manière. Je pense que c'est une bonne chose qu'un récit puisse se déployer sur autant de temps, et ce n'est pas simple à mettre en place en BD. Si le récit avait été figé à ma version de 2015, il serait pas mal différent de l'histoire terminée qui est, selon moi, bien meilleure ! En tout cas, le premier épisode de Mekka Nikki est sorti en 2015 et le dernier en 2022 ! On peut dire que la première version de Mekka Nikki a mis sept ans à être créée.

Dada Animation prévoit un animé Mekka Nikki, en dix épisodes de 12 minutes. Comment se passe l'adaptation d'un manga en animé ? Travaillez-vous dessus ou, finalement, après l'achat des droits, le projet vous échappe-t-il ?

Exaheva : Le projet a débuté en 2019 et avec Félix nous avons été consultants pendant toute la période de pré-production. Nous avons beaucoup discuté avec l'équipe autant sur les visuels que sur le scénario. Il faut savoir qu'à ce moment, le tome 2 n'était pas sorti et il manquait beaucoup d'épisodes en ligne. J'ai donc écrit un résumé de la fin spécialement pour l'équipe d'animation afin qu'ils puissent déjà refléchir au déroulement global de la série. Ceci dit, à présent que l'aspect visuel est un peu plus décidé, nous n'avons plus d'impact sur la création de l'animé. Mais nous avons beaucoup échangé avec eux et je pense qu'ils souhaitent vraiment respecter l'esprit de la BD, et nous sommes très satisfaits de ce qui a déjà été créé !

Félix Laurent : Oui, c'était un peu le deal, de leur laisser le champ libre après des semaines de consultations. Mais c'est tellement rare comme occasion, on est super heureux que l'aventure se poursuive en animation !

Avez-vous une anecdote relative à cet album ?

Exaheva : Comme je l'ai dit, nous avions un système d'abonnement pour que les lecteurs reçoivent les épisodes en fanzine chez eux. Afin que le coût de l'abonnement soit le plus bas possible, nous avions décidé du format du fanzine en fonction du format de lettre normalisée, pour que les fanzines rentrent pile dedans. Ainsi, les frais de port allaient être beaucoup moins élevés ! Une fois que l'on a imprimé le premier fanzine, on s'est rendu compte qu'il n'existait pas d'enveloppe exactement à ce format, mais seulement plus petite… C'était moi qui étais chargée d'envoyer les fanzines par la poste et j'ai donc, pour chaque numéro, modifié des grandes enveloppes A4 pour en faire des enveloppes qui rentraient pile poil dans le format normalisé ! C'est un peu idiot, ahahah !

Félix Laurent : La série fait 38 épisodes. Il faut savoir que j'avais l'ambition secrète de faire jusqu'à 42 épisodes, en hommage aux 42 tomes de Dragon Ball, hahaha ! Mais les contraintes de temps et éditoriales nous ont limité à « seulement ». 38 épisodes pour environ 1000 pages… C'est acceptable, j'espère…

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Exaheva : Nous travaillons sur le tome 4 de Mekka Nikki ! Il y a encore un peu de travail, mais je suis également un autre projet : j'illustre intégralement un jeu vidéo de type visual novel (un type de jeu très narratif, axé sur des choix de dialogues) qui devrait sortir en 2025. Et une fois que Mekka Nikki sera terminé, nous aimerions bien refaire une BD ensemble avec Félix ! Nous avons déjà quelques idées…

Félix Laurent : Oui, maintenant, je ne peux plus me passer d'Exa, ma scénariste préférée ! On a effectivement un autre projet en commun en cours qu'on a dû arrêter pour travailler sur la réédition de Mekka Nikki ! On arrive plus à se passer de cette série !

Le 4 mai 2024