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Interview de Fernando Dagnino, à propos de Winter Queen

Couverture de la BD Winter Queen

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Winter Queen, parue aux éditions Glénat, en lisant l'interview de son auteur, Fernando Dagnino.

Comment avez-vous eu l'idée de Winter Queen et comment avez-vous conçu votre scénario ?

Le point de départ pour concevoir l'histoire de Winter Queen est venu lorsque j'écoutais Terence McKenna, un célèbre anthropologue et psychonaute américain qui, dans l'une de ses conférences, a mentionné Elizabeth Stuart, une jeune princesse qui est devenue reine de Bohème avec Frédéric V et qui, toujours selon McKenna, a construit pendant une courte période un royaume alchimique dans le sillage de Rodolphe II de Bohème. Comme je suis un grand amateur d'occultisme, ce fait m'a intéressé et j'ai décidé d'approfondir l'histoire. Au fil de ma lecture, l'histoire est devenue de plus en plus intéressante. Les pratiques hérétiques et l'accumulation de grimoires ont éveillé la méfiance des puissances catholiques déjà engagées dans des luttes de pouvoir et de religion. Les deux rois sont chassés du trône de Bohême par les troupes des Habsbourg à l'issue d'un siège qui sera l'un des éléments déclencheurs de la guerre de Trente Ans. Le règne d'Élisabeth et de Frédéric V fut si bref qu'il ne dura qu'un hiver. C'est pour cette raison qu'ils ont été surnommés le Roi et la Reine d'hiver. Fasciné par cette période mouvementée de l'histoire européenne, j'ai continué à me plonger dans l'histoire du royaume de Bohême à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIe siècle. Et dans le personnage d'Elizabeth Stuart. J'ai ainsi conçu une histoire fantastique autour des événements hypothétiques qui auraient pu arriver à ce jeune couple téméraire et qui sont liés aux forces magiques qu'ils déchaînaient.

En ce qui concerne la conception du scénario, j'aimerais tout d'abord préciser que, bien qu'il s'agisse de mon troisième roman graphique écrit et dessiné par mes soins, je me considère toujours comme un scénariste amateur qui vient d'entamer un long parcours. C'est pourquoi, à ce stade de ma carrière, j'aime suivre des structures de scénario classiques qui m'aident à maintenir un schéma narratif constant et à faire avancer l'action avec le personnage. D'autre part, même si je traite de thèmes fantastiques ou de science-fiction comme dans Smart Girl, il est très important que le cœur de l'histoire soit une expérience à laquelle moi, en tant qu'auteur, et le lecteur, puissions nous connecter émotionnellement. Smart Girl est l'histoire d'une femme qui s'émancipe d'une relation toxique et qui cherche à comprendre quelle partie d'elle-même la maintenait attachée afin de s'en libérer. Dans Winter Queen, il y a deux co-vedettes, une femme qui a de sérieux problèmes pour se connecter à la terreur cachée dans ses émotions et Eddie, un homme vaudou avec un grand talent caché mais qui souffre du syndrome de l'imposteur. En ce qui concerne le genre du scénario, j'ai aimé l'idée de mélanger une structure de thriller policier avec un monde magique sur fond historique. De telle sorte que des personnages comme une reine sorcière ou un homme vaudou se comportent comme des détectives enquêtant sur une affaire policière.

Jusqu'où a été la partie historique de Winter Queen ? Le Codex Creatio de Winter Queen, est-il une allusion au Codex Gigas du XIIIe siècle ? Parallèement, le fait divers du kidnapping des enfants est-il une allusion à une affaire criminelle précise, ou est-ce une invention scénaristique ?

En effet, le McGuffin [1] de l'histoire est un grimoire arcanique appelé Codex Creatio dont la puissance ferait pâlir le légendaire Codex Gigas et dont l'origine sera expliquée dans un second volume de Winter Queen. La véritable histoire se déroule juste après le siège de la ville d'Heidelberg en 1622, au cours duquel les troupes impériales espagnoles des Habsbourg ont réussi à entrer dans la ville et à prendre le pouvoir de Frédéric V. Au cours de cette bataille, un moine grec du nom d'Allatius a été chargé de s'emparer de tous les grimoires de l'immense bibliothèque d'Heidelberg et de les emmener au Vatican. C'est le point de départ du saut de l'histoire à la fiction qui déclenche l'histoire de Winter Queen. L'enlèvement des enfants fait donc déjà partie de la spéculation magique qui déclenche l'histoire.

Lors de la plongée dans les Enfers, vous faites un clin d'œil à Donald Trump, sans le nommer toutefois. Pourquoi ce clin d'œil ?

Je trouve amusant que vous pensiez que Donald Trump apparait dans cette scène, surtout en raison de la signification qu'elle aurait. La vérité est que la scène commence pendant Mardi Gras qui, comme vous le savez, est le jour spécial du carnaval à la Nouvelle-Orléans et il semble normal que, comme dans de nombreux carnavals, certains participants portent des costumes qui font allusion à la satire politique. J'aime que la littérature soit un message ouvert au lecteur et que chacun interprète le costume comme il l'entend.

Travaillez-vous en traditionnel ou en numérique ?

Les pages intérieures ont été réalisées de manière analogique avec de l'encre et du papier et avec un dégradé de gris réalisé avec de l'aquarelle liquide. Il y a parfois des retouches numériques. La couleur est entièrement numérique et réalisée par Marco Lesko.

Combien de temps vous a demandé Winter Queen, entre la genèse de l'album, au rendu de la dernière planche à l'éditeur ?

L'album a été approuvé par Glénat, je crois, fin 2019. J'ai commencé à écrire le scénario début 2020, ce qui m'a pris quelques mois, mais entre-temps m'est venue la série Blade Runner qui m'a aidé à survivre pendant la pandémie. Je voulais prendre le temps d'écrire un bon scénario et passer du temps sur les pages. J'ai donc commencé à dessiner Winter Queen "à plein temps" au printemps 2022 et j'ai fini en février 2023. Ensuite Marco Lesko a fait la couleur et j'ai fait la couverture.

La couverture a fait l'objet d'une technique particulière pour la dessiner ?

La couverture contrairement à l'intérieur est réalisée entièrement en numérique.

Avez-vous une anecdote sur Winter Queen ?

Au cours du long processus de création, plusieurs changements se sont produits. Le projet est né grâce à Olivier Jalabert qui a accepté mon projet et que je remercie de m'avoir fait confiance. Mais Olivier est allé chez un autre éditeur. Nous avons donc changé de monteur, avec Cédric Illand qui a également contribué à ce que le projet ait cette finition magnifiée. Mathieu Gabella, le scénariste, avec qui j'ai travaillé sur L'Agent, m'a aidé avec des revisions du scénario et avec la traduction en français.

Quels sont vos projets actuels, parallèlement au tome 2 de Winter Queen ?

Je suis en train de travailler pour un autre grand projet chez Dupuis, mais je ne peux pas en racconter plus pour l'instant.

Le 6 septembre 2023