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Interview de Fred Duval, à propos de Ne lâche pas ma main et de Cinq Avril

Couverture de la BD Ne lâche pas ma main Couverture de la BD Cinq Avril

Découvrez les coulisses des bandes dessinées Ne lâche pas ma main, et Cinq Avril, parues aux éditions Dupuis, en lisant l'interview du scénariste, Fred Duval.

Vous venez de sortir Ne me lâche pas la main et le tome 2 de Cinq Avril, deux albums, qui d’une manière différente vous ont amené à travaillé avec Michel Bussi. Comment l’avez-vous rencontré ?

Cinq avril, c'est une série inédite. C'est un projet inédit qu'on écrit ensemble avec Michel Bussi, contrairement aux adaptations, où là, on achète les droits, où il les relie, et où c'est moi qui fais l'adaptation. Donc, on s'est rencontrés autour de cette idée.. Il n'était pas contre des adaptations, mais il avait surtout des idées de BD. On a sympathisé, et je lui ai présenté un éditeur de chez Dupuis qui habitait à Rouen à l'époque, lors d'un repas qu'on organise avec les auteurs de BD de Rouen tous les mois. On s'est rendu compte à cette première rencontre qu'on avait exactement le même âge, qu'on avait fréquenté la même université, lui en géographie, moi en histoire, et qu’on avait, et qu’on a toujours des amis communs, mais on ne s'était jamais rencontrés. Et donc on a très vite sympathisé. Et quelques mois plus tard, les éditions du Dupuis m'ont appelé en me disant « On va rencontrer Michel Dupuis, vu que c'est toi qui a fait les présentations, ça serait sympa si tu voulais de faire Les nymphéas noirs. » Donc j'ai commencé par lire le roman qui m'a vraiment plu. À priori, le polar, la littérature populaire, j'en ai lu beaucoup quand j'étais jeune et ce n'est plus franchement ce que je lis maintenant. J'ai retrouvé justement un vrai plaisir à retourner vers une littérature que j'avais un peu délaissée depuis longtemps, parce qu'on peut pas tout lire. Après, j'ai vu L'Avion sans aile qui m’a beaucoup plu aussi et, Maman à tort que j'adore. Et puis Ne lâche pas ma main, bien sûr, puisqu'on l'a adapté.

Pourquoi ne pas avoir fait l’adaptation d’Un Avion sans elle, avec Didier Cassegrain, comme pour Les Nymphéas noirs ou Ne lâche pas ma main ?

Quand on a commencé Les Nymphéas noirs, moi, je me suis dit le prochain, c'est forcément Un Avion sans elle. Mais Didier Cassegrain n'a pas voulu le faire.. Chez Aire libre, c'était le trio Bussi adapté par Duval Cassegrain et rien d'autre. Donc, je suis allé voir Glénat avec le projet d'adaptation d'Un Avion sans elle, puisque je savais que Didier ne le ferait pas. Et on l’a fait avec Nicolaï Pinheiro, qui est un très grand dessinateur, mais peut être moins connu que Cassegrain.

Comment avez-vous organisé votre manière de travailler tous les trois ?

Ça dépend. Sur Ne lâche pas ma main, sur les adaptations, ça, vraiment, j'y tiens. C'est important parce que je lis beaucoup d'articles qui disent que Michel est coauteur des BD. Non, il n'est pas coauteur des adaptations BD. Contrairement à Cinq avril, où là, on se partage vraiment le travail. Ça n'a rien à voir. Sur les adaptations,je suis parti du principe que normalement, un auteur de roman vend ses droits, et à moins qu'il ne l'exige, il n'a pas de droit de regard autre que de dire « On a trahi mon droit... » Connaissant Michel, je lui ai dis « Écoute, ce qui serait sympa, c'est que tu aies cette relecture et que je puisse poser toutes les questions que je veux ». Il se trouve qu'évidemment, par moments, il me donne un coup de main parce qu'il corrige ses propres dialogues. C'est un échange entre nous, c'est que du plaisir. Pour lui, c'est un travail de relecture qui est hyper constructif parce que c'est comme un éditeur, sauf qu'il est l'auteur. Par contre, jamais il ne me dit « Non, ça, je n'en veux pas. » Ça n'est jamais arrivé. Il n'y a pas eu de veto. De toute façon, c'est ce que j'avais dit aussi moi au départ, je ne travaillerai pas une adaptation de qui que ce soit si l'auteur initial peut me dire « Non, ça, tu refais ». Ça m'intéresse pas. J'avais une envie d'adapter un auteur américain que je ne citerai pas, puisque ça s'est mal terminé. Dans les exigences de cet auteur américain, il y avait un droit de veto sur le choix du dessinateur. On s'est arrêté là parce que imaginez que moi, je trouve à mes yeux, le dessinateur idéal, par exemple, Didier Cassegrain, pour Les Nymphéas noirs, et que l'auteur américain me dise « Non, moi, Didier Cassegrain, je trouve ça pas terrible. Trouvez quelqu'un d'autre. Ça, c'est pas possible. » Par contre, sur Cinq avril, quand Michel est arrivé avec ce projet, il m'a demandé si j'étais d'accord pour l'aider à le faire. Et là, je ne suis pris au jeu de la coécriture, exactement comme je le fais avec Jean Pierre Pecaux sur Jour J. Donc là, on est dans un échange, on construit maintenant les épisodes ensemble. C'est de la vraie coécriture. Ça, c'est un vrai plaisir parce que Michel a plein d'idées ; il est super dynamique et très réactif. Il a très vite compris ce que c'est que la bande dessinée et le rythme complètement différent du roman. C'est un vrai plaisir.

Comment vous êtes vous recalé avec Michel Bussi, entre ces deux manières de travailler, menées parallèlement ?

C'est une très bonne question. Justement, on n'était pas sûr. Moi, j'avais dit « Attention, ça se passe bien sur les adaptations, mais c'est pas forcé qu'on soit complémentaires sur un travail commun. » Il se trouve qu'on a fait le premier Cinq Avril, et on a essuyé les plâtre. J'ai passé un premier album à beaucoup couper, parce qu'un romancier, n’a pas de limite en nombre de pages. Nous, on en avait 54, on a réussi à négocier 70, parce que ce n'était pas possible autrement. Le premier était vraiment un apprentissage pour lui comme pour moi. Pour moi, de pas me faire piéger par ces idées souvent hyper intéressantes, mais qui prennent beaucoup de place. Donc lui faire comprendre qu'il fallait faire des choix et que la BD, c'est quelque chose de très ramassé et de très sec. Et que si on n'est pas dans le sec, on s'étale et du coup, on ne raconte pas une bonne histoire. On a mis le tome 1 à caler tout ça. Et puis maintenant, ça avance très vite. On a toujours ce petit point un peu rugueux qui est la construction du tome. Parce que c'est là qu'il faut faire le séquencier et faire des choix. Quand je lui dis « C'est sympa ton truc, mais ça fait 90 pages », je vois qu'il fait un peu la mou. C'est là que j'arrive avec ma tronçonneuse, et que j'élague pour essayer de garder l'esprit du projet, tout en le rendant viable. J'apprends énormément de Michel, par exemple dans la manière de raconter, le culot qu'il a pour amener une scène, ce qui n’est pas forcément moi, ma technique. Il y a un vrai échange des deux côtés. C'est ça qui est intéressant.

Comment arrive-t-on à gérer le nombre de planches ?

C'est mon métier depuis 30 ans, donc je sais à peu près d’instinct sur les 54 planches comme pour Cinq Avril, rien qu’en lisant un séquencier ou un synopsis. Par contre, sur les one shot, les Franco belges longs, comme Ne lâche pas ma main, Les Nymphés noirs, ou Un avion sans elle, qui, lui, faisait un peu plus de 160 pages, c'est un gros travail d'adaptation. C'est justement, pour moi, la partie la plus difficile du travail d'adaptateur. Toute cette préparation qui fait qu'à la fin, on a un document où on est capable de dire au dessinateur « Il y aura 150 ou 130 planches. Il y a des dessinateurs qui sont pas à 10 pages près. Ce n'est pas le cas de Cassegrain, par exemple. C'est pour ça qu'il n'a pas voulu faire Un Avion sans elle, d'ailleurs, parce que c'était trop long. Un Avion sans elle, on ne peut pas le faire à moins de 150, 160 pages. Je le savais. Ou alors il fallait sacrifier trop de choses. Didier, m’a dit « Non, moi, je vous aurais fait 120, 130 ». Michel a eu tout de suite dit « Il y a Ne lâche pas ma main, qui est un petit roman plus simple, plus enlevé aussi. C'est une course poursuite, il y a des jolis décors, les personnages sont sympa ». Je l'ai lu et j'ai dit « Oui, effectivement, ça, je peux le faire en 120, 130 pages. » À l'arrivée, on est tombé sur 132 planches, je crois, qu'on a remplies. Quand je prends le bouquin, le roman qui fait en 500, j'ai une première lecture, une deuxième, une troisième. Ça, c'est à peu près trois semaines de travail pour réussir la bonne adaptation, tout reconstruire, restructurer tout en gardant les idées du roman. C'est un boulot, mais, j'adore faire ça. C'est vraiment un plaisir, même si c'est long. Il faut beaucoup réfléchir, il faut beaucoup essayer. J'ai plusieurs montages possibles. Là, je suis en train de faire Maman a tort. Des quatre que j'aurais adapté, Maman a tort est celui où j'ai le plus bougé la structure, par exemple. J'ai vraiment bousculé la structure du roman. Tandis que dans les autres, je l'ai gardé. Là, ça ne commence pas pareil, mais on retombe sur nos jambes. Je respecte tout, toute l'intention du roman, mais pour que ça fasse une bonne BD, je me suis dit qu'il fallait en changer l'approche, donc la structure.

Qu'est ce qui demande le plus de temps à réaliser, une adaptation d’un roman, ou une création ?

En fait, c'est à peu près pareil. Il y a des gens qui pensent que vu qu'on part d’un document, en adaptation, il n’y a pas la partie structure à faire. C'est faux puisque de toute façon, à moins d'adapter vraiment littéralement, mais là, je ne vois pas trop l'intérêt.C'est le document initial qui est long à faire. Après, effectivement, quand on a déjà une partie des dialogues — parce que moi, je m'amuse à les réécrire, mais en gardant les dialogues de Bussi —, comme ça, lui, il les relie, puis au bout d'un moment, il se corrige, c'est très drôle. Quand j'ai créé Renaissance, par exemple, je sais qu'il y aura six albums. C'est prévu. Je suis très organisé, donc je perds un peu de temps au départ, mais beaucoup moins parce que ma structure sort de manière assez évidente. Et puis, j'ai toujours possibilité de dire « Finalement, on va rajouter un tome, on va rajouter un personnage en cours de route », ça peut arriver si on voit qu'on est dans une impasse d'adaptation. Par exemple, dans Un Avion sans elle, j'ai enlevé carrément un personnage. J'ai enlevé un arc complet.

Comment devient-on scénariste de bande dessinée, et comment aborde-t-on la création d’un scénario ?

Ça dépend des générations sûrement, mais jusqu'à pas longtemps, c'est avant tout une envie de raconter une histoire à travers la bande dessinée. Moi, j'ai toujours voulu faire ça. J'ai toujours voulu raconter une histoire, mais en bande dessinée, Renaissance, le monde s'écroule, des aliens qui débarquent pour nous sauver et où l’on est du point de vue d'un extraterrestre, d'un pauvre GI extraterrestre qui a un regard sur nous, les humains. Ça, en soi, c'est un sujet. Donc ça, je vais le construire. Mais après, au moment de découper les planches case par case, de décrire au dessinateur, je déteste démarrer si je ne sais pas qui va dessiner, parce que je n'écris pas, et ne découpe pas pareil selon les dessinateurs. J'écris en fonction de leurs points forts. Je sais qu'avec Didier Cassegrain, je peux quasiment faire tenir une planche rien que sur les personnages, parce que ça va être superbe. Il y a d'autres dessinateurs qui sont peut-être un peu moins forts en personnage, mais qui sont très forts en décor. On va jouer sur la symbolique, sur un accompagnement du dialogue. C'est une question qui me préoccupe beaucoup. Je pense que le dessinateur, quand on est scénariste de BD, c'est notre style, finalement. Le romancier, lui, a son style dans les descriptifs et puis les dialogues. Nous, on a le dialogue, mais pour tout le reste, c'est le dessinateur qui donne le ton, qui donne le style, qui donne l'émotion. Une fois que je dispose de cette collaboration avec le dessinateur, on échange beaucoup. J'aime bien avoir un vrai dialogue. Après, ils ont leur interprétation. Par exemple, je n'indique pas la mise en page. Je ne le verrais pas faire ça. Je décris un rythme, mais je n'indique pas comment la page doit être organisée, parce que ça, c'est purement visuel. Ce regard qu'a le lecteur, ce premier regard sur la globalité de la planche, je suis incapable de l'avoir. Pour moi, la BD, c'est une écriture commune. Le scénariste a ses dialogues, le dessinateur a ses dessins, mais on se rejoint sur l'écriture, c'est à dire la narration, les enchaînements de plans. Et ça, c'est le storyboard. C'est là qu'on a une écriture commune. C'est pour ça que c'est vraiment intéressant quand vous pouvez envoyer un synopsis à l'éditeur. Ensuite, quand il y a la mise en relation entre le dessinateur et vous, vraiment, le travail à ce moment-là commence en plus approfondi.

Çela nécessite de votre part une très bonne connaissance de tous les dessinateurs qu'on peut vous proposer.

Exactement. Mais au stade où j’en suis, à 58 ans, et 30 ans de métier, je vais voir des dessinateurs en leur disant « Tiens, est ce qu'une collaboration dans deux ans t'intéresse ? » Parce que ça laisse le temps. Pour eux, de finir ce qu'ils ont à faire et pour moi, de penser à eux et de faire un projet sur mesure.

Est ce que le tome 3 de Cinq avril est en cours ?

Oui, Michel et moi, on a écrit petite moitié, je pense. Et Noê suit. Il a fait une dizaine de plans, je crois. Ça avance.

Au niveau scénario, vous travaillez sur quels projets en ce moment ?

J'en ai plein. Je vais en oublier. Pour rester dans Bussi, j'adapte Maman a tort pour Glénat, avec un jeune auteur, qui n'a jamais rien publié, qui s'appelle Corentin Garcia, il a 23 ans et sort de l'école Pivaut à Nantes et il habite Rouen comme moi. C'est un vrai apprentissage aussi pour lui, c'est marrant. Je prépare aussi un western assez sympa pour Glénat. J'ai des choses aussi toujours en cours chez Delcourt, dont un projet ambitieux sur la guerre de Sept Ans avec les Iroquois, les Anglais, les Français. Un petit peu avant Fenimore Cooper. Et deux choses importantes, je suis en train de mettre une fin à plusieurs de mes anciennes séries. Celles que je fais depuis toujours, c'est à dire Carmen McAllum, Travis, Hauteville House, tout ça, c'est en train de se terminer. Carmen McAllum est finie, et je suis en train de finir Hauteville qui sortira dans un an. Pour Travis, il y en a un à paraître et puis il en restera deux pour conclure. Tout ce travail démarré dans les années 90, 2000 chez Delcourt, est en train de s'achever parce que je voudrais le remplacer par d'autres choses. On ne peut pas tout faire. C'est bien aussi de finir les séries. Et puis on a le gros dossier du moment, c'est le projet de science-fiction qui va suivre Renaissance, parce que Renaissance s'arrête au tome 6. Là, on a terminé. Mathieu finit des couleurs. Renaissance a été un joli succès. Depuis le début, on s'était dit « Quel que soit le succès, on s'arrêtera au tome 6 pour faire autre chose. Je n'ai plus 20 ans et donc me lancer dans des séries de 20 tomes, n'est plus envisageable de toute façon. Je préfère multiplier.

Combien de temps, globalement, demande, en moyenne, un scénario ?

Ça dépend. En moyenne, une adaptation de Michel Bussi, c'est à peu près trois mois de travail, réparti sur deux ans. Quand je fais un tome 1 de Renaissance, c'est plus de deux mois, deux mois et demi, trois mois de travail. Quand je fais un tome 6, c'est un mois et demi parce que tout est en place. Il n'y a plus que le découpage, on n'a pas besoin de réfléchir aux personnages. Donc ça dépend vraiment. Quand tout a vraiment été correctement préparé, la partie juste de découpage, dialogue, moi, j'écris trois pages par jour, donc ça fait facilement un album par mois. Ça peut aller vite, mais évidemment, je n'écris pas trois pages tous les jours. Par contre, c'est un boulot, je travaille six jours sur sept depuis 30 ans à ne faire que ça. Bon, là, maintenant, cinq jours, parce que je me suis arrêté le samedi, mais pendant presque 30 ans, j'ai travaillé six jours par semaine. Quand on n'a pas de difficulté particulière à écrire et que les idées suivent, forcément, ça tombe.

Avez-vous une anecdote soir sur Ne lâche pas ma main ou sur Cinq Avril ?

Cinq avril, les anecdotes, il y en a, parce qu'on a été faire des repérages avec Noë à Amboise. Ça a été des bons moments. C'est un jeune dessinateur, donc j'avais dit à Noé « Il va falloir que tu passes la première séquence dans la Tour et puis si tu passes ça, ça sera bon. ».

Le 22 juin 2023