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Interview de Fréwé, à propos du Dictateur et le dragon en mousse

Couverture de la BD Le Dictateur et le dragon en mousse

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Le Dictateur et le dragon en mousse, parue aux éditions La Boîtes à bulles, en lisant l'interview de sa dessinatrice, Fréwé.

Comment êtes-vous devenue dessinatrice ?

Quelle étrange question… C'est comme ça. Tout commence peut-être par le regard porté sur la nature. Les fascinants têtards, les myrtilles bleues, l'eau de la fontaine. Que des merveilles. Le dessin est vite devenu une voie privilégiée pour raconter les histoires qui peuplent mon esprit et communiquer avec les autres. J'entre aux arts décoratifs de Strasbourg avec la ferme intention de m'orienter vers l'illustration médicale. Approche scientifique à l'appui. Mais j'aime aussi les mystères, le hors case. Alors, j'obtiens mon diplôme d'illustration assorti d'une solide base de dessin documentaire. Depuis, je suis illustratrice pour la fiction, le documentaire, ce qui n'empêche pas d'écrire et de monter des spectacles, entre autres. La BD a été mon premier élan graphique. Je l'ai laissé longtemps de côté. Je m'y suis replongée plus tardivement, presque par hasard, mais inévitablement, comme si les désirs d'enfance revenaient dans notre parcours de vie. 

Comment avez-vous rencontré Fabien Tillon, le scénariste de cet album ?

J'ai rencontré Fabien Tillon par le biais d'une de ses BD, Le Roi du vent, dessinée par Gaël Remise, qui évoquait les indiens du Chili. Sujet qui m'interpelle. J'avais donc repéré cet auteur. J'ai réalisé mon deuxième roman graphique à La Boîte à Bulles qui soumettait des scénarios cherchant un illustrateur. Il y avait la proposition de Fabien Tillon qui se déroulait en Corée du Nord. La Corée m'intriguait. J'ai dit oui.

Comment avez-vous travaillé avec Fabien Tillon ?

Fabien est venu chez moi pour travailler sur les premières planches. Puis il m'a envoyé son scénario, largement décrit. Je m'immergeais dans son texte pour finalement le mettre en scène à ma façon. Nous avons échangé nos idées, l'une enrichissant l'autre. Un beau partage, rythmé de plaisanteries et d'encouragements. Très importants, les encouragements. Et bien sûr, les esquisses étaient soumises à l'œil aiguisé de l'éditeur Vincent Henry. 

Ce qui surprend dans votre dessin, c'est l'influence asiatique. Certes, le sujet se passe en Corée, mais les pages d'entête des chapitres ainsi que les traits des personnages et les références sont parfaits. Dans votre biographie, il est marqué que vous avez été en Égypte et en Inde. Où avez-vous acquis ce savoir faire du dessin asiatique ?

Merci pour les références parfaites, mais je ne pense pas faire du dessin asiatique. Les pratiques de croquis, du pris sur le vif, et peut-être aussi un zeste « d'état d'esprit » ont peut-être contribué à cette impression. Être le trait avant de le tracer ? Je suis en effet plus attirée par le trait que les valeurs. Le trait qui serpente entre le vide et le plein. Je reste très impressionnée par les dessins de la combe Chaoyang. J'aime cette présence du vide dans les estampes japonaises, quand, par exemple, les nuages invitent la mer à se transformer en montagne. D'ailleurs, pour ce récit du Dictateur et du dragon de mousse, nous avions en fil rouge, la présence de la vapeur, de la fumée. Les nuages du début d'où émerge l'avion au-dessus de Hong Kong. Les volutes de fumée des cigarettes de Kim Jong-il Les fumées d'artifice du film de Pulgasari. La fumée pour le trouble, la confusion, la manipulation. Il y a dans ma documentation, une photo, un peu floue, de Choi Eun-hee serrant la main de Kim au moment de son enlèvement, sur un bateau, par temps brumeux. Sinon, les pages de chapitre, eh bien, résultent tout simplement du travail d'illustrateur, observation, imprégnation, composition… J'ai cherché des dragons, des tigres dans des peintures chinoises ou japonaises. Il y a aussi un souci du détail, ce que je pratique dans mon travail naturaliste. 

Quelles ont été vos influences pour les pages d'entête des chapitres et qui a écrit les textes en coréen ? Est-ce une traduction par un traducteur ou par vous-même ?

Je suis fascinée par les idéogrammes coréens. Si simples et complexes à la fois. Je tenais donc à retranscrire quelques mots en coréen pour rendre hommage à cette culture. Une artiste coréenne, SooYong, a eu la gentillesse de faire la traduction des titres de chapitre.

Avez-vous regardé les films de Shin Sang-ok afin de capter sa façon de voir, mais aussi ses fameux monstres ?

J'ai regardé Pulgasari, ce qui m'a permis de retranscrire quelques séquences. Le film est intéressant pour ses archétypes et ses références sous-jacentes. Le monstre marche avec le peuple pour combattre les oppresseurs, drapeaux rouges en arrière-plan. La goutte de sang donne vie au monstre et la jeune fille se sacrifie. Les lances ont un air de roquettes. Les autres films sont plus difficiles d'accès. 

Comment avez-vous travaillé le dessin, avez-vous utilisé des techniques occidentales ou orientales ?

Les techniques orientales et occidentales ne sont-elles pas entremêlées ? J'utilise le crayon, le feutre et le pinceau pour la partie dite traditionnelle. Les planches au trait sont reprises à l'ordinateur. Elles sont imprimées, puis mises en couleur à l'aquarelle et retour à l'infographie pour des rehauts et des matières.

Combien de temps vous a demandé le dessin de l'album ?

Deux ans ont été nécessaires pour arriver à la planche 126 et trouver la couverture après plusieurs versions.

Avez-vous une anecdote relative à cet album ?

Une anecdote ? Il y a une phrase en alsacien dans l'album. Et puis, quand l'énergie manquait ou que je devais dépasser certaines difficultés, je lançais un grand et tonique « Pulgasari ! ».

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Je viens de finaliser des planches naturalistes pour le conservatoire d'espaces naturels de Lorraine. Un projet BD autour du loup se présente, un autre sur l'Amazonie est en attente. Avec Fabien Tillon, peut-être une histoire autour de la deuxième guerre, en Bretagne.

Le 11 mars 2024