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Interview de Georges Van Linthout, à propos du Maître de California Hill

Couverture de la BD Le Maître de California Hill

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Le Maître de California Hill, parue aux éditions La Boîte à Bulles, en lisant l'interview de son dessinateur, Georges Van Linthout.

Comment êtes-vous devenu dessinateur et auteur de BD ?

Depuis l'école maternelle, je voulais être dessinateur de BD. J'ai donc, dès que l'âge me l'a permis, à 14 ans, entamé des études de dessin à l'école Saint-Luc de Liège. Le cours de BD était optionnel et nous publiions un magazine. C'était la première expérience de publication « sérieuse ». Après ça, j'ai suivi le parcours classique qui consiste à envoyer des projets dans les différentes maisons d'édition. La première fut Dupuis, où j'ai publié une histoire courte de 14 pages dans le numéro spécial 45e anniversaire en 1983. Après cela, un magazine de polar m'a demandé des planches et, directement, le Lombard m'a contacté et j'ai signé mon premier contrat pour des histoires policières adultes. J'ai ensuite créé le personnage de Lou Smog qui a été publié dans le journal Tintin et ensuite en albums.

Comment avez-vous rencontré Laurent-Frédéric Bollée, le scénariste, et comment avez-vous travaillé avec lui ?

Je ne l'ai encore rencontré que via des réunions par écran, ce que je déteste, mais les circonstances… C'est par l'éditeur que le contact a été pris. Bollée souhaitait me proposer le scénario, je l'ai lu et j'ai accroché tout de suite. L'album a été signé, mais je n'ai pu le débuter que bien plus tard. J'avais dû ralentir mon travail pour diverses raisons. Pour ce qui concerne le travail, LF Bollée avait écrit le scénario en entier, ce qui est très confortable. Je disposais donc de tout le découpage et d'une série de repères documentaires. Au fur et à mesure de l'avancée du dessin, je lui soumettais mes planches et si une chose ou l'autre lui posait question, on modifiait. Pareil pour le scénario, en cours de route, il y a des petits boulons qu'on resserre, mais en gros, tout était bien ficelé dès le départ. C'était un travail très agréable mais difficile parce que c'est une période que je n'avais jamais traitée, il a fallu m'adapter. Et puis, les chevaux et les locomotives, ce n'est pas un cadeau.

Comment avez-vous travaillé le dessin ? Le lecteur a l'impression, en voyant les textures derrière les ombrages de gris, que vous avez utilisé un papier à gros grain.

J'utilise du papier aquarelle. L'impression un peu sombre fait, à mon avis, un peu trop ressortir la structure du papier. Mais il s'agit effectivement d'un papier particulier.

Quel matériel avez-vous utilisé pour réaliser Le Maître de California Hill ?

Je travaille au crayon et à l'aquarelle. Juste un crayon, souvent HB, un pinceau et une pastille d'aquarelle. C'est tout.

Dans un livre en noir et blanc, comme celui-ci, faites-vous l'ombrage à la fin du livre ou au fur et à mesure ?

Je dessine la planche au crayon sur un format A3. Ensuite je scanne le trait que je nettoie un peu et que je contraste. Je l'imprime sur le papier aquarelle dans un format proche du format de parution et je passe l'aquarelle sur cette feuille au fur et à mesure de la réalisation des planches.

Pages 58 à 61, le scénario s'attarde sur une aparté, la passion de Leland Stanford pour les automates. La double page 60-61 offre ainsi un découpage très particulier dans le récit. Pourquoi ce choix de mise en page ?

Comme dans la scène du meurtre que commet Muybridge, nous avons pris le parti d'adopter le système photographique de Muybridge qui consistait à découper le mouvement en un certain nombre d'images de format identique. C'est d'ailleurs ce qu'on voit sur le plat arrière de l'album. C'est un petit clin d'oeil graphique au personnage du photographe et un plaisir de découpage. Ce n'est pas, au contraire de ce qu'on peut croire, très facile à réaliser. J'ai d'ailleurs monté, pour moi, une petite animation image par image afin de vérifier que ça fonctionnait.

Page 128, Laurent-Frédéric Bollée questionne sur la transfiguration de la réalité, à l'époque, du fait du cinéma. Ne pensez-vous pas que la même question se pose actuellement à propos de l'intelligence artificielle qui produit des images altérant la réalité ?

Bien sûr. Mais ça a toujours été une question depuis l'invention de la photographie, du cinéma et même avec la peinture, cette question se pose. Je pense même que c'est encore plus vrai avec l'intelligence artificielle et qu'il peut y avoir un danger. On n'a cependant pas attendu l'intelligence artificielle pour effacer des personnages sur des photographies, songeons à l'ex-URSS, par exemple. L'image sert aussi à transfigurer la réalité. C'est comme pour tous les outils, tout dépend de celui qui l'utilise.

Combien de temps vous a demandé le dessin de l'album ?

Quand j'ai pu m'y mettre à temps plein, ça m'a pris pas loin de 2 ans. Le projet, quant à lui, remonte à 4 ans.

Avez-vous une anecdote relative à cet album ?

L'anecdote, c'est qu'au moment où nous terminions cet album, nous avons découvert qu'une autre BD parlant du personnage de Muybridge, une biographie, allait sortir. Ce thème n'avait jamais été exploité et voilà que deux albums sortent presque en même temps. Bon, le nôtre n'est pas une biographie, c'est une histoire romancée avec de vrais choix de scénario romanesque de la part de Bollée qui ne voulait surtout pas s'en tenir à une biographie. Il insiste d'ailleurs beaucoup plus sur le personnage de Stanford et la relation entre lui et Muybridge.Les deux albums sont finalement très différents et peut-être complémentaires.

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Je commence le dessin du 6e album de ma série Brian Bones aux éditions Paquet avec Rodolphe au scénario. Changement total de style et d'univers, mais j'aime le changement. J'ai un autre projet avec Rodolphe qui parlera de Broadway, une série d'histoires courtes racontées par une espèce de fantôme, un projet avec mon ami Pascal Bresson qui est à l'état d'ébauche pour ce qui me concerne, mais que je souhaite réaliser. Enfin, un album de mon personnage Lou Smog. Je suis en train d'écrire un nouveau scénario après 33 ans d'abandon et enfin un scénario que j'écris pour Stibane sur la série que nous réalisions pour Casterman : Les enquêtes Scapola !

Le 18 février 2025