Interview de Gilles Macagno, à propos de Vingt mille yeux sous les mers

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Vingt mille yeux sous les mers, parue aux éditions Delachaux et Niestlé, en lisant l'interview de son auteur, Gilles Macagno.
Vous disiez pour Mauvaise réputation : « Mon scénario, c'est un storyboard. Je n'écris pas. Je ne passe pas par la phase texte, dialogue. » Comment arrivez-vous à savoir, en partant d'emblée sur le storyboard, quel nombre de pages va vous prendre telle ou telle partie, la taille globale de l'album, ceci en n'ayant rien oublié et en ayant intégré la mine d'informations que vous mettez dans chaque album ?
La taille de l'album, c'est écrit sur le contrat : 96 pages. Donc un peu moins de planches. C'est bien comme ça, car ça impose une sorte de limite et pousse à aller à l'essentiel. Dans mon storyboard, il y a du texte, du dialogue – souvent illisible ! En fait, je me dessine l'album avec ces griboullis. Je travaille de façon linéaire, de la première à la dernière page, et j'avance chapitre par chapitre (même s'ils ne sont pas explicites, c'est décomposé en chapitres). Quand j'aborde un chapitre, par exemple l'océan Arctique, je fais le point sur ce que je sais, ce que j'ai envie de raconter, je lis des articles sur le sujet où je découvre des choses que je ne savais pas et qui sont intéressantes, et après ça, je dessine, je raconte. Il y a des tas de trucs que j'oublie sûrement.
Quel ordre scénaristique avez-vous retenu pour Vingt mille Yeux sous les mers ?
L'océan Atlantique, l'Arctique, le Pacifique, l'Antarctique, l'Indien, la mer Rouge, la Méditerranée. L'idée étant un tour du monde des océans, c'était logique de partir de là où j'étais (la Bretagne) et d'y revenir. Pour établir le trajet plus précisément, je me suis aidé par une spécialiste des océans qui travaille à Océanopolis, à Brest. On a déterminé ensemble les étapes qui valaient le coup, les sujets à traiter : là les morses, ici les fonds océaniques… J'ai ensuite construit la BD avec la carte de ce trajet sous les yeux. Je regrette de ne pas avoir pu l'intégrer à la BD (plus de place !).
Comme à votre habitude, vous n'hésitez pas à dénoncer dans vos histoires. Que ce soit le silence de l'État français sur son passé militaire (cimetière marin au large de Brest, ou encore les essais nucléaires de de Gaulle), mais aussi le massacre qui a lieu chaque année aux îles Féroé, cautionné par le Danemark, qui ferme les yeux en échange de l'exploitation des ressources des îles… On retrouve ce genre de message, éveillant la conscience, dans plusieurs de vos livres, dont Mauvaise réputation. Vous êtes enseignant, est-ce pour vous une manière d'enseigner aux adultes, et est-ce un des moteurs de vos livres que de sortir des ornières de la lobotomisation d'État, qui existe bel et bien grâce à la complicité des médias ?
C'est exactement ça !
Dans Mauvaise réputation, vous avez bénéficié de la très grande quantité d'informations sur les animaux terrestres. Dans Vingt mille yeux sous les mers, vous vous heurtez au fait que la faune et la flore sous-marine est nettement moins documentée et surtout encore très peu connue, vous le soulignez d'ailleurs dans votre ouvrage. N'était-ce donc pas plus compliqué de réunir des informations récentes et fiables ?
Effectivement, on connaît sans doute très mal le monde océanique. Que font les baleines de leurs journées ? Y a-t-il des calmars encore plus géants que le calmar géant ? Comment font les animaux abyssaux pour se rencontrer dans le noir ? À chaque exploration d'une portion d'océan, on trouve de nouvelles espèces. C'est plutôt fascinant. Pour ce qui est de la fiabilité des informations, c'est toujours le même problème, j'essaie de recouper plusieurs sources ou alors je ne m'avance pas trop. Un exemple ; le calmar géant. On lit souvent qu'il peut atteindre huit ou dix mètres, voire plus. Mais ça, c'est avec les tentacules étirés au maximum, et hors de l'eau. En fait, son corps fait plutôt trois à quatre mètres.
Dans Mauvaise réputation, nous retrouvions le professeur Noyau, qui semble avoir plusieurs points communs avec Gilles Macagno. Outre les lunettes rondes, on retrouve chez ce cher professeur Noyau un amour de raconter et de transmettre. Ne serait-ce pas, un peu, vous en personnage BD ? D'ailleurs, à quel moment est né ce personnage ? Et le retrouvera-t-on dans un prochain album ?
Il est apparu dans mon premier livre de science, consacré aux cellules et paru en 2000 ! C'est son dixième livre. Il est bien plus titré que moi puisqu'il est professeur de zoologie, de botanique, d'évolutionnologie, de paléontologie, de naturologie et président de la prestigieuse Université de Trou-les-Pommes. Alors oui, il sera encore là dans le prochain.
Avez-vous changé votre manière de travailler graphiquement par rapport à Mauvaise réputation ?
C'est un album plus contemplatif. On est plus dans l'exploration, la découverte, donc des plans plus larges, des paysages, de l'espace… Ici, c'est moi qui ai fait les couleurs (c'était ma fille dans le précédent, qui est en fait créatrice de dessins animés). Il y a plus d'humains aussi, puisque le professeur Noyau est accompagné de Pythia, une navigatrice hors pair et ils voyagent sur un joli ketch rose. Il a fallu que je me renseigne un peu sur les bateaux, car je n'y connais absolument rien.
Qui fait le choix de la typographie dans vos albums ? Car ils sont très lisibles malgré de nombreux textes. Comment prévoyez-vous la taille des bulles pour que cela soit si facilement lisible, car vous n'avez pas, au moment du dessin, la place prise par le texte dans la typographie ?
On a choisi la typo avec l'éditeur, non sans mal. Une typo claire, lisible qui colle le mieux possible avec le dessin. Idéalement, il faudrait que j'écrive tout à la main, mais mon éditeur doit trouver que j'écris trop mal… Et puis ce serait nettement plus long. Pour la place des bulles, quand je dessine une planche, j'ai quand même une idée du texte à mettre. S'il est long, je vais laisser plus d'espace. Ce n'est sans doute pas la meilleure façon, car il y a quelques ratés…
Avez-vous une anecdote relative à la création ou aux recherches nécessaires pour faire Vingt Mille Yeux sous les mers ?
Je suis très rarement monté sur un bateau. Mais c'est lors d'une journée de découverte du catamaran que j'ai eu envie de faire ce livre. Ensuite, à part la mer d'Iroise, je n'ai jamais visité en vrai les endroits présentés dans le livre. Pourtant, je l'ai construit comme un vrai voyage, et j'ai eu l'impression de le faire pour de vrai. Quand j'aborde les îles Féroé, par exemple, je découvre – par des photos ! – à quoi elles ressemblent et apprends qu'on y massacre joyeusement des dauphins. J'arrive vers Madagascar, et je vois qu'il y reste encore de magnifiques mangroves… J'espère que cet aspect voyage découverte sera ressenti par les lecteurs, car ce fut un vrai plaisir.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Je suis – enfin le professeur Noyau, plutôt – à la recherche de l'animal le plus intelligent du monde. Ce n'est pas si simple…
Interview de Gilles Macagno, à propos de Mauvaise réputation : Plaidoyer pour les animaux mal aimés
Le 28 octobre 2023