Interview de Grégory Delaunay, à propos de La Meute

Découvrez les coulisses de la bande dessinée La Meute, parue aux éditions Delachaux et Niestlé, en lisant l'interview de son auteur, Grégory Delaunay.
Comment êtes-vous devenu illustrateur naturaliste ?
Aussi loin que remontent mes souvenirs, j'ai toujours aimé dessiner. Je me suis lancé comme peintre illustrateur professionnel en 2001. La nature a toujours été présente dans mes peintures ou illustrations, j'ai vécu dans les gorges du Verdon, et maintenant dans le Lubéron, alors elle est présente au quotidien. Mais depuis 7 ou 8 ans, je me suis vraiment passionné pour la faune sauvage, d'un point de vue plus naturaliste, plus engagé aussi, en devenant bénévole à la LPO PACA, en adhérant à d'autres associations comme L'ASPAS ou FERUS ou, plus récemment, le CEN PACA. Je participe à de nombreux suivis naturalistes d'espèces protégées autour de chez moi, à des comptages, des prospections. Alors mon travail a forcément suivi. Professionnellement, je ne me considère pas à strictement parler comme un illustrateur naturaliste, mais c'est une bonne part de mon activité.
Comment est née l'idée de faire une BD sur les loups ?
C'est venu progressivement et naturellement. Lorsque les loups sont revenus de l'Italie vers la France, ils sont très vite arrivés dans mon département qui est frontalier. Alors forcément, quand on aime la faune sauvage, on tend l'oreille, on s’intéresse, puis on se passionne. L'animal est fascinant, il était là, pas loin de moi, de plus en plus proche selon les témoignages au fil du temps. Lorsque j'ai commencé à faire mes premières observations, l'idée d'en faire une BD s'est imposée. Pour moi, la BD est un bon moyen de sensibiliser le grand public et de lever toutes ces couches poussiéreuses de contes effrayants et de vieilles « traditions ». J'ai tout de suite voulu en faire une BD naturaliste, raconter ce que pouvait être la vie d'un loup au XXIe siècle, et non une fable romancée. Alors, lorsque les éditions Delachaux et Niestlé m'ont appelé pour me dire que le projet les intéressait, ça a vraiment été pour moi une immense joie : ma bibliothèque est remplie des guides et des livres de cette maison d'édition reconnue au plus haut niveau dans le milieu naturaliste. Et maintenant, je peux dire en plus que c'est une super maison d'édition : travailler avec eux a été un vrai plaisir.
Vous suivez une meute de loups depuis deux ans. Comment arrivez-vous à approcher et observer ces animaux ?
En fait, le suivi d'une meute de loup ne se fait pas (sauf dans le cadre d'un reportage animalier sur le terrain), directement en « contact » avec les animaux. Les loups sont des animaux extrêmement discrets, et les voir ou les apercevoir est très difficile. Comme ce sont aussi des animaux craintifs vis-à-vis de l'homme, il vaut mieux éviter d'être trop présent sur le terrain pour éviter tout dérangement. Le suivi se fait donc indirectement, en installant en nature des « pièges photographiques », des caméras à déclenchement automatique avec des leds infrarouges pour les scènes de nuit. Elles se déclenchent et filment au passage d'un animal. Au début, on tâtonne, trouver un territoire n'est pas simple. Luc, un ami naturaliste, m'a donné les premiers conseils. Puis avec le temps, j'ai appris sur le terrain. On relève des traces des empreintes, des indices de présence (crottes, restes de proie). On finit par « sentir » l'animal (au figuré, mais pas que !), comprendre par où il serait susceptible de passer. Et enfin, on arrive à réaliser le suivi d'une meute, c'est-à-dire à déterminer combien il y a d'individus dans la meute, s'ils se reproduisent, quel est à peu près le territoire, ce qu'ils chassent, etc. Malheureusement, le suivi de la même meute dans le temps reste très aléatoire, surtout par chez moi où les tirs, légaux ou bien par braconnage, sont très nombreux et déstabilisent complètement les meutes, voire parfois les exterminent entièrement.
La photo en page de garde est celle de quel loup dans la meute ?
Cette photo est celle d'un louveteau de 5 mois environ, que j'ai eu la chance d'observer avec 3 autres louveteaux lors d'un affût à l'aube, cette fois en direct, et qui se retrouve forcément dans la BD.
Comment avez-vous travaillé le scénario de La Meute ?
Pour le scénario, j'ai cherché quelles étaient les grandes étapes de la vie d'un loup, de la naissance à la mort, en passant par la reproduction, la dispersion (quête d'un nouveau territoire), ainsi que les grands thèmes à aborder quant aux problèmes qu'il peut rencontrer comme l'urbanisation, le braconnage, ou bien qu'il peut causer comme l'élevage ou la crainte chez l'homme. J'ai ensuite imaginé le parcours d'un loup se confrontant à ces problèmes. Dans la réalité, certains loups ont une vie plus tranquille, et d'autres une vie beaucoup plus courte et plus tragique.
Avez-vous respecté les étapes traditionnelles de la réalisation d'une BD, à savoir synopsis, scénario, storyboard, crayonné, encrage, ou avez-vous shunté certaines étapes ?
J'ai plus de 50 ans, je suis de l'ancienne école (mes auteurs préférés sont Bourgeon, Bilal, Hermann…) Et je travaille donc « à l'ancienne » : synopsis et scénario à l'écrit, puis storyboard, crayonné, dessin préparatoire au crayon, encrage à la plume et couleurs à l'aquarelle.
Comment avez-vous travaillé le dessin ?
Je commence toujours mes dessins sur des feuilles libres, hors case, pour être libéré du format et du cadrage. Lorsqu'un dessin me convient, je le recadre pour qu'il convienne à la case souhaitée. Il m'arrive de changer la dimension en le scannant et en l'imprimant à l'échelle. Puis je le reporte au propre, au crayon, sur la planche finale à l'aide d'une table lumineuse. Ça me permet d'avoir une planche propre pour la mise en couleur. Là, j'effectue l'encrage à la plume. Ce n'est pas ce que je préfère, j'ai d'ailleurs hésité à laisser juste le crayon et la mise en couleur.
Comment travaillez-vous la couleur ?
J'ai toujours peint à l'aquarelle et j'ai gardé cette technique pour La meute, car ça donne un côté dessin naturaliste qui convient bien au sujet. Je travaille en couleur directe, sur la planche originale. C'est un risque, car si on se loupe, il faut tout refaire, dessin compris, mais ça donne un vrai cachet en plus pour les planches…Lorsque j'ouvre une BD, avant le scénario, et avant même le dessin, ce qui m'accroche en premier, c'est la couleur. J'ai beaucoup aimé le travail de Michel Crespin, avec la série Troubadour, ou aujourd'hui les superbes albums à l'aquarelle de Patrick Prugne.
Combien de temps vous a demandé, au total, l'album ?
Aïe ! La question que l'éditeur ne doit pas lire ! Je travaille lentement et, malheureusement, j'ai eu des soucis de santé en cours, du coup j'y ai passé presque deux ans en tout. Mais heureusement pour moi, l'éditeur m'a totalement soutenu et je les en remercie encore !
Avez-vous une anecdote relative à cet album ?
Oui, relative aux loups. J'avais envoyé des dossiers aux maisons d'édition. Dans le même temps, je faisais donc du suivi de meute sans jamais avoir vu un loup en vrai, en rêvant que ça m'arrive. Un matin, je pars en affût photo dans une clairière où j'avais remarqué à deux reprises un beau renard. Je m'installe alors qu'il fait encore nuit. Alors, que le jour se lève à peine, je distingue deux formes à une quinzaine de mètres de moi. J'ai tout de suite compris. Il s'agissait de deux louveteaux ! Ils se sont ensuite rapprochés à 5 mètres, sans me voir. Puis sont repartis rejoindre deux autres louveteaux. Ils attendaient les parents. J'ai pu les observer plus d'un quart d'heure, un rêve inespéré ! Trois semaines après, je les ai revus pendant plus de dix minutes, toujours tranquilles à attendre leurs parents (que je n'ai jamais vus). Et lors du retour à la voiture, en rallumant mon téléphone, j'avais un message de l'éditeur me disant que le projet les intéressait !
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
Depuis que j'ai terminé La meute, j'ai surtout fait des peintures à l'aquarelle, mais je travaille aussi à un autre projet de BD. Je n'en suis qu'au scénario pour le moment, un peu de story-board. Ce sera totalement différent puisqu'il s'agit d'une histoire dans un futur post-apocalyptique. Mais la faune sauvage sera quand même le fil conducteur !
Le 6 mars 2025