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Interview de Griffo, à propos de Nello et Patrasche

Couverture de la BD Nello et Patrasche

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Nello et Patrasche, parue aux éditions Kennes, en lisant l'interview de son dessinateur, Griffo.

Comment êtes-vous devenu dessinateur ?

D'après mes parents, ils ne m'ont pratiquement jamais vu sans un crayon, haha ! D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours dessiné. Je dois ajouter que mon père et mon oncle étaient tous deux des artistes et des peintres amateurs, et qu'il y avait des cours de L'« École des artistes célèbres » qui traînaient. Je n'oublierai jamais l'odeur de la peinture à l'huile et de l'encre de Chine. Un parfum merveilleux Vers l'âge de 7-8 ans, j'écrivais dans un cahier d'écolier des sortes d'histoires de chevaliers qui étaient ensuite un prétexte pour les illustrer. J'ai dressé des listes d'objets que j'aimais dans les albums de Suske en Wiskes et de Nero, comme les véhicules, les armes qui y apparaissaient, etc. Je les dessinais ensuite pour ma documentation ! À neuf ans, les choses sont devenues plus sérieuses, puis je suis allé à l'école St Luke le dimanche matin où il y avait des cours de dessin. C'était passionnant. On n'y voyait rien des influences « modernes » ultérieures. Nous apprenions à dessiner des cubes, des sphères et des têtes grecques au fusain. Le style de l'art en quelque sorte. J'ai été tellement mordu par le virus du dessin que je voulais absolument aller à l'académie des beaux-arts pour continuer dans cette voie. (la même académie qui, soit dit en passant, apparaît dans Nello et Patrasche lorsque Nello va rendre son examen).

Le verso de la couverture de Nello et Patrasche explique que : « Cela faisait quelques années déjà que Griffo souhaitait rendre hommage à sa façon à un conte de Noël de son enfance. » Qu'est-ce qui vous a marqué dans cette histoire, et comment s'est déroulée son adaptation en bande dessinée ?

Comme j'ai naturellement dévoré des bandes dessinées pendant toutes ces années, les histoires elles-mêmes m'intéressaient aussi beaucoup. Dessiner des bandes dessinées devenait de plus en plus une obsession. Je m'intéressais particulièrement aux contes de fées et aux contes populaires. Je crois que ma première histoire a été John Fearless. Plus tard, des noms comme Charles Dickens, Stevenson et d'autres se sont ajoutés. À partir des années 1990, j'ai cherché des histoires qui se déroulaient dans notre région et je suis tombée sur l'histoire d'Un chien des Flandres de Ouida/­Marie-Louise de la Ramée, contemporaine de Dickens. L'histoire, parfois un peu banale, avait besoin d'un « lifting » pour un public contemporain. Nous avons ajouté le point de vue de Ouida, qui commence et termine l'histoire. Moi-même, j'ai cette histoire en tête depuis trop longtemps pour pouvoir y réfléchir sobrement. L'idéal était de trouver un scénariste néerlandophone et de préférence de la région d'Anvers pour conserver cette sensibilité locale. Je me suis donc risqué à contacter le gratin de la bande dessinée flamande dans l'espoir de l'intéresser à ce projet. Ce scénariste, c'est bien sûr Marc Legendre, connu pour la série Biebel et bien d'autres séries bien connues. Par coïncidence, nous sommes également tous deux des expatriés vivant aux îles Canaries, bien que sur des îles différentes. Cela crée un lien et une certaine nostalgie pour notre ville natale qui est utile à l'esprit de l'histoire.

L'histoire de A Dog of Flanders est vraie et est très connue dans des pays comme le Japon, la Corée du Sud, la Russie, l'Ukraine ou les Philippines. Il y a d'ailleurs plusieurs animés japonais ayant adapté cette histoire, comme A dog of Flanders, My Patrasche ou Snow Prince. Comment expliquez-vous ce succès dans des pays si lointains, alors que l'histoire est quasi inconnue en France ?

Au cours de mes recherches antérieures, j'ai découvert que l'histoire était très populaire dans des pays comme le Japon, la Corée du Sud, l'Ukraine, les Philippines, etc. Plusieurs films d'animation sont apparus, mais rien dans la direction que j'avais en tête. J'ai demandé un jour à une Japonaise ce qui intriguait tant le public oriental dans cette histoire. La mythologie japonaise met souvent en scène un héros qui défie le mal mais succombe à sa suprématie sans perdre son intégrité, puis se relève glorieusement. Ce fait est en effet proche de l'histoire de Nello et Patrasche.

Batist Vermeulen est originaire de Gand, donc Flamand comme vous. Il a réalisé la sculpture de Nello et Patrasche que l'on peut voir à Handschoenmarkt, à deux pas de la cathédrale où moururent Nello et Patrasche. Pouvez-vous nous parler de l'importance de cette identité flamande pour les Belges, dans un pays scindé en trois communautés, francophone, flamande et germanophone, qui complique les relations intérieures et les repères culturels.

Moi-même, comme beaucoup de Flamands, je suis très anglophile, d'où mon intérêt pour la littérature anglaise, qui diffère de la littérature française. En général, les gens en France sont moins liés à cette littérature. Je travaille souvent avec Rodolphe avec qui, par exemple, j'ai fait l'histoire Dickens & Dickens et une adaptation du Diablotin de la bouteille de Stevensen. Rodolphe est l'un des rares anglophiles français dans le monde de la bande dessinée.

Comment avez-vous travaillé le dessinpour cet album, et combien de temps vous a-t-il demandé ?

En ce qui concerne ma technique pour Nello&Patrasche, j'ai tout dessiné sur du papier Schoeler et j'ai ensuite corrigé le tout sur Photoshop ainsi que la mise en place des textes. Très classique en fait. Pour la documentation, je me suis surtout inspiré du fantastique album Photographie et réalisme au ⅩⅨe siècle qui montrent de vieilles photos de 1847 à 1880, de Herman Van Goethem. Un livre de photos à couper le souffle pour ceux qui veulent se perdre dans la vieille ville, comme le chanterait Wannes Van de Velde ! Armé de cette documentation et de la belle et originale édition de Marc Legendre, nous nous sommes rapidement mis au travail et comme Shirow Di Rossi s'occupait des couleurs, nous avons pu terminer l'album assez rapidement. Un an à peu près. Je pense que les couleurs sont très réussies. Di Rossi lui a donné une touche nostalgique qui nous ramène dans le temps.

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Les projets ne manquent pas, mais le temps manque pour les mener à bien. Rodolphe et moi venons de terminer un triptyque dont le troisième album paraîtra en septembre sous le titre Utopie chez Delcourt. Comme je l'ai dit, nous travaillons sur La main du Diable qui paraîtra prochainement chez Nicolas Anspach, et en ce moment je travaille aussi avec Rodolphe sur un roman graphique, d'après une histoire de Balzac : La Peau de chagrin, qui pour nous sera un simple Chagrin, un joli mot à l'ancienne, n'est-ce pas ?

Couverture alternative de la BD Nello et Patrasche
« La couverture refusée pour l'édition française. Personnellement, c'est celle que je préfère. » Griffo.

Le 3 septembre 2024