Interview de L'homme étoilé, à propos de Je suis au-delà de la mort

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Je suis au-delà de la mort, parue aux éditions Le Lombard, en lisant l'interview de son auteur, L'homme étoilé.
Dans les remerciements, vous écrivez : « Merci à ce patient dont j'ai oublié le nom qui, un matin d'été 2009, m'a inspiré l'histoire de Jean ». Pouvez-vous nous en dire plus sur la genèse de Je suis au-delà de la mort ! ?
Je suis au-delà de la mort ! m'a été inspirée par un échange avec un patient auquel on venait d'annoncer l'arrêt de ses traitements. C'était la première fois que j'étais confronté à une situation d'échec thérapeutique et j'ai ressenti le besoin de m'attarder au chevet de ce monsieur pour comprendre comment il cheminait à travers cette nouvelle qui rendait l'idée de sa mort plus concrète. Nous nous sommes retrouvés autour d'un rêve commun de Norvège. En le quittant, j'ai éprouvé le besoin de découvrir ce que la médecine pouvait proposer à toutes ces personnes qu'elle n'est plus capable de guérir. C'est donc suite à cette rencontre que j'ai également découvert les soins palliatifs où j'ai pu exprimer plus de 10 années durant ma passion pour le soin relationnel. Je n'ai jamais oublié ce patient et, au fil des années, je me suis plu à greffer une histoire autour du souvenir de notre rencontre.
Vous remerciez également l'équipe du Lombard « pour avoir cru en ce projet si cher à mon cœur ». Qu'est-ce que représente pour vous cette BD ?
Là où À la vie ! et Je serai là ! ont été de merveilleuses opportunités, Je suis au-delà de la mort ! répondait à un rêve d'enfant : écrire une histoire qui n'existe pas et l'enfermer dans 280 pages avec des cases et de la couleur, comme les BD que j'ai aimé lire étant petit.
Comment sont accueillis vos dessins et vos BD par les malades du service où vous travaillez ?
De manière générale, j'essaye de scinder les espaces et je ne fais pas la promotion de mon travail d'auteur à l'hôpital. Reste qu'à l'occasion d'une anecdote touchante ou amusante, il m'arrive de leur partager mon interprétation dessinée de nos souvenirs. En retour, ils me partagent toujours un grand sentiment de reconnaissance. Ces moments que je fige sur le papier, c'est ma manière de leur offrir leur petite part d'éternité.
Je suis au-delà de la mort fait 273 planches. Comment avez-vous travaillé le scénario de Je suis au-delà de la mort et le découpage du storyboard sur un tel nombre de pages ? Aviez-vous une limite lors du contrat d'édition ?
Je n'ai envoyé qu'une trame de l'histoire à mon éditeur. On avait signé pour 200 pages de mémoire. J'avais les grands chapitres du récit en tête et, entre eux, je me suis vraiment laissé aller à l'improvisation. Pas de storyboard préalable ou de découpage de l'histoire. J'écoutais de la musique, je fermais les yeux, je rentrais dans le t-shirt de Jean ou dans la blouse de Frank et je les laissais m'emmener où ils le souhaitaient, puis je posais ça sur le papier. J'ai aimé cette manière de composer l'histoire. C'est ce qui, je crois, lui confère autant de spontanéité.
Jean, Frank et les autres sont d'une rare humanité. Bjørn, l'infirmier, est par exemple « un marshmallow dans une armoire à glace ». Ce personnage n'aurait-il pas été inspiré par vous-même ?
À vrai dire, le personnage de Bjørn m'a été inspiré par un collègue aide-soignant. C'est davantage le personnage de Frank que je vois comme une métaphore de cet “homme étoilé” que j'œuvre à être au chevet de mes patients. Là où Jean campe sur le paysage désolé de son existence, Frank lui montre un autre chemin. La vraie question que je me pose, c'est : Pourquoi sommes-nous à ce point déconnectés de cette humanité en nous ?
Ce qui caractérise Je suis au-delà de la mort, ce sont les dessins, très ronds, très cartoon, et le choix du cadrage, très serré autour de la tête des personnages, alors que pourtant vos personnages n'ont pas toujours de bouche. Pourquoi ces choix ?
Ce sont des choix sans en être. Je fais tout ça de manière très instinctive. Je pense que le cadrage très serré tient du fait que j'aime le travail sur l'expression des émotions. Avec un trait aussi simple, ça tient à peu de choses, mais j'ai à cœur d'être le plus juste possible. Quant au dessin très rond, je le voyais comme un vrai défi : raconter une histoire difficile avec un trait résolument cartoon sans paraître dissonant. Ça permettait également d'y insuffler beaucoup de légèreté.
Vous travaillez sur quelle tablette et avec quel logiciel ?
Essentiellement sur IPad Pro avec Procreate.
Les personnes vous suivant sur Instagram sont habituées à voir vos dessins noir et blanc. Ici, l'album est en couleurs. Est-ce un choix de l'éditeur, ou est-ce vous qui avez souhaité utiliser la couleur sur une histoire faisant plus de 250 planches ? Quel effet cela fait-il de (re)découvrir son dessin une fois celui-ci colorisé ?
Non, c'était un vrai désir de ma part de proposer une BD plus traditionnelle avec des cases et de la couleur. Je ne réalise pas les couleurs moi-même car j'ai un problème de perception des couleurs qui me rend la colorisation compliquée. Et puis, c'est un vrai métier et une vraie science dont je ne maîtrise que les rudiments. Par conséquent, c'était un vrai bonheur de voir Jean et Frank prendre les couleurs de la talentueuse Hélia !
Comment avez-vous travaillé avec Helia, la coloriste, lui avez-vous envoyé les planches par paquet, ou à la toute fin de l'album, afin de pouvoir faire des retouches sur votre dessin si nécessaire ?
Je suis un vrai obsessionnel du contrôle donc j'avais besoin de pouvoir tout maîtriser. J'ai laissé peu de place à l'improvisation même si Hélia m'a fait de multiples propositions au fil de son travail. Je lui ai envoyé des lots de 20 à 30 pages avec des consignes case par case.
Combien de temps vous a demandé la réalisation de Je suis au-delà de la mort ! ?
C'est difficile à quantifier parce que j'ai passé plus de 10 ans à modeler et façonner cette histoire dans ma tête. Mais disons qu'à partir du jour où c'est devenu officiellement un projet éditorial, j'ai passé un an et demi à bosser nuit et jour dessus (même quand je ne dessinais pas).
Avez-vous une anecdote relative à cet album ?
Si Je suis au-delà de la mort ! est une fiction, elle reste très inspirée par un tas d'anecdotes qui ont jalonné mon parcours de soignant. De l'anecdote de la fugue à celle de la bouteille de champagne, rien ne s'est passé tel que présenté dans la BD, mais tout part d'un souvenir ou d'un fantasme. Concernant la bouteille de champagne par exemple, elle vient d'un pari gagné avec un collègue médecin. Ce dernier avait mis une bouteille de champagne en jeu. La bouteille qu'il m'a offerte venait de sa réserve personnelle (essentiellement des cadeaux de patients) dans l'armoire derrière son bureau. Je me suis dit que ce serait amusant qu'un patient décide de lui en piquer une à l'occasion d'une consultation…
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
J'achève ma prochaine BD qui signera un retour à mes anecdotes d'accompagnement. Il s'agira d'une nouvelle galerie de portraits et de rencontres. Certaines sont touchantes, d'autres amusantes et tendres, d'autres encore sont plus dures… Ensuite, j'attaquerai ma prochaine fiction qui représente un gros enjeu scénaristique pour moi. Il s'agit également d'une histoire que je façonne depuis plus de 10 ans et j'ai hâte de la poser sur le papier et de la partager parce que je crois qu'elle va être très forte :)
Le 9 décembre 2023