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Interview d'Isabelle Bedouet, à propos de La Folle histoire des sœurs Papin

Couverture de la BD La Folle histoire des sœurs Papin

Découvrez les coulisses de la série BD La Folle histoire des sœurs Papin, retraçant l'affaire Papin de 1937, en lisant l'interview de son autrice, Isabelle Bedouet.

Vous avez écrit en 2016 Le crime des sœurs Papin, les dessous de l’affaire. Vous rempilez en 2023 avec une bande dessinée sur le même sujet, La folle histoire des sœurs Papin. D’où vous vient cet intérêt pour l’affaire Papin ?

Déjà, je suis du Mans, même si je n’y habite plus aujourd’hui, et cette affaire m’a intéressé, car j’en ai entendu parler quand j’étais petite fille. Quand j’ai fait mon mémoire de fin d’études de psychologie clinique, je me suis intéressée à la psychose, et l’affaire Papin est la voie royale pour traiter ce sujet.

Ce mémoire a finalement été au-delà du mémoire de fin d’études et vous vous êtes passionnée pour cette affaire au point de découvrir un point oublié de l’Histoire.

J’ai fait une longue enquête de dix ans, et suis venue au Mans aux archives et ai découvert une autre affaire, l’affaire Anjubault, qui avait de très fortes similitudes dans l’exécution des crimes. Le journal La Sarthe en avait parlé et Christine Papin avait pu lire l’article. Il n’y a jamais eu de rapprochement de fait durant le procès. C’est inédit. J’ai également eu l’occasion fortuite, mais très heureuse, de découvrir dans ma boîte aux lettres une correspondance psychiatrique de l’affaire Papin. Il a toujours été suspecté que les experts n’avaient pas dit la vérité. Dans cette correspondance, qui a eu lieu 30 ans après le procès, Pierre Schützenberger, le premier expert mandaté par la justice pour faire l’expertise des sœurs Papin, écrit noir sur blanc ne pas avoir dit la vérité pour ne pas faire un tollé en atténuant le crime des bonnes contre la bourgeoisie, et de fait qu’il fallait les rendre responsables, alors qu’elles ne l’étaient pas. Cette lettre témoigne d’un traitement non-équitable envers des lois de la République.

Pourquoi avoir décidé de faire vous-même l’adaptation de l’essai en bande dessinée ?

J’ai toujours eu envie de laisser une trace artistique de cette nouvelle version avec ses inédits. Jamais je n’ai pensé que je pourrais en être la dessinatrice. Quelques années plus tard, je me suis dit que j’avais peut-être les capacités à le faire et j’ai ressorti ma table à dessin. Avant de faire des études de psychologie clinique, j'ai fait des études aux beaux-arts du Mans, mais ça ne m'a pas aidé pour faire la BD. (Rire). Naturellement, je suis plus peintre que dessinatrice. Dessiner dans une case c'est difficile, comme d'y entrer d'ailleurs.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour écrire le scénario, faire le dessin et la couleur ?

Je m'y suis collé en janvier 2021. La première mouture était en noir et blanc et j'ai fait mon scénario en parallèle que j'avançais. Le résultat n'était pas assez abouti et je m'y suis remis deux fois cinq mois, car je connais bien l'affaire Papin dont je suis passionnée. J'ai longtemps été habitée par cette histoire et la dessiner a été un soulagement. J'ai pris un plaisir fou à dessiner et à exprimer ce qu'on ne peut pas exprimer avec des mots. J'ai fait plus de 500 dessins, certains ont été compliqués, et je me suis demandé si je n'allais pas arrêter.

Comment avez-vous abordé la création de cette bande dessinée ?

J'ai parlé du projet à un ami libraire et il m'a mis une ramette de feuilles A3 dans les mains pour que je m'entraîne. J'ai ainsi commencé la première mouture en A3, et j'ai livré les planches finies à l'éditeur ainsi. Je suis super contente qu'il n'y ait pas eu de transformation.

La BD est une adaptation de votre essai, avez-vous pu tout restituer dedans ?

Sur le fond, il a fallu faire des choix, je voulais absolument être au plus près de l'histoire Papin et qu'il n'y ai aucune part de fiction, sachant qu'il y a eu beaucoup de tricherie dans cette affaire. J'ai donc choisi de ne pas faire parler les protagonistes en dehors du procès, car j'avais les minutes du procès pour savoir ce qu'elles disaient. La BD va donner accès à un plus large public que l'essai, et j'ai publié la retranscription de la lettre de l'expert où il écrit qu'il n'a pas dit la vérité, et le vrai croquis de la scène de crime. J'ai plus mis l'accent dans la bande dessinée sur l'injustice que sur l'essai, j'ai d'ailleurs cité La Fontaine.

Le 3 avril 2023