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Interview de Jean-Benoît Meybeck, à propos d'Épistémè : Eurêka, une histoire des idées scientifiques durant l'antiquité

Couverture de la BD Épistémé : Eurêka, une histoire des idées scientifiques durant l'antiquité

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Épistémè : Eurêka, une histoire des idées scientifiques durant l'antiquité, parue aux éditions La Boîte à bulles, en lisant l'interview de son dessinateur, Jean-Benoît Meybeck.

Comment avez-vous rencontré Pascal Marchand et comment avez-vous abordé ensemble cet album ?

Je connais depuis longtemps Pascal. En plus d’être professeur d’université, il s’occupe de la communication de la section toulousaine de la Ligue des Droits de l’Homme. J’ai été approché par la Ligue des Droits de l’Homme suite à ma première BD, CRA — Centre de Rétention Administrative, publiée chez Des Ronds dans l’O en 2014. C’étaient des témoignages de migrants enfermés dans un de ces centre. J’ai pu réaliser pour eux pas mal d’illustrations ou d’affiches, notamment pour la manifestation annuelle qu’ils organisent, Toulouse en Libertés. C’est Pascal qui gère la com' de cet événement. Voilà comment on s’est connu. Ce bouquin est un projet à lui. Pendant le confinement, il donnait ses cours d’épistémologie en visio. Et il manquait de supports visuels pour intéresser ses étudiants. C’est là qu’il a commencé à réfléchir à la création d’une BD sur l’épistémologie, l’histoire et la philosophie des sciences. De mon côté, je venais de finir ma trilogie CosmoBacchus, une BD documentaire sur le vin en biodynamie qui dénonce la dérive sectaire anthroposophique, et j’étais en plein dans la zététique, un courant de pensée qui promeut l’esprit critique et le scepticisme scientifique. Je cherchais comment approfondir ces sujets, comment permettre aux gens de différencier les croyances des connaissances. Nos préoccupations étaient donc incroyablement en phase  ! J’ai tout de suite accepté son projet : raconter l’histoire des sciences de l’antiquité à nos jours, de façon ludique mais rigoureuse, afin de montrer comment s’est bâti l’édifice scientifique, et ce qui le différencie des croyances religieuses, magiques ou mythologiques.

Comment avez-vous décidé de l'orientation graphique de cette BD, et de cette série, qui contient beaucoup de texte, ce qui complique toujours le rôle du dessinateur ?

Il y a en effet beaucoup de texte, qui est indispensable au propos. Je me suis fait surprendre au début et j’ai du retravailler plusieurs fois les typos. J’ai préféré toutefois conserver un lettrage manuel, à la plume, car j’avais peur qu’un lettrage numérique donne un effet très mécanique aux planches, même avec une typo adaptée. Comme mon style de dessin est plutôt gestuel, le contraste aurait été malheureux. Par ailleurs, chaque type de personnages possède une typo qui lui est propre. Cela permet, d’une part, d’affirmer la personnalité de chaque protagoniste ; et d’autre part, de leur attribuer une voix immédiatement reconnaissable visuellement. Cela facilite la lecture en indiquant tout de suite qui parle. La forme des phylactères, elle aussi individualisée, renforce ce dispositif.  Pour alléger l’ensemble, j’ai supprimé le cadre des cases, sauf dans le cas d’un récit imbriqué dans la narration, quand un personnage raconte la vie d’un autre, par exemple. La couleur est également limitée au maximum, ceci dans le but de ne pas y passer des années, mais aussi dans un souci de simplicité et d’allégement de la narration. Enfin, pour compenser le côté extrêmement sérieux et parfois complexe des thèmes abordés, j’ai adopté un dessin vigoureux mais dynamique, gestuel, comique et caricatural. Ce côté “comique” et parfois acerbe se retrouve dans les propos du personnage qui m’incarne. J’ai conçu ces dialogues de façon à “dynamiter” les développements très élaborés proposés par le personnage incarnant Pascal et par les différents “philosophes de la nature”.

L'idée de ce personnage qui vous incarne et des dialogues où il est impliqué est une idée de vous ou du scénariste ? Comment Pascal Marchand vous a donné le scénario ?

Pascal m’a fourni ses cours d’épistémologie, réécrits pour la BD : séquençage par personnage et par themes, documentation iconographique enrichie. À ma demande, il a aussi déterminé le nombre de planches, sur 200 au total, pour chacun des “savants” abordés dans le livre. Avec cette base, j’ai créé le scénario, en reprenant de larges parties de ses textes pour les explications scientifiques et historiques. Les dialogues et la construction narrative sont de mon cru. On peut donc nous considérer comme co-scénaristes. C’était très important pour nous de ne pas avoir un “cours illustré”, qui aurait été assez assommant, mais que les éléments scientifiques soient insérés dans une narration rigolote et fluide, même si l’argument scenaristique est assez succinct.

Comment travaillez-vous et avec quel matériel ?

Pour ma contribution au scénario, j’utilise Excel. Je fais un résumé de chaque séquence, et ensuite je scénarise les dialogues planche par planche, case par case, en utilisant les feuilles et les cases du logiciel, en reprenant, donc, beaucoup des textes de Pascal. Ensuite je dessine mon crayonné sur du papier croquis format A3, avec des crayons à papier Faber Castel, en posant les traits de construction au crayon sec 3H et en finissant au gras, 3B. J’utilise un gabarit et la table lumineuse pour tracer les cases et écrire les textes droits. Ensuite j’encre, également à la table lumineuse, à la plume, au pinceau et à l’encre de Chine, sur du papier Canson C à grains 224 g/m2 ou équivalent. Enfin je scanne et je fais la mise en couleur à l’ordinateur : Photoshop et une palette Wacom Intuos pro. Donc oui, pour la partie dessin c’est plutôt du traditionnel. Ma seule concession, c’est que j’utilise désormais des pinceaux synthétiques au lieu de la martre, pour des raisons de bien-être animal.

Combien de temps vous a demandé cet album ?

J’avais espéré mettre un an pour réaliser cet album, mais en réalité j’ai mis six mois de plus. Vu la quantité de travail c’est logique. Pourtant je dessine vite, et lorsque je suis en forme, j’arrive à dessiner une planche par jour, couleur comprise. Mais je ne suis pas toujours en forme, et puis je suis souvent obligé de faire d’autres choses – dédicaces, administration, illustrations, etc.  En plus, pour ce premier tome, il y avait tous les réglages à mettre au point : format des planches, place et forme des textes, des bulles et des cadres ; choix des théories ou des éléments biographiques à retenir ou à laisser de côté, proportion des gags par rapport au côté scientifique, style des personnages, présence de la couleur, etc.  Les auteurs de BD doivent faire attention à ne pas trop travailler, car la vie de famille en pâtit et le burn-out guette toujours.

Avez-vous une anecdote sur cet album ?

Une anecdote à ce sujet : parallèlement à Épistémè, j’avais prévu de réaliser une autre série sur l’histoire du mouvement new age et de l’occultisme moderne, avec le YouTuber Shadow Ombre pour consultant.  Le projet aurait été d’une importance importance comparable à Épistémè. Finalement, ce projet n’a pas vu le jour, et ce n’est peut-être pas plus mal, car avec le recul, il m’aurait été difficile de mener les deux de front  ! Peut-être qu’on le fera après celui-ci, si je ne suis pas à la retraite d’ici-là  ! :)

Avez-vous commencé à travailler sur le deuxième tome ? Si non, quels sont vos projets ?

Pour l’instant je n’ai pas commencé le tome suivant. Pascal n’a pas fini de travailler dessus – je crois qu’il y apporte pas mal de “nouveautés” par rapport à son cours. Et il faut aussi être certains que le premier tome soir suffisamment bien reçu par la public pour que la série soit pérennisée. J’ai seulement commencé à lire les textes de Pascal pour m’imprégner de la période. Et puis j’ai pas mal de dédicaces à faire pour Eurêka, car des internautes l’ont acheté sur mon site où il était en pré-vente, quelque chose d’autre qui me prend un peu de temps. Néanmoins, le tome 2 d’Épistémè, Azimut, reste mon principal projet. J’ai aussi l’intention de commencer à la rentrée une série de vidéos sur ma chaîne Skeptikon 1 : il s’agirait d’interviewer des scientifiques pour approfondir des points qui auraient été abordés de façon un peu rapide dans Épistémè. Je souhaite faire cela de façon un peu moins amateur que les vidéos actuelles sur cette chaîne, aussi je suis en pourparlers avec une petite structure à côté de chez moi qui possède un studio d’enregistrement et du matériel vidéo. J’ai aussi créé un jeu de société à partir de ma BD précédente, CosmoBacchus, et je pense bientôt le proposer à des éditeurs de jeux.  Par ailleurs, je suis en train de réaliser quelques planches de BD pour expliquer le projet scientifique d’un ami qui constitue son dossier d’Habilitation à Diriger des Recherches.  Et je dois faire une série de dessins pour une expo commandée par la Caisse mutuelle complémentaire d’action sociale de Toulouse. J’ai aussi un projet de BD avec mon fils, dont il fait le scénario, et un autre avec ma fille, donc je fais le scénario et elle le dessin  ! Donc, les projets ne manquent pas  ! L’avenir nous dira lesquels aboutiront  !

1 Skeptikon.fr/c/meybeck_bd

Le 18 août 2023