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Interview de Jean-Luc Masbou, à propos de Conan le Cimmérien : Le Maraudeur noir

Couverture de la BD Conan le Cimmérien : Le Maraudeur noir

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Conan le Cimmérien : Le Maraudeur noir, parue aux éditions Glénat, en lisant l'interview de son auteur, Jean-Luc Masbou.

Pourquoi avoir choisi d'adapter Le Maraudeur noir, qui est un Conan assez loin de la représentation qu'a le grand public de Conan, du fait du film Conan le Barbare, et de la majorité des livres mettant en scène Conan, comme La Fin de l'Atlantide ?

Ce n'est pas moi qui ai choisi cette nouvelle ! Il faut dire que je suis arrivé dans le projet pas mal de temps après qu'il ait été lancé ! Si j'avais eu le choix, j'aurais pris Au-delà de la rivière noire, qui est très proche du récit que j'ai adapté ! Mais en la relisant, je me suis aperçu que Le Maraudeur noir était bien plus riche et allait me permettre d'explorer certaines facettes du personnage de Conan, et de m'amuser graphiquement avec des ambiances très différentes les unes des autres !

Comment avez-vous construit l'adaptation du livre de Howard ? Avez-vous changé l'ordre narratif pour faciliter la lecture au format BD ?

Adapter un roman n'est pas une mince affaire mais je dois dire que je n'ai éprouvé aucune réelle difficulté ! je révais de dessiner une aventure de Conan depuis mes quinze ans ! Alors, guidé par cette envie profonde et mon habitude à découper une histoire, ça a coulé presque tout seul ! j'ai entamé le découpage avec la vision précise de ce que j'allais rajouter, modifier ou respecter et je suis tombé sur 54 pages ! Ni trop , ni trop peu ! c'était parti ! Le plus compliqué est de faire le tri entre les scènes essentielles et la liberté, presque l'improvisation qui permettent à un dialogue ou à une situation d'être plus fluide et plus vivant ! J'ai rapidement vu les espaces dans le scénario qui allaient me permettre d'approfondir le personnage de Conan ! De montrer ce que le roman ne montre pas ! De travailler les personnalités des différents protagonistes pour les rendre plus vivants, plus crédibles ! On est un peu Robert Howard qui revoit son texte 90 plus tard et se dit « Harr ! Avec plus de recul ou avec l'accord des éditeurs, j'aurais bien changé ça, ou rajouté ce personnage, ou je me serais plus attardé sur ce passage ! » C'est une sacrée responsabilité que de marcher dans les pas d'un tel auteur et un réel kiff de faire une vraie adaptation et pas simplement un recopiage graphique, que j'aurais trouvé, entre nous, totalement inutile ! Si le but du jeu, quand on adapte un auteur c'est de mettre, sur un texte des images moins impressionnantes que celles que les lecteurs ont imaginées, cela n'a aucun intérêt !

Comment avez-vous décidé du contenu des bulles, pour garder la cohérence avec le récit ? Avez-vous réutilisé les dialogues de Howard ?

Je crois bien en avoir gardé quelques-uns mais je me suis surtout inspiré de l'ambiance des discussions pour remplir mes bulles ! J'ai beaucoup de scènes où les trois principaux méchants , Zarono , Strom et Valenso s'expliquent, s'insultent, se menacent et ourdissent des plans qui sentent la trahison à plein nez ; dans le roman, ces dialogues font des dizaines de lignes ; il faut réduire tout ça sans rien perdre de la clarté des échanges ! C'est une gymnastique délicate et un vrai casse-tête !

Votre Conan a plus les traits acerbes d'un boucanier que d'un barbare. Comment avez-vous créé son chara design ? Conan est-il décrit par Howard dans le Maraudeur Noir ?

Quand le Conan de Milius est sorti au cinéma j'avais 18 ans et je venais de voir au cinéma une mauvaise adaptation de S.A.S ! L'acteur principal s'appelait Miles O' Keeffe et avait une gueule taillée à la serpe et une carrure fine et très impressionnante ! Un bug inexplicable dans mon cerveau m'a fait croire que c'était lui qui allait interpréter notre bon barbare ! Un peu déçu, j'ai toujours gardé son visage en mémoire et c'est donc, tout naturellement que j'ai donné à Conan un peu des traits de cet acteur ! Miles O' Keefe a d'ailleurs joué dans un nanar d'heroïc fantasy dont je ne conseille la vision à personne ! Mon Conan est, du coup assez éloigné de l'image que Howard avait de lui outre le fait qu'il a une tignasse ébouriffée ! Le Conan du roman sort de la jungle habillé comme un capitaine pirate du XVIIe siècle avec manteau à boutons d'or, un baudrier ouvragé en bandoulière et un tricorne ciré sur la tête… une simple chemise verte et un pantalon marron me semblait un choix plus crédible et plus cool pour un homme qui veut se dissimuler et évoluer dans la jungle ! La notion d'exotisme en 1935 est basée sur les univers qui font voyager les gens et c'est ce que l'on trouve souvent dans l'oeuvre d'Howard, de Rice Burroughs, ou dans les films de Ferbanks ! Des vikings, des cosaques, des bédouins, des égyptiens et des pirates ! Même si les premiers peuvent s'intégrer dans un univers antique les flibustiers Caribéens, par contre, font tache ! J'ai donc décidé de revoir le look de tout ce joli monde pour aller vers des soldats à la Aguirre, la colère de dieu, aux armures sales et rouillées et des pirates qui ont à leur bord des guerriers de divers horizons, comme une armée de mercenaires dont parfois on peut deviner l'origine !

Patrice Louinet, l'un des principaux experts du travail de Robert E. Howard, signe le cahier bonus en fin d'album. Avez-vous travaillé ensemble, par exemple pour éclaircir certains points, sur cet album ?

Patrice n'est pas du tout intervenu ; ce qui m'a un peu inquiété au début puisque je m'attaquais quand même à un gros truc et que j'attendais l'aval des trois directeurs de collection à qui j'avais envoyé mes découpages ! En fait, il me manquait un truc ; le repas de rencontre entre les différents ouvriers de ce livre, à savoir Patrice Louinet, Jean David Morvan, Benoit Cousin et moi ! Le confinement a eu raison de cette rencontre et donc, sans ce repas et les mises au point qui en auraient découlé, je partais un peu en aveugle ! D'un autre côté, je peux dire qu'on m'a fiché une paix royale et j'étais seul maitre à bord ! J'ai eu cependant un peu peur ! Au début de mon album, Conan explique beaucoup de choses sur sa façon de combattre, comment il jauge ses ennemis et la situation désespérée dans laquelle il se trouve ! Il était bien spécifié dans un mail que Patrice envoie à tous les auteurs que nous devions respecter le personnage de Conan en ne s'éloignant pas trop de sa personnalité ! Conan, ce n'est pas vraiment un bavard et Patrice a trouvé que j'y étais allé un peu fort dans les dialogues ! J'en profite donc pour lui expliquer que dans ces premières pages, et lors de la bataille finale; Conan ne parle pas, il pense ! c'était ma volonté de rentrer dans la tête de cet homme qui se bat, mais qui, loin d'être une brute sans cervelle est même philosophe sur le monde qui l'entoure ! Je voulais qu'on s'attarde sur son rapport à la mort, la violence et sur cette folie guerrière qui s'empare de lui dans chaque nouvelle !

En fin d'album, on retrouve six dessins, dans le cahier Hommages, réalisés par six dessinateurs, comme Philippe Buchet, ou Philippe Druillet. À qui doit-on cette initiative et pourquoi ces dessinateurs ?

Dans ce cahier, j'ai surtout des potes à qui j'ai demandé de se prêter à cet exercice pour les avoir à mes côtés un peu comme un équipage pirate dont je serais le capitaine ! Philippe Druillet c'est autre chose ! C'est un autre capitaine que j'ai invité à bord ! C'est mon mentor ! C'est le gars dont j'ai, un jour découvert le travail et qui a fait exploser un truc en moi ! Mes premières vraies pages de bd étaient totalement inspirées de son travail et j'ai mis très longtemps avant de subir d'autres influences ; mais il est certain que je ne dessinerais pas comme ça si Druillet n'avait pas promené Lone Sloane sous mes yeux d'adolescent ! Merci monsieur Druillet d'avoir accepté d'être des nôtres ! C'est un réel honneur ! Je peux mourir tranquille ! Quand j'ai reçu l'album, j'ai aussitôt envoyé un sms à Alain Ayroles pour lui dire que son dessin était en vis-à-vis de celui de Druillet ! Et Alain m'a répondu « J'en pleure des larmes de sang ! », j'ai bien rigolé !

Comment avez-vous travaillé sur cet album pour le dessin et la couleur ?

Ma technique de dessin est toujours traditionnelle… et ça n'est pas près de changer ! Mes couleurs sont des acryliques que j'applique directement sur mon crayonné mais j'ai aussi utilisé l'aquarelle pour le flash back où Zarono explique l'histoire du trésor de Tranicos ! L'acrylique me permet de travailler des ambiances colorées très proches de la réalité et cette envie de plonger le lecteur dans cette presque réalité me vient de… Conan le barbare, le film de John Milius ! C'est le film qui m'a montré comment découper par la couleur une histoire en séquences afin, d'une part d'immerger le spectateur dans des ambiances très marquées et facilement identifiables ce qui permet de créer des ellipses de temps et d'espace et d'autre part d'avoir toujours sous les yeux une scène agréable à regarder ! Le coucher de soleil sur Tatooine dans Star Wars, dans sa beauté et sa symbolique m'avait déjà mis le pied à l'étrier mais Conan le barbare a été une véritable leçon de narration purement visuelle !

Combien de temps vous a demandé Le Maraudeur Noir ?

J'ai mis presque deux ans pour réaliser l'album dont trois mois pour le découpage mais le temps passé à travailler est difficilement quantifiable ; je ne suis pas enchainé à ma table à dessin 7 jours sur 7, je dois aussi chasser et protéger mon village, et comme la sortie de mon album a été reportée de six mois, cela m'a permis de le finir tranquillement plutôt que de terminer dans la sueur et les larmes en dormant trois heures par nuit pendant six semaines !

Avez-vous une anecdote par rapport à cet album ?

J'ai parmi mes amis des acteurs, cascadeurs qui montent des spectacles plus ou moins historiques et fantaisistes dans des univers pirates ou médiévaux ! Comme j'ai dû me remettre à un style plus réaliste, il me fallait, outre l'entrainement au dessin anatomique devant des matchs de catch, étudier aussi les drapés des vêtements et donner à chaque personnage une gueule et un style vestimentaire différent ! Je me suis donc dis « demande donc à tes potes de se prêter au jeu et d'en faire carrément les héros de l'histoire ! Arnaud est donc devenu Valenso ; je l'ai donc dessiné chauve contrairement au personnage du roman ! Guilhem, Stephane et Christophe ont donné leurs traits à Zarono, Strom et Galbro tandis que Yann qui était parti pour être un simple figurant est devenu le petit pirate bavard dans la forêt et qui donne la réplique à Conan avant la bataille finale ! Certains ont lu le roman et m'ont fait un shooting de 120 photos en prenant des poses différentes suivant les scènes ! J'ai aussi demandé à ma fille de poser pour Tina, ce qu'elle a adoré faire et j'ai placé, par-ci par-là, certains de mes amis dont le métier est aussi d'animer des fêtes médiévales ! Cet album se retrouve être un sacré repaire de forbans et de coupes jarets pour la plupart toulousains et non zingaréens ! Et à propos de fêtes moyenâgeuses, je participe tous les deux ans au marché médiéval d'Obidos, au Portugal, joyeuse manifestation où se croisent chevaliers et saltimbanques, où l'hydromel et le vin coulent à flots et où des porcs entiers cuisent à la broche ! Que du bonheur ! Et il y a un an, alors que je terminais l'album, j'y ai croisé… Conan ! Short en fourrure, épée atlante, des biceps gonflés à l'hélium et un serre tête en cuir ! Plus vrai que nature ! Comme j'étais moi mème déguisé en viking, je sais ! Ça fait étrange dit comme ça, nous avons sympathisé et nous sommes prêtés au mitraillage photo des touristes ! Il est loin d'être la brute redoutable dont parlent les légendes !

Quels sont vos projets actuels et futurs ?

Dans mes projets j'ai un album en tant que scénariste avec Denys ! Ça n'est pas encore signé ; croisons les doigts ! Une série avec Alain Ayroles dont je ne me risquerai pas à dévoiler quoi que ce soit tant le scénario change souvent et un album rigolo sur ma fille !

Pourquoi avoir donné la réponse à la devinette posée par Personne, dans Mon nom est Personne en début d'ouvrage ?

Je trouvais que la morale de l'histoire du petit oiseau collait merveilleusement bien au scénario du Maraudeur noir, dans lequel chacun se trahit ou s'allie, sortant son allié d'un jour d'une situation désespérée pour mieux l'y remettre à la première occasion ! C'est en plus un hommage décalé à la célèbre phrase de Nietzsche dans Conan le barbare ! J'adore ces films comme Mon nom est personne qui sont émaillés de tirades philosophiques pour les nuls qui, de prime abord semblent simplement anecdotiques et qui tout compte fait sont bien moins connes qu'elles n'y paraissent ! Désolé donc pour ceux qui découvriront la morale avant de connaitre l'histoire, mais pour tous ces gens-là qui n'ont donc pas vu Mon nom est personne, je les invite à découvrir ce chef-d'oeuvre absolu ! Par Crom !

Le 11 septembre 2023