Interview de Jean-Marie Michaud, à propos de La Reine de Saba

Découvrez les coulisses de la bande dessinée La Reine de Saba, parue aux éditions Hozhoni, en lisant l'interview de son auteur, Jean-Marie Michaud.
Comment êtes-vous devenu auteur de bande dessinée et illustrateur ?
J’ai toujours dessiné. Le goût du dessin, c’est mon père, je crois. Mes grands frères lisaient Tintin. Moi aussi, donc… Mais L’Affaire Tournesol, c’était un peu compliqué… La révélation a été les dernières pages de l’album Seul de la série Buddy Longway de Derib, que j’ai découvertes dans les pages d’un recueil du Journal de Tintin. J’avais 10-12 ans, je pense. Vers 1977. Un coup de foudre. L’histoire (western écolo-sentimental), le dessin, les cadrages, les personnages… tout. Ensuite et naturellement, Comanche de Hermann et Greg et enfin Blueberry, de Charlier et Giraud. C’est ma trilogie enfantine qui m’a enthousiasmé et me fait vibrer encore et jusqu’à maintenant… Après tous les autres… Les grands et les moins grands…
La Reine de Saba est votre troisième adaptation en BD pour les éditions Hozhoni, après Le Mahâbhârata et La Grande Vision de Black Elk. Qu'est-ce qui vous a donné envie d'adapter ces livres initiatiques ou du moins mythiques ?
Le privilège de faire ce métier est si grand que j’ai eu toute ma vie un malaise à dessiner des histoires que je ne jugeais pas – à tort ou à raison, pardon à mes scénaristes – assez amples. Assez universelles. Par ailleurs, j’ai un goût prononcé pour les civilisations traditionnelles. La relation de l’homme et des Dieux dans un monde de beauté – naturelle et manufacturée… Où le symbole est partout présent. Dessiner est travailler le symbole. Dessiner des histoires où les hommes vivent le symbole – les civilisations religieuses donc – est une satisfaction au carré. La rencontre avec les éditions Hozhoni a été pour moi un véritable tournant dans mon parcours. Le Mahabharata et Black Elk ont été des commandes d’Hozhoni (et quelles commandes !). Pour la reine de Saba, c’est moi qui ai suggéré ce thème.
Le Mahâbhârata et La Reine de Saba de Marek Halter sont des livres denses et où il y a foison d'évènements, mais aussi où il y a vite fait de se perdre. Comment avez-vous préparé votre adaptation ?
C’est précisément ce qui m’a convaincu et plu dans ces deux « romans », eux-mêmes adaptés de légende (Saba) ou d’épopée (Mahabharata). Les 2 auteurs, chacun à leur façon, ont dégrossi et « dégraissé » le sujet de façon à en rendre la lecture, bien que foisonnante, très claire et très limpide. La trame du scénario est quasiment transparente. Mon travail d’adaptation a été facile. Les deux auteurs sont des conteurs extraordinaires. Le style littéraire n’est pas leur propos. C’est l’histoire qui compte. L’enchainement fluide des événements et la simplicité des dialogues. Les personnages sont vivants et bien marqués. On va à l’essentiel. Je n’étais là « que » pour faire une proposition de cadrage et d’ambiance graphique.
Avez-vous respecté les étapes traditionnelles de la réalisation d'une BD, à savoir synopsis, scénario, storyboard, crayonné, encrage, ou avez-vous shunté certaines étapes ? Comment avez-vous travaillé le scénario ?
J’ai respecté la trame du roman. Il est cohérent et en déplacer une des briques aurait risqué de déséquilibrer le tout. Ma « seule » liberté (elle est immense en vérité) est la liberté qu’offre la BD : une même séquence peut être déroulée sur trois pages ou être condensée en deux vignettes. Le plaisir de lecture se joue sur ce point. Plus profondément que le graphisme ou le cadrage, c’est le storyboard qui induit tel ou tel type de narration, donc de plaisir de lecture. Mon travail a commencé par là (je mets de côté la recherche des personnages et des décors : castings et repérages) : storyborder tout l’album (les consignes de l’éditeur étaient claires : moins de pages que le Mahabharata !). Avec textes et bulles, réalisés au format de parution, un tel document permet aussi de le présenter à l’éditeur et de remanier telles ou telles séquences. Dans le cas du Mahabharata, il y a eu trois ou quatre moutures, je crois. Pour La Reine de Saba, cela a été un peu plus facile. L’histoire est finalement assez simple.
Avez-vous réutilisé les phrases de Marek Halter dans les cartouches et les phylactères ?
Quasiment à 95 %. Là aussi, c’est une question de cohérence de style, de longueur, de placement. Les cartouches ont été allégées au maximum quand le dessin se suffisait à lui-même. J’ai allégé autant que j’ai pu. Rarement modifié.
Comment avez-vous travaillé le dessin ?
Aquarelle sur papier kraft. Format A3 avec rehaut de gouache blanche. Couleur directe.
Vous travaillez souvent en collaboration avec votre épouse, Sophie Michaud, pour la colorisation. Est-ce le cas sur cet album ? Comment se déroule la phase de colorisation ?
Mon épouse a une formation de graphiste publicitaire. Elle a eu la bonne idée, contrairement à moi :’( , de se former en PAO (Photoshop, InDesign et Illustrator). Elle est actuellement coloriste pour plusieurs autres dessinateurs. Avec moi, lorsque je travaille en couleurs directes, comme c’est le cas pour Saba, son rôle n’est pas que platement « technique » (placement des bulles, scans, maquette globale, etc.). Il s’agit aussi d’intervenir sur les contrastes, l’étalonnage chromatique, phases très délicates, notamment du fait que je ne travaille pas sur papier blanc. C’est finalement presque aussi complexe que de coloriser des planches au trait noir et banc qui lui arrivent sur son écran. C’est un travail indispensable et le confier à mon épouse est pour moi l’assurance d’un travail réalisé avec le plus grand soin et professionnalisme.
Combien de temps vous a demandé, au total, l'album ?
Longtemps. À cause de la pagination importante (260 pages). Parce que j’aime prendre mon temps. Parce que Hozhoni est une petite structure qui ne peut offrir à ces auteurs des avances sur droits très importantes, ce qui me contraint à accepter des petits boulots entre temps (les droits d’auteurs sont, par contre, eux, tout à fait corrects…). Il y a aussi le temps de l’adaptation du roman, de la recherche de personnages et de décors, etc. J’ai commencé en automne 2020, je crois. J’ai rendu la fin au printemps 2024.
Avez-vous une anecdote relative à cet album ?
J’ai très peu voyagé dans ma vie. Mais à vingt ans en 1986, je suis allé rejoindre mon frère au Yémen du Nord. Il était coopérant à Ryad. On s’est retrouvé à Sanaa. C’était un dépaysement total ; un choc esthétique. Un voyage dans le temps dans les Mille et une nuits. Dans un Far East totalement exotique, tous les hommes yéménites portent la Djambia (poignard) à la ceinture, comme les cow-boys leurs revolvers. La Kalachnikov n’est jamais loin, comme la Winchester de Blueberry. Trente-cinq ans après, je suis content d’en avoir fait quelque chose.
Nous avons trois chats. Ma préférée, la plus douce, s’appelle Balkis, l’autre nom de la Reine de Saba.
Le x 2024