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Interview de Jean-Paul Krassinsky, à propos du Singe qui aimait les fleurs

Couverture provisoire de la BD Le Singe qui aimait les fleurs

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Le Singe qui aimait les fleurs, qui sera rééditée en édition luxe en 2025 aux éditions Fabula 1, en lisant l'interview de son auteur, Jean-Paul Krassinsky.

Comment vous est venue l'idée du Singe qui aimait les Fleurs ?

Mon intention initiale était de parler de l'amitié, comment elle naît, grandit, comment elle meurt, quelles sont ses limites et ses complexités. À l'origine, je prévoyais un récit avec des personnages humains, sans être complètement satisfait de ma première version. C'est quand j'ai eu l'idée de transposer mon histoire avec des animaux que l'évidence est apparue et que j'ai pu déployer comme je l'entendais toutes les thématiques sous-jacentes. Le singe fait ici fonction de miroir grossissant de notre humanité.

La structure narrative, avec l'histoire racontée par un narrateur, en début et fin d'album, rappelle les contes. Et comme dans les contes, on a finalement peu de personnages, peu de lieux différents, mais un rapport entre les personnages qui évolue au fil de l'histoire et qui est plus complexe qu'on ne l'aurait imaginé au début, amenant à une morale. Pourquoi avoir choisi cette structure narrative pour Le Singe qui aimait les Fleurs ? Et quel message souhaitez-vous faire passer dans cette histoire ?

En effet, l'histoire de Vernish revêt les atours du conte, même si la structure est moins formelle que celle des contes de Grimm ou de Perrault. Mon inspiration serait plutôt à chercher chez Kipling, notamment dans ses Histoires comme ça, où il a recours à des animaux comme protagonistes. Ce type de narration permet d'être assez efficace dans l'exposition des faits et de se concentrer sur la psychologie des personnages, ce qui était mon projet principal. Pour ce qui est du message, je ne suis pas certain qu'il n'y en ait qu'un seul. La morale de l'histoire est d'ailleurs volontairement polysémique, un peu comme dans ces comédies italiennes où la fin est à la fois triste et joyeuse. C'est ainsi que je vois la vie qui n'est que très rarement simple !

Le rapport entre Vernish, Koola et Sivanesh est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord, et “le meilleur ami” de Vernish montre peu à peu son vrai visage. Comment avez-vous créé vos personnages, tant au niveau de leur histoire personnelle, que de leurs caractères, de l'imbrication entre eux, et du charadesign ?

Comme souvent, je pars de souvenirs personnels, de mon expérience propre ou de celle de mes proches. Et puis, je grossis le trait, pour les rendre accessibles au lecteur. Il se trouve que le thème de l'album est assez universel, on a tous vécu des histoires d'amitié plus ou moins contrariées ! La forme graphique découle ensuite assez naturellement : ici, le frêle naïf et le gros bourru. Je conçois mes personnages d'abord en silhouettes, je les dessine en tout petit, presque à la taille d'un ongle : il est important qu'on puisse les distinguer de loin comme de près, afin que la lisibilité soit optimale.

Les fleurs sont présentes à deux reprises dans l'album, mais n'ont pas un impact majeur sur la narration. Pourquoi avoir choisi de titrer ainsi l'album ?

C'est le symbole de la différence de Vernish ; il est le seul à aimer les fleurs au sein de la communauté des singes, et c'est la source des moqueries à son encontre, des brimades qu'il subit.

Vous faites également le choix d'ancrer cette histoire dans la guerre 39-45, dans le Pacifique, pourquoi ce choix ?

L'action se passe à Bornéo, pendant la guerre du Pacifique. Il me fallait trouver la période historique où le Coca-Cola aurait pu être à la disposition de mes singes, donc c'était ça ou bien l'époque contemporaine, moins inspirante en terme d'ambiance. Les enjeux du conflit entre les Japonais et les Américains dépassent la compréhension des singes, même s'ils en subissent les conséquences. En toile de fond, une catastrophe écologique en action, l'absurdité de la guerre, autant d'éléments qui résonnent avec le drame intime vécu par Vernish.

Dans un univers hostile, que ce soit la guerre 39-45, ou la tribu de Sivanesh qui rejette Vernish, ou encore Koola qui malmène Vernish, vous avez réussi à créer un attachement entre le lecteur et Vernish, sans que cela ne tombe dans l'apitoiement. Comment avez-vous surfé sur la structure narrative pour créer ce sentiment essentiel à votre histoire ?

Je compte en premier lieu sur la capacité d’empathie du lecteur. Après, bien évidemment, il y a le travail du scénario à proprement parler, où l’on alterne les scènes dans lesquelles le lecteur est à même de s’identifier au personnage, et celles où il est spectateur de ses souffrances et ses tourments. Tout est alors question de dosage pour que la recette fonctionne.

Comment travaillez-vous le scénario, le storyboard, le dessin et la couleur ?

Je change souvent la méthode d'élaboration de mes albums. Le Singe qui aimait les fleurs a été écrit directement sous forme d'un storyboard précis, sans passer par l'étape du script. Le dessin et la couleur ont été réalisés de manière traditionnelle (même si la première édition a été mise en couleur par informatique). Pour la réédition de l'album, j'ai en effet ressenti le besoin de le coloriser à l'aquarelle, comme le sont la plupart de mes ouvrages depuis une décennie. Une manière pour moi de lui conférer une patine qui correspond mieux à ma vision actuelle de la couleur, utilisée comme un vecteur d'émotion supplémentaire.

Combien de temps vous a demandé Le Singe qui aimait les fleurs ?

Grosso modo, une année de travail.

Avez-vous une anecdote à propos du Singe qui aimait les Fleurs ?

Parfois, les livres que l'on publie sont le vecteur de voyages ou de rencontres. Grâce aux éditions Fabula, j'ai pu rencontrer Chanee, Français vivant en Indonésie et qui a créé l'association Kalaweit, dédiée à la préservation de l'environnement et notamment à celle de plusieurs espèces de singes de Bornéo. Il m'a appris quantité de choses concernant le nasique. Vous pourrez les découvrir au moment de la campagne de crowdfunding puisque l'association est partenaire de ce lancement.

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets futurs ?

Je travaille actuellement sur l'adaptation du roman de Bérengère Cournut, De Pierre et d'os, à paraître début 2025 aux éditions Dupuis. Je partage d'ailleurs pour la première fois l'avancée de l'album sur mon compte Instagram Krassinsky_bd.

1 Précommander la réédition Luxe

Le 23 novembre 2023