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Interview de Jim, à propos de Zoé Carrington

Couverture de la BD Zoé Carrington

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Zoé Carrington, parue aux éditions Grand Angle, en lisant l'interview de son auteur, Jim.

Comment êtes-vous devenu auteur de bande dessinée ?

Oh, ça, c'est depuis toujours. J'étais celui qui dessinait dans la famille, je m'enfermais et je faisais des BD ; donc ça n'a jamais prêté à questionnement. Je réalise combien c'est étrange en réalité. Mais depuis tout petit, j'étais celui qui ferait des BD plus tard… (rires).

Comment est né le scénario de Zoé Carrington ?

D'un voyage à Londres, de l'envie d'attraper des choses vues et de les reprojeter dans une histoire. Et de cette idée de fêter l'anniversaire d'un mort, que je trouvais une idée suffisamment tordue pour en tirer une puissance dramatique. Mais au départ, c'était un projet de film. C'est ma première BD tirée d'un scénario de film, et ça permet de bénéficier d'un travail d'écriture plus assidu qu'une BD. Non pas qu'en BD on ne travaille pas le scénario bien sûr, mais sur un film en développement, on travaille avec des producteurs ; le travail de structure est plus important, moins « libre » qu'en BD. Il y a une recherche d'efficacité permanente, alors que la BD peut se permettre d'être plus contemplative.

Vous expliquez dans votre postface que le scénario de Zoé Carrington a connu de nombreuses versions. Qu'est-ce qui vous a poussé à toujours revenir sur cette histoire et comment avez-vous décidé de figer cette version ?

Déjà, par flemme. Le scénario était écrit, et j'aimais plein de choses dedans. Si je peux m'éviter de jeter un projet dans lequel je crois, autant essayer de l'aboutir ; j'ai plusieurs scénarios comme ça, sur lesquels je reviens un peu tous les ans. C'est la partie immergée de l'iceberg : les lecteurs ne réalisent pas tous les scénarios écrits et qui, souvent, restent lettres mortes… Mais ça fait partie du tâtonnement et du lent mûrissement des projets. Je sais que beaucoup ne verront pas le jour, mais il n'empêche qu'il y a un plaisir artisanal à y revenir souvent, à essayer de trouver le bon chemin !

Vous écrivez, toujours dans la postface, que Zoé Carrington a écrit sa propre fin, qui n'était pas celle que vous envisagiez depuis le premier scénario. À quel moment le scénario prend vie et échappe ainsi au contrôle du scénariste ?

Sans doute parce qu'ici, je le pensais en BD, et non en film. On est moins tenu par le happy end, et c'est ce qui m'a libéré. On est plus libres en BD, c'est l'esprit d'une personne qui écrit, et à un moment, il faut prendre à bras le corps cette possibilité. Et c'est finalement le personnage qui m'a entrainé vers sa résolution. Ça fait artificiel de le dire comme ça, et c'est un cliché. Mais la plupart des clichés ne le sont que parce qu'ils ont une part de vérité, il me semble.

Avez-vous respecté les étapes traditionnelles de la réalisation d'une BD, à savoir synopsis, scénario, storyboard, crayonné, encrage, ou avez-vous shunté certaines étapes ?

Oui, c'est passé par toutes ces étapes.

Comment avez-vous travaillé le scénario ?

Sur 15 ans, ah ah ! J'écris sur mon ordinateur portable, j'écris, je fais lire, j'essaie d'arranger ce sur quoi je bute ou les gens butent. Et j'essaie de me surprendre. Et de surprendre les lecteurs par ricochet.

Comment avez-vous travaillé le dessin ?Les décors sont signés Rémi Torregrossa. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez été mis en contact et comment avez-vous travaillé ensemble ?

Numérique, avec Rémi Torregrossa aux décors. Je fais la planche, en dessinant les persos, je place un brouillon des décors (en vert), parfois des photos, pour essayer d'être le plus précis possible, puis je lui envoie numériquement. Il travaille sur papier, il me semble, puis replace son décor derrière les personnages et me renvoie. Puis je retouche le décor pour qu'il garde des petites caractéristiques propres à mon encrage, simplement. Puis ça part à la couleur…

La mise en couleur a été réalisée par Delphine. Comment l'avez-vous rencontrée et comment s'est déroulée cette partie de la création de l'album ?

Je l'ai rencontrée il y a quelques années déjà… On travaille ensemble, dans la même pièce, l'information sur les planches se fait donc de façon très fluide. J'aime ses lumières. Elle n'est jamais aussi douée que dans les scènes nocturnes, c'était donc un vrai plaisir pour elle de travailler sur ce tome 2, qui est une longue nuit festive et folle…

Combien de temps vous a demandé, au total, l'album ?

Sans prendre en compte les longues années d'écriture, je pense qu'il s'étale sur un an et demi, deux ans. À raison en général de 5 planches par mois, environ 80 pages, et pas mal de temps de retouches…

Avez-vous une anecdote relative à cet album ?

Le premier tome n'était pas simple à faire pour moi, car j'avais l'esprit dans le tournage et la postprod de mon film, Belle Enfant, et je manquais de temps. Il a donc été plus long à faire, et j'avoue que je craignais un peu que le résultat s'en ressente. Pour être tout à fait sincère, je pense que ça se ressent un peu, même si rien n'a été bâclé, et que lorsque je l'ai reçu, j'ai poussé un ouf de satisfaction : il m'a semblé très beau, très bien imprimé, avait belle allure. C'est drôle d'ailleurs, les auteurs ne parlent jamais du ressenti sur leurs albums, la part promotionnelle prenant le dessus. Mais les gens qui me connaissent savent que j'ai transpiré sur ce tome 1 et que j'ai pesté contre une implication plus en dent de scie, que j'ai essayé d'équilibrer par du professionnalisme. Mais sur le tome 2, j'étais dégagé de la fabrication de mon film, et là le plaisir est revenu, et je pense qu'on y sent la vraie énergie de la série. Au final, je suis fier du dyptique et qu'il porte une part plus sombre, qui l'éloigne d'Une nuit à Rome.

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Les projets sont légion, la période est bouillonnante. Déjà, nous attaquons un nouveau projet avec Rémi Torregrossa, mélangeant cette fois nos deux dessins et qui s'appelle Insolente, pour Delcourt. C'est aussi un projet de film que je porte avec un producteur. Je travaille sur un album d'humour aux éditions Anspach pour la fin d'année, sur le fait d'avoir 60 ans, je dirais même la peur d'avoir 60 ans… Et c'est un vrai bonheur à écrire, avec une grande liberté. J'ai écrit des albums sur la vingtaine quand je démarrais, puis sur les trentenaires (Tous les défauts des mecs)… À 40 ans, c'était Une Nuit à Rome ; à 50 ans, le second cycle, les personnages ayant le même âge. Dans un an, la soixantaine va venir frapper à la porte, il est donc naturel que je cherche à partager mes angoisses aussi sur ce thème-là. Je ne suis pas certain d'être pressé de traiter les 70 et les 80… Et sortira aussi en fin d'année, Un noël à Paris, avec Giuseppe Lotti aux dessins, chez Le Lombard. Une belle expérience, et Giuseppe a attaqué le tome 2, alors que le tome 1 ne sortira qu'à l'approche des fêtes… Et là-dessus, deux autres projets se préparent, l'un avec Laurent Bonneau à nouveau, et un autre tout seul au dessin, qui sera un gros one shot. Mais pour tout dire, un album qui me fait un peu peur de par son ambition, et dans lequel j'espère casser mes codes de dessins et d'écritures. L'idée étant de ne pas se répéter et de tenter de se faire peur. Sans doute la meilleure façon de se sentir vivant. :)

Le 29 mars 2025