Interview de Julie Birmant, à propos de Dali

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Dali, parue aux éditions Dargaud, en lisant l'interview de sa scénariste, Julie Birmant.
Vous avez déjà abordé la peinture, avec Clément Oubrerie, avec la quadralogie Pablo sur Pablo Picasso, personnage qui apparaît justement au début de Dali, Avant Gala. Comment avez-vous rencontré Clément, et est-ce la peinture qui vous a réunit ?
J'ai rencontré Clément avec le projet de Pablo sous le bras ; avec la volonté de raconter le Picasso d'avant Picasso, celui du jeune Espagnol qui débarque à Paris sans parler un mot de français, raconté par son premier grand amour, passé sous silence dans l'Histoire, de la volonté même de Picasso. Nous lui avons redonné sa place par souci de justice ! Clément et moi avons eu, c'est un hasard, des pères architectes et artistes. Celui de Clément a été l'assistant de Le Corbusier et est peintre abstrait. Nous avons tous les deux baigné depuis l'enfance dans le monde de ces artistes du vingtième siècle, et avant même de connaître les détails de leurs vies, leur univers, leurs façons de vivre nous étaient très familiers. Après les 4 tomes de Pablo, une incursion dans les années 1920 en Russie, avec Isadora Duncan - Il était une fois dans l'Est, Les aventures d'Isadora Duncan - et son amant le poète Serge Essenine, et une autre avec le personnage de fiction Renée Stone - Une aventure de Renée Stone -, une romancière qui se fait archéologue malgré elle, nous avons eu envie de raconter le surréalisme. Or qui de mieux pour l'incarner que Salvador Dali, qui a réussi la prouesse de phagocyter les surréalistes : demandez aux jeunes gens autour de vous, Breton, Soupault, Aragon, Eluard, au mieux leur évoquent vaguement quelque chose. Mais Dali ? Tout le monde connaît.
Comment avez-vous l'habitude de travailler ensemble ?
J'écris le scénario découpé bien en amont, souvent le fruit de plusieurs années de recherche et d'exploration. Ensuite, si Clément le valide, il en fait un storyboard détaillé, que relit notre éditrice, Pauline Mermet, chez Dargaud. Puis Clément dessine, et enfin Sandra Desmazières, une virtuose des matières et des ambiances, fait les couleurs.
Le scénariste, que ce soit en BD ou au cinéma, fait le choix d'un angle pour aborder un sujet. Comment fait-on ce choix, est-il dicté par le nombre de pages, ou par l'envie de faire le focus sur une partie précise d'une histoire ?
Le scénario BD, c'est l'art de la concision. J'ai toujours à l'esprit de donner au dessinateur l'envie de dessiner. Il ne faut pas se répéter, aller à l'essentiel. Condenser. Ensuite, l'histoire est construite en une quinzaine de séquences. Dans ce premier tome, il s'agissait de mettre en scène l'éclosion du génie, et l'histoire d'amitié et d'amour entre Buñuel et Lorca, tout en annonçant la suite, la rencontre cruciale avec Gala.
Le tome 1 est consacré à Dali, jeune homme, quel sera le découpage des deux autres tomes de la série ?
Le tome 1 se termine par Dali à Paris, qui tombe malade, tant il a cru qu'il serait facile de devenir une star dans la capitale française… Alors que la réalité s'avère plus… complexe… Il vient cependant de terminer avec Buñuel Le Chien andalou, film génial qui va être un passeport formidable dans le Paris des Arts. Dans le second tome, le poète Paul Eluard arrive à Cadaquès, village de pécheurs de Catalogne où Dali passe son été, parce qu'il veut mieux connaître l'auteur du Chien andalou. Avec lui, récalcitrante, sa femme, Gala, qui n'a aucune envie d'aller s'enterrer au fin fond de l'Espagne. Dali est alors passablement fou, sujet à des crises d'hystérie… Leur rencontre est décoiffante… Le troisième tome, de Dali, sous-titré Avida dollars, anagramme de Salvador Dali, raconte les débuts de vie à deux de Gala et Dali, période de vaches maigres superbe.
Quand sortira, normalement, le tome 2, et à quel stade en est-il ?
Le storyboard des deux est achevé, Clément se met au dessin. Sa sortie est prévue au printemps prochain (2024).
Page 59, Buñuel appelle Émilia, que le lecteur n'a pas vu précédemment. Elle est un moment important de l'album, mais (sauf erreur de ma part), on ne sait pas qui elle est ni d'où elle vient. Pouvez-vous nous en parler ?
C'est “la brebis du sacrifice”, que j'ai trouvée dans plusieurs sources au cours de mes recherches. Grâce à elle, qui les aime tous les deux, Dali et Lorca font l'amour par procuration.
Avez-vous une anecdote sur cet album ?
Je ne me remets pas d'avoir vu le profil de Dali dans "Le jardin des Délices" de Jérôme Bosch, peintre du XVe siècle. Regardez bien dans le panneau. De gauche, il apparaît dans les cailloux qui surplombent le petit lac.
Quels sont vos projets parallèles ou futurs ?
J'écris Les Mâchoires du Temps, une plongée dans les profondeurs de la mémoire, à la quelle j'ai eu accès en me fracassant la mâchoire, suite à un accident de vélo. Mais l'imagination permet de s'échapper de toutes les situations et permet aussi de formidables rencontres… La dessinatrice, une pointure, est enthousiaste, mais je ne la cite pas encore, par superstition !
Le 1er octobre 2023