Interview de Julie Rocheleau, à propos de Globe-trotteuses : Le Tour du monde de Nellie Bly et Elizabeth Bisland

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Globe-trotteuses : Le Tour du monde de Nellie Bly et Elizabeth Bisland, parue aux éditions Dargaud, en lisant l'interview de sa dessinatrice, Julie Rocheleau.
Comment êtes-vous devenue dessinatrice ?
J'ai toujours dessiné beaucoup. J'ai commencé à vivre professionnellement de mon dessin au début des années 2000, en tant que pigiste pour des studios de dessin animé. Je faisais également de l'illustration en tout genre, et c'est comme ça que j'ai été recrutée comme dessinatrice pour La Fille invisible, mon premier album. Par la suite, la BD à fini par prendre la place du dessin animé.
Connaissiez-vous l'histoire de Nellie Bly et d'Elizabeth Bisland avant de travailler sur cet album ?
J'avais entendu parler de Nellie Bly et de ses exploits journalistiques, mais sans avoir étudié plus loin le personnage à l'époque. Elizabeth Bisland est moins connue, de par sa personnalité beaucoup plus rangée et le fait qu'elle soit arrivée deuxième. Il y a donc fallu que je me rattrape pour réaliser l'album !
Sur la page de garde, il est écrit que vous signez sur cet album le dessin (et la couleur), mais aussi l'adaptation. De son côté, Julian Voloj est crédité pour l'histoire et non pour le scénario. Comment s'est passée la création de ce roman graphique et comment vous êtes-vous rencontré ?
C'est l'agent littéraire de Julian qui nous a mis en contact. À part une ou deux visioconférences, nous ne nous sommes jamais rencontrés en personne durant les quatre ans qu'a duré la production de l'album, Julian étant établi à New York et moi à Montréal. « Adaptation » est un terme large pour exprimer que j'ai participé à l'écriture de façon significative, sans nécessairement être coscénariste. Mon apport inclut l'invention ou la réécriture de certains dialogues, la proposition de petits changements à l'histoire et un grand débrousaillage du scénario original qui était très dense et qui aurait exigé une pagination bien plus élevée (quatre ans de boulot, c'est suffisant !). En adaptant, j'ai toutefois tenté de conserver l'esprit et le ton du travail de Julian, en rajoutant quelques notes de mon cru. Il faut dire que si j'avais écrit le scénario moi-même, c'eut été très différent. Je ne dis pas meilleur, hein, juste différent !
Comment avez-vous procédé pour adapter l'histoire de Julian Voloj ? Dans quelle langue avez-vous travaillé ensemble ?
Nous avons travaillé en anglais sur toute la durée de l'album, ce qui a d'ailleurs causé des problèmes lorsque la traduction française est arrivée, car mes compositions ont été créées en fonction du texte en anglais. Au départ, Julian et moi nous nous lancions un peu la balle, mais à partir d'un moment, pour des raisons indépendantes de sa volonté, il n'était plus autant disponible. J'ai donc continué toute seule, pris les décisions qui me semblant convenir le mieux dans les circonstances et Julian me faisait confiance.
Comment avez-vous travaillé le dessin et la couleur ?
Je travaille normalement en traditionnel pour le dessin (encre et crayon) et numérique pour la couleur (Photoshop). Ceci dit, j'ai intégré de plus en plus d'outils numériques dans Globe-Trotteuses au fur que le temps avançait. À défaut de pouvoir prendre des vacances, je pouvais ainsi au moins aller travailler dans un hamac quelque part en campagne. L'exercice est difficile à réaliser avec des grandes feuilles et des pots d'encre, mais avec un iPad, ça va ! Éliminer l'étape de numérisation et de nettoyage des dessins m'a également permis d'aller plus vite pour le bouclage. On se retrouve donc avec un album où certaines planches sont entièrement numériques, et d'autres sont bel et bien physiques.
Vous utilisez des ruptures de cadres de manières fréquentes, parfois de manière à intégrer un élément secondaire en gros plan, comme pour le goéland. D'où vous est venue l'idée de jouer ainsi avec les cadres ?
Honnêtement, je n'ai aucune idée. Tout vient de quelque part, mais on n'en a pas forcément conscience. Je pense que j'ai surtout peur de m'ennuyer, alors j'essaye des trucs. Les goélands me font rire. Non, mais regardez-les...
Une chose surprend, voire déroute le lecteur, c'est l'association de couleurs parfois osée. Sur une histoire se déroulant en 1887, le lecteur s'attend à quelque chose de plus conventionnel. Or vous partez sur des couleurs dignes des associations d'Andy Warhol sur certaines planches. Pourquoi ce choix et ce décalage ?
C'est simplement comme ça que je travaille, et c'est plus ou moins un choix conscient. J'y vois plutôt une expression de ma personnalité, que j'essaye de mettre au service de l'histoire, tout comme je le fais pour la ligne, le cadrage, le découpage et tout le reste… Et pour ma part, je pense qu'en 2024 les lectrices et les lecteurs en ont vu bien d'autres.
Vous disiez que la création de l'album a duré quatre ans. Est-ce avec le temps de recherche ?
Adaptation et recherche inclues, avec quelques pauses pour des contrats alimentaires et pour déménager. Vraiment un gros chapitre pour moi. Il faut dire qu'illustrer un tour du monde, en 1889 de surcroit, ça demande pas mal de recherche et de lecture. Ceci dit, je me suis laissé pas mal de licence artistique, après tout, ce n‘est pas non plus un documentaire, et l'humour visuel décalé est un peu là par exprès pour le rappeler.
Avez-vous une anecdote relative à cet album ?
Les horaires des bateaux et des trains sont tout aussi hératiques en 2024 qu'en 1889. Amusez-vous bien !… Et dans mon jeune temps, moi aussi j'ai traversé l'Atlantique en bateau. Pas le Pacifique, par contre. Pas encore.
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
J'ai plusieurs trucs sur le feu, le principal étant l'adaptation (en solo) d'un texte inédit de Claude Gauvreau, poète-dramaturge québécois décédé en 1971, personnage assez excentrique et fort intéressant, dont l'œuvre est porteuse de valeurs révolutionnaires et égalitaires. On part sur tout à fait autre chose… J'ai aussi un projet qui porte sur notre relation avec le vivant et les entités naturelles. Mais bon, une chose à la fois !
Le 3 novembre 2024