Interview de Kim Gérard, à propos de Délivrance

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Délivrance, parue aux éditions Glénat, en lisant l'interview de son auteur, Kim Gérard.
Vous êtes illustrateur, connu sous le nom de Kim Roselier, mais votre rêve d'enfance, c'était de devenir auteur de BD. D'où vous vient ce rêve et comment avez-vous fait pour le concrétiser, et pourquoi avoir opté pour un autre nom pour la bande dessinée ?
Étant enfant, j'étais très dyslexique, ce qui m'a naturellement poussé vers le dessin comme autre moyen d'expression. La lecture m'était ardue, donc je comprenais les histoires des bandes dessinées en observant les images plutôt qu'en lisant les dialogues. Cela explique mon insistance sur le découpage et la raison pour laquelle il n'y a pas tant de texte dans mes BD. En tant qu'illustrateur, j'ai choisi Roselier, le nom de ma mère, car il sonnait mieux comme pseudonyme professionnel. Cependant, pour la BD, j'ai utilisé mon vrai nom, Gérard, car cette œuvre représente ce que je suis véritablement, avec toute ma passion et mes convictions.
Délivrance fait 323 planches. Comment s'est déroulé le contrat d'édition avec Glénat, vous leur avez soumis le projet terminé ou Glénat vous a alloué X pages pour votre histoire ?
J'ai suivi le parcours habituel : j'ai rédigé l'ensemble de mon scénario, préparé un dossier comprenant cinq planches, un synopsis et la présentation des personnages, puis je l'ai envoyé sur le site de plusieurs maisons d'édition en espérant une réponse. Robin, mon éditeur, m'a confié que j'avais eu de la chance ; il s'est justement rendu sur la messagerie de Glénat ce jour-là et a décidé de me contacter. J'avais certes un peu de chance, mais j'avais surtout bien travaillé mon dossier pour que l'histoire soit immédiatement claire. Il m'a alors demandé combien de pages j'anticipais. N'ayant jamais réalisé de bande dessinée auparavant, je n'avais aucune idée précise. J'ai tenté de faire une estimation et j'ai volontairement visé bas, suggérant 200, peut-être 250 pages, pour ne pas l'intimider. Cependant, une fois le découpage complet, nous étions à 350 pages. Mon éditeur a suggéré d'en supprimer quelques-unes, mais s'est montré plutôt encourageant. Je lui ai même demandé si nous devrions diviser l'œuvre en deux tomes. Il a estimé qu'un seul livre serait beaucoup plus impactant et que l'histoire ne se prêtait pas vraiment à une séparation en deux parties.
Combien de temps vous a demandé la réalisation de ces 323 planches où vous signez le scénario, le dessin et la couleur ?
Après avoir signé avec Glénat, j'ai eu trois ans pour achever mon projet, avec une livraison prévue pour mai 2023. J'ai finalement terminé en octobre 2023. Je ne mesurais pas vraiment l'ampleur du travail requis, surtout en optant pour un encrage entièrement à la plume. Bien que travaillant habituellement en numérique en tant qu'illustrateur, je souhaitais prendre mes distances avec l'écran. Cependant, cette approche n'a pas spécialement contribué à accélérer le processus.
Délivrance est un récit sombre, violent, mais qui pourtant ne sombre pas dans la violence pour la violence. La souffrance engendre l'amnésie et seule la violence devient salvatrice, mais durant les phases de lucidité, les personnages ont un espoir, celui de mourir. On est finalement dans une symbolique assez forte du purgatoire. À la fin, on a comme une impression d'arche de Noé. Y a-t-il une influence religieuse dans ce récit ? Quelle est sa genèse ?
La genèse de Délivrance repose sur une idée qui m'était chère : contrairement aux personnages habituels de fiction qui luttent pour survivre, ceux de Délivrance aspirent à la mort. Mon objectif était de faire de la mort non pas une fatalité à éviter à tout prix, mais plutôt une quête d'acceptation. Ce récit ne s'ancre donc pas dans une dimension religieuse, mais se présente plutôt comme un conte interrogeant notre rapport à la mort. Cette histoire a pris forme alors que je débutais une relation sérieuse avec celle qui est aujourd'hui ma femme, dont le soutien a été inestimable. À cette période, confronté aux angoisses liées à la mort, une réflexion s'est imposée à moi, notamment du fait de la perte d'un frère dans ma petite enfance. Ce deuil, jamais vraiment connu, mais omniprésent, a profondément influencé ma perception de la mort. Délivrance plonge dans la souffrance, l'amnésie et la violence comme ultimes recours dans une quête désespérée de paix. C'est une traversée d'un purgatoire symbolique menant à une fin qui rappelle l'arche de Noé, invitant à une réflexion profonde sur la mort et sur le désir d'un renouveau.
Le psaume que vous citez à plusieurs reprises dans l'album et que l'on retrouve en fin d'album : « Réveille-toi, pénitent… » s'est-il imposé de suite ou est-il venu au cours de la réalisation de l'album ?
Je l'ai nommé « le mantra ». Effectivement, j'avais rédigé quelques vers et effectué des essais, mais sans succès probant, reconnaissant mes limites dans ce domaine. J'ai donc sollicité l'aide d'un ami. L'idée centrale était de doter les protagonistes d'un mantra qu'ils répètent inlassablement, les aidant à avancer et surtout à ne pas oublier. Ce mantra sert de fil rouge, utilisé à plusieurs reprises pour les ramener à la réalité et éviter qu'ils ne sombrent dans l'oubli.
Vous amenez d'une manière très intéressante la fin du récit, en introduisant la vie par la mort. Pourquoi avoir choisi ce procédé ?
L'idée que la mort est une part naturelle du cycle de la vie, servant de soulagement lorsque ce cycle se renouvelle, est une notion que j'affectionne particulièrement. Dans l'univers de Délivrance, cette perspective prend une dimension cruciale. À travers les épreuves et les tribulations des personnages, la mort est envisagée non pas comme une fin tragique, mais comme une libération, un passage nécessaire pour le renouveau et la paix intérieure. Cette approche de la mort comme élément libérateur est intrinsèquement liée à la quête des protagonistes. Dans un monde post-apocalyptique où la souffrance et le désespoir dominent, la recherche de l'Oasis symbolise cette aspiration à un nouveau départ, à une forme de renaissance où la souffrance pourrait enfin prendre fin. La mort, dans ce contexte, est perçue comme le dernier acte de libération, permettant aux personnages de se défaire de leurs chaînes et de trouver la paix tant convoitée. En outre, cette vision de la mort rejoint la dynamique du personnage de la Môme, dont le don mystérieux permet de redonner vie à une terre désolée, tout en offrant la délivrance finale à ceux privés de la mort. Sa capacité à induire la mort souligne l'importance de l'acceptation de ce cycle naturel, où la fin d'une vie n'est que le préambule à une forme de régénération ou de sanctuaire intérieur pour les survivants. Délivrance explore ainsi profondément le concept de la mort non comme une fatalité, mais comme un composant essentiel de la vie, invitant à une réflexion sur notre propre acceptation de la mortalité et sur la manière dont nous lui donnons sens. J'ai tenté de donner une perspective unique sur le pouvoir de la mort à offrir du réconfort et de l'espoir, même dans les circonstances les plus sombres, résonnant avec des expériences personnelles qui ont marqué ma propre vie. Dans cette quête de sens et de paix, la mort devient un symbole d'espoir, d'acceptation et de renouveau.
Sur un album ayant autant de planches, comment avez-vous travaillé le scénario, mais aussi sa transcription en images ? Faire un scénario à la page + storyboard + dessin + couleurs, c'est faire plus de 1200 pages, et le risque de perdre la spontanéité de la création. Comment avez-vous géré le scénario et le storyboard ? Avez-vous utilisé l'analogique, ou le tout numérique pour le dessin et la couleur ?
Comme c'était ma première BD, je manquais de confiance en moi et je tenais à m'assurer que l'histoire fonctionne et soit claire. J'ai donc procédé étape par étape. J'ai d'abord rédigé l'intégralité du scénario, que j'ai envoyé à Glénat, avec tous les dialogues écrits, un peu comme pour une pièce de théâtre. Je n'avais pas développé les scènes d'action dans le script, préférant les élaborer lors du découpage. Ensuite, je suis passé au découpage, réalisant l'ensemble de cette étape dans l'ordre chronologique, de la page 1 à la page 325. Après avoir fait lire le tout à mon éditeur et apporté quelques modifications, j'ai esquissé toutes les pages sur l'iPad avec Clip Studio Paint (que j'utilise également pour l'illustration), en respectant toujours l'ordre chronologique. Je tenais à ce processus séquentiel, conscient que mon dessin évoluerait sur trois ans, et désireux de capturer cette progression dans le livre. Comme mentionné précédemment, j'ai encré toutes les planches à la plume, imprimant mes esquisses pour les retravailler ensuite sur une table lumineuse, ou en imprimant les esquisses en bleu pour les redessiner directement, à la manière des dessinateurs de comics américains. La colorisation a été l'étape la plus longue et la plus ardue pour moi. Cependant, grâce aux techniques de couleur que j'ai apprises en tant qu'illustrateur, je suis très satisfait du résultat final et des ambiances colorées qui facilitent la compréhension des changements temporels. L'utilisation des couleurs pour les scènes d'action et pour illustrer la vitesse a ajouté une dimension supplémentaire à l'œuvre. Sans ce travail de colorisation, les parties mettant en scène la végétation auraient été nettement moins intéressantes.
Combien de temps vous a demandé la réalisation de Délivrance ?
Quatre ans se sont écoulés depuis la signature du contrat, et six ans en considérant les débuts, lorsque les premières idées ont germé et que l'écriture a commencé. Il est important de mentionner que je travaillais en parallèle comme illustrateur. Je n'étais donc pas à temps plein sur ce projet et j'étais aussi assez désorganisé. Je pense que pour mon prochain projet, je pourrais potentiellement diviser par deux mon temps de travail, surtout si je me tourne vers l'encrage numérique. Cependant, je reste indécis quant à abandonner la plume et l'encre. J'apprécie vraiment le contact avec le papier, mais les questions de productivité restent en suspens. On verra bien.
Est-ce que terminer Délivrance a été une… délivrance ?
Un peu, oui, car après quatre ans dédiés à la finalisation, j'étais véritablement épuisé. Cependant, aujourd'hui, je perçois cela davantage comme une consécration, la réalisation d'un rêve d'enfance. Je suis extrêmement fier ; j'ai lutté pour atteindre ce point, en mettant un accent particulier sur l'amélioration de mon dessin.
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
J'ai commencé à travailler sur une nouvelle histoire, qui promet encore beaucoup de violence et de combats. Il semblerait que je souhaite à nouveau me focaliser sur l'action.
Le 21 mars 2024