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Laurent Siefer, à propos du Métal Hurlant hors série spécial chats

Couverture du magazine BD Métal Hurlant hors série spécial chats

Découvrez les coulisses du magazine de bande dessinée Métal Hurlant hors série spécial chats, paru aux éditions Les Humanoïdes Associés, en lisant de'interview de l'un de ses auteurs, Laurent Siefer.

Comment êtes-vous devenu auteur de bande dessinée ?

Très simplement, en envoyant un courrier avec un projet de livre à un éditeur 😊. Je suis un autodidacte forcé, puisque je n’ai pas pu entrer dans une école d’illustration (trop de mauvaises notes à l’école). J’ai appris au grès des rencontres, en montrant mon travail à d’autres dessinateurs/­plasticiens, scénaristes et éditeurs. Lorsque j'ai commencé, tout était très empirique dans ma façon de procéder. Le premier ouvrage qui m'a permis, entre autres, de mieux comprendre mon métier, c'est L'Art séquentiel de Will Eisner, et pour le scénario un livre de Michel Chion. Mon passage chez Ubisoft en tant que graphiste m’a permis d’approcher un peu plus le milieu de la BD, grâce à mon ami Pierre-Henry Laporterie qui connaissait bien Olivier Supiot, Boris Beuzelin, et Éric Omont.

En 2004, vous signez votre premier album, Mystère ovale, en solo, paru chez Glénat. L'année suivante, chez le même éditeur, vous participez en tant que dessinateur à l'ouvrage collectif Carrément Bruxelles – Ronduit Brussel. Ensuite, il faudra attendre le retour de Métal Hurlant pour vous retrouver dans la bande dessinée. Pourquoi une si longue pause en tant qu'auteur ?

Il y a eu plusieurs pauses, mais pas aussi longues. Avec deux amis, Thierry Mary et Stéphane Ladouceur, nous avons créé la maison d'éditions Asteure (bande dessinée et d'illustration). Nous avons publié une dizaine d'ouvrages, diffusés d'abord par le Comptoir des indépendants, puis par Belles lettres. J'ai à cette occasion scénarisé et colorisé deux petites BD pour enfant, Bazil le peintre et La Lune et Bazil : les géants du cirque, avec Maxime Péroz au dessin (2009 et 2010). J'ai ensuite participé au développement de l'école de BD et d'illustration L'iconograf basée à Strasbourg fondée par mon ami Thierry Mary. J'ai créé au même moment mon studio de jeu vidéo « I am a dog studio » avec lequel j'ai réalisé mon premier jeu indépendant Cibos. J'ai réalisé plusieurs illustrations et pages de BD, soit pour des magazines ou des entreprises. Aujourd'hui, avec mon ami et associé Thierry Mary, nous dirigeons une des meilleures écoles de BD françaises et un petit studio de jeu vidéo indépendant soutenu par le Centre national du cinéma.

Vous êtes un des auteurs réguliers de Métal Hurlant depuis le numéro 3. Est-ce que travailler pour Métal Hurlant, c'est travailler pour une revue, comme cela le serait pour Le Journal de Mickey, ou est-ce que cela va au-delà ?

Oui, j'ai cette chance de pouvoir participer régulièrement à la revue. Avec le Métal spécial chat, cela fait cinq histoires en tout. Je ne sais pas comment cela se passe pour les auteurs du Journal de Mickey, les contenus, le format, les thématiques et le public sont tellement éloignés de Métal Hurlant. Métal Hurlant, c'est pour moi la possibilité de créer des histoires très différentes à chaque numéro, puisque les thèmes ne sont jamais les mêmes. C'est aussi un espace de liberté formidable pour expérimenter graphiquement, proposer des narrations différentes que je n'aurais peut-être pas abordées tout seul. Sa ligne éditoriale fait coexister des formes classiques et alternatives de la BD. Ce grand écart est magnifique, car il s'affranchit d'un formatage marketing, une aubaine pour les auteurs et les autrices qui y participent. Enfin, il permet à de jeunes autrices et auteurs de se faire la main sur des formats de récit cours, avant de se lancer dans la réalisation d'un album. Un de mes étudiants, Florian Breuil, a récemment publié dans le MH 10 alors qu'il est encore en formation dans notre école. Bref, il y a très peu de revues qui permettent tout ça aujourd'hui.

Quels sont vos thèmes de prédilection en tant qu'auteur de bandes dessinées ?

J'aime les choses contemplatives, l'onirisme, ce qui est poétique et un peu bizarre/­fantastique. Sans pour autant que ce soit une thématique, j'aime dans certaines de mes histoires jouer avec les échelles d'espace et de temps pour créer de l'étonnement et d'une certaine manière une distance qui me sert de miroir par rapport à nos conditions d'humains.

Que préférez-vous dans la création d'une BD : trouver l'idée, l'écriture du scénario, le storyboard, le crayonné, la mise en couleurs, ou une autre étape ?

Trouver l'idée ! C'est ce qui motive la suite. Comme je suis dessinateur, elle peut venir aussi par le dessin. L'album que je réalise actuellement a comme point de départ une illustration que j'avais réalisée pour le plaisir.

Pour ce numéro spécial chats, vous signez deux histoires. Pourquoi avoir choisi le format de l'histoire illustrée, sans bulles pour Un Stratège à moustaches ?

Le dialogue pour cette histoire n'était pas nécessaire. Le principe de deux grandes cases par page m'a été inspiré par le travail de Caro que j'avais vu dans un ancien MH. Deux grandes cases par page donc, avec un texte narrateur (celui du protagoniste). J'ai adoré dessiner de grandes images, parfaites, il me semble, pour l'approche narrative de ce récit qui se rapproche d'un mythe. J'aime également dans les découpages des pages utiliser le principe du gaufrier (unité de taille pour chaque case), je trouve que cela permet de créer des pages visuellement bien équilibrées avec un parcours de lecture très lisible.

Croquis d'Un Stratège à moustaches, de Laurent Siefer
Croquis d'Un Stratège à moustaches © Laurent Siefer — MH
Extrait d'Un Stratège à moustaches, de Laurent Siefer
Extrait d'Un Stratège à moustaches © Laurent Siefer — MH

Un Stratège à moustaches est une histoire très simple, qui raconte l'évolution d'un félin pour devenir un chat. De quel animal vous êtes-vous inspiré pour le début de l'histoire ? De pseudaelurus ?

Je ne me suis inspiré d'aucun animal en particulier. J'ai fait quelques croquis du design du personnage dans mon carnet et j'ai quasiment attaqué directement sur la planche. Au fur et à mesure que je le dessinais, je me disais qu'il y avait une sorte de mélange entre un doberman et un lévrier. Voilà, on peut dire que le chat était un chien à la base, hahaha.

Comment avez- vous travaillé le dessin ?

Pour cette histoire, j'ai travaillé d'abord avec mon carnet de croquis, puis en numérique sous Procreate avec mon iPad pour la réalisation des pages au propre. Il y a eu encore un peu de Photoshop pour le profil colorimétrique et quelques réglages de textures et de contrastes. J'adore dessiner avec mon iPad, on peut dessiner partout avec. Procreate est de mon point de vue l'un des meilleurs logiciels de dessin actuels. Pour d'autres histoires de MH, j'ai mixé des dessins à l'encre de Chine avec du numérique.

Dans Temple Matou, vous êtes scénariste et le dessin est réalisé par Pierre-Henry Laporterie. D'une manière différente que dans Un stratège à moustaches, vous abordez de nouveau les origines du chat. Pourquoi avoir choisi deux fois cet angle pour raconter deux histoires totalement différentes ?

Parce que le Temple Matou était la première histoire que j'avais imaginée pour ce numéro spécial. Elle n'était pas encore tout à fait au point, lorsque l'idée d'Un Stratège à moustaches m'est venue en pleine nuit dans mon lit (je pense souvent à mes histoires avant de m'endormir). L'idée de raconter les origines de ce félin me plaisait beaucoup, ce qui fait que mes deux histoires abordent cette thématique sous le même angle. Je n'étais pas du tout parti pour faire deux histoires. Quand je me suis mis à réaliser Un Stratège à moustaches, j'ai trouvé la bonne articulation pour Temple Matou. Quelques mois passèrent, cette histoire me trottait toujours dans la tête (j'avais fini de dessiner les pages pour Un Stratège à moustaches en avril 2023). J'ai la chance de travailler directement avec Jerry Frissen, le rédacteur en chef de MH. Je voulais connaître les thématiques des Métal Hurlant à venir, je lui ai donc demandé un RDV Zoom. Comme il habite du côté de Los Angeles, nos appels se passent souvent en fin de journée. C'était un vendredi, je ne sais plus pourquoi, mais j'étais dans la remise de la librairie indé « Le Tigre » de mon ami Nico et j'avais Jerry sur mon téléphone portable qui me parlait des prochaines thématiques. C'est à ce moment-là que je me suis dit : parle-lui de cette histoire. Il a beaucoup aimé et quelques jours plus tard, c'était bon. Il ne me restait plus qu'à proposer à un ami dessinateur de dessiner l'histoire !

Dans Temple Matou, page 262, la première case montre le départ du vaisseau spatial. Viennent ensuite quatre cases avec les plots du temple. Ces cases montrent que le chat parti est remplacé afin de coloniser d'autres planètes ?

Oui… en somme, un distributeur de chats en kit pour toutes entités qui ont la bonne idée de passer un peu de temps sur cette planète et de s'aventurer dans ce temple ! Attention, pour cela, il faut être une civilisation intergalactique !

Comment travaillez-vous le scénario ?

Non, pour l'écriture, je procède comme si je la faisais pour moi. Mes méthodes d'écriture varient en fonction de ce que je cherche à dire. Un Stratège à moustaches, c'est le fruit d'une réflexion, alors que le Temple Matou, c'est d'abord quelques croquis dans mon carnet, qui m'amènent à imaginer les événements qui vont structurer mon récit. Je raconte ensuite oralement mes histoires pour voir comment réagit mon entourage et ma femme (ma première lectrice). J'écris ensuite un texte qui met en évidence les enjeux du récit et qui produit facilement des images à la lecture. Tout doit être limpide comme de l'eau de roche. Lorsque j'écris pour des formats cours, je m'appuie souvent sur la structure d'une blague. Cela permet d'être très efficace quand on raconte, on va à l'essentiel. L'objectif étant de produire un effet inattendu/­saisissant lorsqu'on arrive à la fin de l'histoire.

Y a-t-il une différence entre réaliser un scénario pour vous et un scénario pour un dessinateur tiers, comme Pierre-Henry Laporterie ?

Pour Pierre-Henry, en plus du pitch de départ, j'ai prédécoupé en rough (dessins vite fait, mal fait) le récit pour fixer la stratégie narrative (comment j'introduis et déroule le récit). Comme je suis dessinateur, c'est plus simple et cela donne une base de travail solide pour le dessinateur. Nous sommes restés deux heures et demi en ligne et Pierre-Henry a pu faire rapidement une première mise en place des neuf pages de l'histoire.

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Le prochain Métal Hurlant pour les 50 ans de la revue, pour les éditions Six pieds sous terre Somnia Mundo, mon prochain album et mon nouveau jeu vidéo Cosmic Holidays. Je donne aussi des cours dans mon école, bref, j'ai du pain sur la planche pour un bon bout de temps !

Extrait du jeu vidéo Cosmic Holidays
Cosmic Holidays © I am a dog studio
Extrait de la BD Cosmic Holidays
Somnia Mundo © Laurent Siefer — 6 pieds sous terre

Le 21 avril 2024