Interview de Leo, à propos de Bellatrix

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Bellatrix, parue aux éditions Dargaud, en lisant l'interview de son auteur, Leo.

Bellatrix est le 26^e tome des Mondes d'Aldébaran, pourtant cette bande dessinée se lit aisément sans avoir lu les tomes précédents, est-ce dû au fait que Bellatrix initie un nouveau cycle ? Comment abordez-vous le scénario pour rendre cela évident pour les non initiés à la série, car en tant qu'auteur, quand on est plongé dans un univers, on pourrait être amené à prendre certaines choses pour des évidences.

Chaque cycle raconte une aventure complète, c'est sûrement ça qui fait qu’on puisse lire les cycles sans avoir lu forcément les précédents. Mais certaines références aux parcours vécus par les personnages principaux sont inévitables et le lecteur novice risque de ne pas tout comprendre. Difficile à faire autrement pour des personnages qui ont vécu d’innombrables péripéties pendant plusieurs années.

Combien de tomes avez-vous prévu pour ce cycle ?

Cinq tomes.

Comment, au tout début, est née l'idée des Mondes d'Aldébaran ?

C’est très difficile d’expliquer comment naissent les idées. Au début, il s’agissait pour moi d’une seule aventure, « Aldébaran ». C'était une ancienne idée que j’avais eue avant même d’arriver en France, et que j’ai perfectionnée au fil des ans. Une histoire de science-fiction, mon terrain de prédilection. Le succès de cette première histoire m'a amené à imaginer une suite avec les mêmes personnages, Bételgeuse, et à partir de là est née cette saga qui possède aujourd’hui plusieurs cycles où les aventures se suivent en ordre chronologique.

Bellatrix véhicule un message assez claire. Est-ce que tous les cycles ont le même message ?  L'univers a-t-il été créé pour aborder une problématique, ou est-ce l'inverse, la problématique est venue parce que l'univers s'y prêtait ?

Quand j’imagine une histoire, je ne pense pas du tout à faire passer un message. Mon but est de créer une aventure pour faire vivre mes personnages et que ce soit une lecture captivante pour le lecteur. Mais inévitablement on va toujours laisser apparaître en toile de fond sa façon de penser, de voir le monde, on fait ressortir ses expériences vécues, on laisse s’exprimer les indignations, les rages qu’on ressent en voyant les absurdités et les injustices dans les nouvelles à la télé, en lisant les journaux. Par exemple, quand je choisis quels seront les méchants de mon histoire, je vais les chercher dans les gens qui me sont insupportables, les fanatiques, les dictateurs, les ignorants arrogants, etc. Il y a là, forcément un message, mais c’est toujours un corolaire et pas un point de départ. Par contre, quand j’ai choisi comme personnages principaux des femmes, il y avait là une défense consciente du féminisme, un rejet évident de ces idées imbéciles qui considèrent les femmes comme inférieures aux hommes. En fin de compte, ce genre de choses fait que le récit est un peu lié à la réalité d’aujourd’hui, même si l’histoire se passe dans le futur. Ça lui donne, je pense, un peu plus d'épaisseur.

Dans Bellatrix, les cow-boys en blanc, sont-ils une allégorie du Ku Klux Klan, qui juste après la guerre de Sécession et l'affranchissement des esclaves a fait voter des lois ségrégationnistes et rétrogrades ?

J'avoue que je n’ai pas pensé à ça en habillant de blanc mes “méchants”. Je voulais leur donner un air un peu ridicule. Et il est vrai que les accoutrements des KKK sont eux aussi ridicules…

Comment construisez-vous le synopsis ?

Dernièrement, je n'écris plus de synopsis, je commence directement en écrivant le scénario, planche par planche, case par case, avec les descriptions et les dialogues. Normalement, je dois réécrire plusieurs fois en le perfectionnant, surtout en améliorant les dialogues et en faisant attention à la fluidité du récit et à sa clarté.

Comment passez-vous du synopsis au storyboard ?

Je dessine à partir du scénario, planche par planche, case par case. Je commence par un premier jet rapide pour imaginer la distribution des cases dans la planche. Puis j'écris les textes des bulles pour voir la place qu’elles occupent et leur emplacement dans la case. Ensuite, je commence à redessiner les images, en plusieurs étapes, chacune plus perfectionnée que la précédente, jusqu'à arriver à l’image définitive. En général trois étapes suffisent, dépendant de la complexité de la scène.

Comment dessinez-vous ?

Depuis quelques années, je dessine sur tablette graphique avec le programme Photoshop. C’est devenu inévitable avec la disparition graduelle des bons matériaux de dessin, papiers, plumes, encres, etc. Au début, je ne me sentais pas très à l’aise pour dessiner avec un stylo en plastique sur un écran en plastique très lisse  ! Mais petit à petit on s’habitue et les facilités qu'offrent les programmes numériques compensent largement l'effort d'adaptation. Aujourd'hui, je crois que je serais incapable de revenir à la plume sur papier…

Comment réalisez-vous la mise en couleurs ?

Aussi sur tablette graphique. Et plus que pour le trait noir et blanc, l'exécution des couleurs en numérique est immensément plus rapide et aisée, et le résultat final est bien supérieur à celui que j'arrivais à faire à la main. Une remarquable évolution technique  !

Combien de temps vous demande, en moyenne, un livre des Mondes d'Aldébaran, de la première idée, à la restitution de la dernière planche à l'éditeur ?

L'écriture du scénario varie énormément : parfois on a l'idée et l'écriture coule facilement en quelques petites semaines, mais parfois ça bloque, on hésite, on change d'idée, on revient en arrière et ça peut devenir assez long. Disons que dans la moyenne, pour moi, un album complet prend dans les 8 à 9 mois de travail.

Après Bellatrix, créerez-vous un autre cycle dans Les Mondes d'Aldébaran, ou sera-ce la fin de cet univers et le début d'un autre ?

Je ne prétends pas donner une fin aux Mondes d'Aldébaran. Après Bellatrix, je compte inventer une autre aventure pour Kim et Manon.

Quels sont vos projets actuels et futurs ?

Actuellement, en plus de dessiner le tome 2 de Bellatrix, je réalise en parallèle des illustrations des étranges bêtes extraterrestres qui apparaissent dans mes albums pour les réunir dans un livre, un Bestiaire des Mondes d'Aldébaran. À part ça, j'écris petit à petit le scénario des tomes suivants de Bellatrix, ainsi que trois autres scénarios conjointement avec mon collègue, le scénariste Rodolphe, pour trois séries réalisées par d'autres dessinateurs : Scotland, dessiné par Bertrand Marchal ; Demain, dessiné par Louis Alloing ; et Europa, dessiné par Zoran Janjetov.

Le 18 septembre 2023