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Interview de Lewis Trondheim, à propos de Chassé-croisé au Val Doré

Couverture de la BD Chassé-croisé au Val Doré

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Chassé-croisé au Val Doré, parue dans un coffret de quatre BD aux éditions Dupuis, en lisant l'interview de son scénariste, Lewis Tronheim.

Comment vous est venue cette idée de faire une histoire en chassé-croisé en 4 tomes réunis dans un coffret ?

J'étais au festival de Toronto en mai 2018. J'y ai croisé Sergio Garcia avec qui j'avais déjà fait 2 livres il y a 25 ans. Nous aimons tous les deux essayer de trouver de nouvelles formes de narration, voire de narration multiple au sein d'un même ouvrage. Nous étions autour d'une table, à réfléchir à tout ça et m'est apparue une idée de 4 livres qui raconteraient 4 histoires, 4 points de vue, et ainsi faire comprendre aux enfants qu'il faut avoir les versions de tout le monde avant de se faire trop vite une idée sur quelqu'un ou sur une situation. Mais il me semblait que ce serait impossible à un éditeur de faire 4 livres vendus ensemble. Trop cher, trop compliqué d'expliquer rapidement le concept. Et finalement, Stéphane Beaujean, des éditions Dupuis, connaissait très bien et adorait les 2 livres que nous avions faits par le passé. Il a donc été bienveillant et enthousiaste. Il a trouvé un moyen de réduire les coûts de fabrication tout en conservant un bel objet bien fabriqué et bien édité.

Le lecteur est donc en présence de 4 livres, mais il n'y a aucun numéro sur les tranches. Au dos du coffret, on peut néanmoins lire un ordre énumératif présentant le contenu. Est-ce l'ordre dans lequel vous conseillez la lecture, y a-t-il un autre ordre que vous préférez, et dans quel ordre avez-vous écrit les histoires ?

L'ordre d'écriture est Le Garçon qui ne voulait pas de chat, Une vie de chien, La petite fille fantôme et Un président pas comme les autres. Mais peu importe l'ordre dans lequel on lit les ouvrages. Ils ont tous un début, un milieu et une fin. Ils se tiennent par eux-mêmes. Mais lire les autres apporte un petit plus.

Dans Le Garçon qui ne voulait pas de chat, on retrouve le chien d'Une vie de chien, et certains personnages d'Un président pas comme les autres. Dans Une vie de chien, on retrouve le fantôme de La Petite fille fantôme et l'enfant et le chat du Garçon qui ne voulait pas de chat. Dans La Petite fille fantôme, on retrouve juste le chien d'Une vie de chien, et dans Un président pas comme les autres, il n'y a aucune référence aux autres récits du Val Doré. On a donc l'impression qu'Un président pas comme les autres est en marge du chassé-croisé. Pourquoi l'avoir moins imbriqué et ne pas avoir fait un rappel de chaque histoire dans chaque livre ?

Avec Sergio, nous voulions avoir une forme narrative et un style graphique différent à chaque volume. Nous voulions surprendre à chaque livre, et pour cela, il fallait créer des ruptures avec les 3 autres titres. Et je ne voulais pas non plus d'intrication systématique. Et j'ai même eu des retours d'enfants qui ont lu les 4 livres, qui les ont adorés et qui, 2 jours plus tard, sont revenus vers moi pour me dire qu'ils avaient beaucoup réfléchi à ces récits et qu'ils avaient trouvé des connexions qu'ils n'avaient pas remarquées à la première lecture. Ça fait vraiment plaisir d'avoir des lecteurs qui ont encore leurs pensées dans mes livres plusieurs jours après les avoir lus.

Le garçon qui ne voulait pas de chat, Une vie de chien et Un président pas comme les autres sont des BD, tandis que La Petite fille fantôme est un livre illustré. C'est aussi le seul album en noir et blanc. Pourquoi ce parti pris, et est-ce que les deux autres ouvrages ont également, chacun, une particularité structurelle ?

Toujours cette histoire de surprise, de rupture. Celui avec le chien est fait avec des grosses trames et des couleurs précises, comme un peu le fait que les chiens ne voient pas les mêmes couleurs que nous. L’histoire avec le président a toujours 4 cases carrées par page avec une gamme orange et bleue. 

On ne présente plus vos dessins. Pourquoi ne pas avoir illustré vous même ce Chassé Croisé et comment avez-vous rencontré Sergio Garcia-Sanchez ?

Nous nous sommes rencontré à Bruxelles dans les années 90, à un festival. J’ai l’impression qu’à chaque fois qu’on se voit à un festival à l’étranger, on élabore un nouveau projet. J’aime vraiment beaucoup collaborer avec d’autres auteurs. Ils ont des capacités à dessiner que je n’ai pas. Sergio a été capable de trouver 4 styles de dessin pour ce projet, mais en restant cohérent, ce n’est pas rien. C’est un immense dessinateur. Il a fait des livres illustrés, mais il a également travaillé pour le musée Picasso, et il collabore régulièrement pour le Newyorker avec lequel il a réalisé de nombreuses couvertures. En plus de ça, il est prof de bande dessinée à l’université de Grenade. Un génie !

Avez-vous une anecdote sur la création de Chassé-croisé au Val Doré ?

J'ai écrit la première histoire en 2018, Sergio l'a dessinée dans la foulée, puis il a été pris par de nombreux autres travaux. Ensuite, il y a eu le covid. Nous n'avions repris le projet qu'en 2022. Mais c'était bon signe, ça voulait dire qu'on était toujours certain que ça valait le coup, que ce livre avait un vrai potentiel narratif.

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Rien d’aussi ambitieux. Juste des petits bonshommes dans des cases à qui il arrive des aventures un peu rigolotes, mais toujours surprenantes. La surprise, c’est mon moteur. Je suis le premier lecteur, il faut que j’ai envie d’avoir la suite et qu’en même temps, je ne m’attende pas une seconde à ce qui va se passer.

Le 10 octobre 2023