La Mouette hurlante Le webzine spécialisé dans les interviews d'auteurs

Interview de Lisa Lugrin, à propos de Terres rebelles : le voyage zapatiste en Europe

Couverture de la BD Terres rebelles : le voyage zapatiste en Europe

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Terres rebelles : le voyage zapatiste en Europe, parue aux éditions Futuropolis en lisant l'interview de sa co-autrice, Lisa Lugrin.

Vous êtes impliquée avec Métie Navajo, qui cosigne le scénario de l'album avec Jérôme Baschet et vous-même, dans les comités zapatistes depuis plusieurs années. Comment avez-vous sympathisé avec le mouvement zapaiste au départ ?

J'avais seulement lu des livres sur leur organisation, qui donne beaucoup d'espoir, car ils arrivent à construire une manière de vivre ensemble assez démocratique et pleine d'inventivité. Je rêvais donc depuis 10 ans de faire une BD sur le mouvement zapatiste, mais je ne voyais pas trop comment, car il y avait un côté exotique et je ne me sentais pas légitime. Quand les Zapatistes ont annoncé qu'ils allaient venir en Europe pour rencontrer les peuples en lutte, on s'est dit avec Métie que c'était l'occasion idéale pour enfin écrire ce livre. Ça nous permettait à la fois de parler de leur mouvement, mais aussi des lieux et des initiatives plus près de chez nous, comme des coopératives autogérées (Longo Mai), des mouvements de défense des terres (Les Lentillères), des collectifs de sans-papiers, des ouvriers qui ont repris leur outil de travail (Scop Ti ou l'Après M), etc.

Vous faites partie des initiateurs de la venue des zapatistes mexicains en Europe. Pourquoi avoir voulu qu'ils viennent sur ce continent ?

Ce sont les zapatistes qui ont lancé cette idée de visiter les cinq continents, en commençant par l'Europe. Avec humour, ils l'ont décrite comme une conquête inversée, les premiers zapatistes venant par voie maritime, à rebours de Christophe Colomb et de Cortés 500 ans plus tôt. Symboliquement, c'était important pour eux que la première personne zapatiste à poser le pied sur le sol européen soit une personne transgenre. Il a renommé le continent européen Slumil K'ajxemk'op, qui signifie Terre rebelle en langue maya. Ils ont ensuite débarqué à presque 200 et ont sillonné l'Europe durant trois mois, rencontrant environ 1400 collectifs. Le but était de créer du lien, avec eux, mais aussi entre nous, pour unir nos forces.

Comment avez-vous rencontré Métie Navajo et Jérôme Baschet, et quels ont été leurs rôles dans la réalisation de Terres rebelles : le voyage zapatiste en Europe ?

J'ai rencontré Métie de façon assez fortuite. Nous avons passé notre ceinture noire de Wu Dao (un art martial) ensemble en 2020. Nous nous sommes rendu compte de notre intérêt commun pour les zapatistes (elle, étant allée vivre dans des communautés) et nous avons évoqué l'idée de réaliser une BD sur ce mouvement. Quelques semaines plus tard, elle m'annonçait que les zapatistes prévoyaient de venir en France. Je me suis alors investie dans plusieurs groupes pour préparer leur voyage, plusieurs mois avant leur arrivée. C'était une période assez enthousiasmante, car des tas de collectifs très différents se retrouvaient et conjuguaient leurs forces. Il fallait une logistique importante pour les finances, les transports, les logements, la santé (on était en plein covid), l'organisation des rencontres, la communication, etc. J'ai rencontré Jérôme dans la commission communication, j'ai proposé l'idée d'une BD sur laquelle il a rebondi. Il a eu l'idée du point de départ : raconter leur voyage presque en direct. Il m'a donné énormément de précisions pour améliorer mes dessins et le récit. Il a ensuite écrit plusieurs épisodes, notamment ceux sur le fonctionnement zapatiste. Métie a enchaîné en racontant les différentes rencontres avec les collectifs locaux. Julia Arnaud, Rocio Martinez et Nicco Tiburcio ont également contribué en écrivant sur les événements auxquels nous n'avions pas pu assister : l'arrivée des zapatistes à Vienne, les rencontres avec des collectifs de sans papiers et contre les violences policières, les rencontres de femmes au Chiapas et à la ZAD Notre-Dame des Landes.

Comment avez-vous travaillé le dessin de Terres rebelles ? Vous avez fait le choix d'une mise en couleurs en rose et vert. Allusion au drapeau mexicain. Pourquoi n'avez-vous pas pris le vert et le rouge ? Pourquoi cette contrainte technique ?

J'ai dessiné cette BD entièrement en numérique, notamment à la tablette sur Procreate. Pour le trait noir, j'ai utilisé un pinceau classique et pour la couleur, un autre pinceau crayon 6B, qui ressemble à la texture du crayon de couleur. Il est très bien fait et je trouve qu'il est difficile de voir la différence d'avec un vrai crayon. La technique et les couleurs sont venues un peu par hasard, dans l'urgence, car j'ai dû réaliser les cinq premières pages en seulement une semaine. C'est très peu pour trouver le texte, une technique et tout mettre au propre. Parfois, la contrainte est inspirante. Le rose et le vert sont les premières couleurs que j'ai testées, juste parce que je les trouvais jolies. Et puis, mélangées ensemble, j'ai découvert qu'elles donnaient un violet assez beau, ça m'a inspirée. J'aime aussi ce rose, car il donne une touche douce et positive à un propos parfois dur, pousse le récit du côté de l'espoir. Presque toutes mes BD sont faites dans des techniques différentes, ce qui n'est pas un très bon choix commercial, car on ne reconnait pas ma patte d'un livre à l'autre, mais j'ai besoin d'être surprise et enthousiasmée par la découverte de nouveaux possibles tout au long de l'album.

Quel retour avez-vous eu du mouvement zapatiste mexicain sur Terres Rebelles ?

Nous avions imprimé des exemplaires de la BD en cours lorsque les zapatistes sont venus pour la vendre et aider à financer leur voyage. Nous leur avons donné la BD et ils étaient plutôt touchés de s'y reconnaître. La BD qui vient de sortir chez Futuropolis ne leur a pas encore été donnée, mais le sera bientôt. J'attends avec impatience leurs retours.

Combien de temps a demandé la réalisation de Terres rebelles : le voyage zapatiste en Europe

Elle m'a pris deux ans et demi. C'est très long de réaliser une BD, en particulier les dessins.

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

J'ai beaucoup de projets en cours, j'aimerais avoir des journées trois fois plus longues pour pouvoir tout avancer plus vite ! Un des projets, Le lion de Guantanamo, est une fiction se déroulant à Cuba. Elle part d'un fait divers : l'évasion d'un lion du petit zoo de la ville cubaine en face de la base américaine du même nom. C'est l'occasion d'une aventure, mais aussi de montrer comment Cuba applique par la force des choses la décroissance depuis des dizaines d'années et a trouvé des solutions qui pourraient nous être utiles face aux crises et pénuries actuelles et à venir. Un autre projet est sur le Gange et le fait qu'il ait été décrété personne morale pour le protéger. Et enfin, nous écrivons avec Métie Navajo une BD-conte pour enfants inspirée de l'histoire d'un des magnifiques lieux que nous avons découverts à l'occasion du voyage zapatiste.

Le 25 mars 2024