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Interview de Louise Joor, à propos du Grand migrateur

Couverture de la BD Le Grand migrateur

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Le Grand migrateur, parue aux éditions Rue de Sèvres, en lisant l'interview de sa dessinatrice, Louise Joor.

Dans les remerciements, au début de l'album, vous écrivez « Cette histoire a mis plus de 10 ans pour enfin devenir le livre que vous tenez dans les mains. 10 ans de sommeil. » Pouvez-vous nous en dire plus ?

Les prémices du Grand Migrateur remontent à un voyage à Bruges, en Belgique, avec Augustin il y a plus de 10 ans. Nous avions toute la journée pour flâner et dès qu’on se promène à deux, c’est toujours comme ça, on parle scénario. C’est là qu’ont émergé les personnages de Cordette, cordonnière, et de Gilles le Penaud, un géant qui avait besoin de chaussures et d’une grande migration jusqu’au pays des géants. Le projet est resté en sommeil ensuite, Augustin et moi travaillant chacun sur nos projets respectifs, jusqu’en 2021 où nous sommes allés le réveiller pour une histoire courte qui est finalement devenue Le Grand Migrateur.

Toujours dans les remerciements, vous dites : « Merci à mon amoureux pour ce voyage partagé », est-ce une allusion au scénariste avec qui vous avez partagé cet album ?

Oui, c’est tout à fait une allusion au scénariste, ha ha  ! Augustin et moi nous sommes rencontrés lors de nos études, à Saint-Luc, à Bruxelles, en section bande dessinée. Nous sommes ensemble depuis 16 ans, aujourd’hui mariés avec un enfant, et partageons le même atelier. Le Grand Migrateur est notre premier album en commun, même si nous avons chacun toujours suivi le travail sur les albums de l’autre. : )

L'ouvrage débute par quatre planches de BD, puis une page blanche, les remerciements, la page de titre, une nouvelle page blanche et la BD. Pourquoi ce choix, vu qu'il n'y a pas une véritable ellipse, puisqu'on retrouve la suite des 4 premières pages.

Je crois me souvenir que c'était une proposition de notre éditrice, Charlotte Moundlic, vis-à-vis de la pagination importante de l’album. Ça ajoute un petit rythme qui rappelle un peu certains films, dessins animés ou épisodes de série où on profite de quelques minutes d'introduction à l'histoire avant que le titre n’apparaisse. L’idée nous a plu.

Quel a été le point de départ du scénario ?

Augustin a repris cette vieille idée de projet que nous avions eue à Bruges et l'a remaniée pour la proposer en histoire courte au magazine Spirou. On suivait déjà un duo sautillant, Odette et Childebert, qui assistait au réveil d'un géant. La Fantasy et la Science-Fiction sont mes domaines de fiction préférés, là où ceux d'Augustin se trouvent plutôt du côté du western et du polar. Quand l'idée de l'histoire courte a été abandonnée, Augustin s'est attelé à l'écriture d'un scénario sur mesure pour que je puisse m'amuser sur mes terrains de jeux préférés. Le fait qu'il ait plus de recul sur ces genres a permis une approche peut-être moins « complexée » vis-à-vis de ce qui existe, là où je n'aurais sans doute pas osé le faire seule avec les mêmes ingrédients. Augustin y a ensuite ajouté ce qu'il aime raconter, à savoir beaucoup d'aventure, de l'épique, des relations de personnages, du rythme et de l'humour.

Comment avez-vous travaillé ensemble ?

Nous avons travaillé sur le Grand Migrateur comme sur tous nos projets précédents, en ping-pong constant. Beaucoup de discussions entre nous, puis je me mets à faire des croquis des personnages pendant qu’Augustin écrit le premier jet du scénario. Il me fait lire, je lui donne mon retour : ce que j’aime beaucoup, ce qu’il faudrait peut-être changer avec quelques pistes si j’ai une idée. Il modifie puis envoie à notre éditrice. Son retour donne lieu à quelques modifications supplémentaires et surtout nous confirme que nous sommes tous enthousiasmés par l’histoire racontée. Ensuite, je me lance dans le découpage (storyboard) complet de l’album et le fait lire à Augustin qui me donne à son tour son avis et ses propositions pour l’améliorer. Le “moment de vérité” est quand nous l’envoyons ensuite à notre éditrice et à notre duo de relecteurs préféré, Mobidic et Hugo Poupelin (ce dernier a signé les cartes du monde d’Ozhinn). Une fois leurs retours intégrés, le plus “dur” est fait. Reste le plus long, redessiner “bien” tout l’album, le mettre en couleur et finir avec la maquette (couverture, pages de garde, etc…). Étant très fidèle à mon découpage, je travaille avec une pression en moins une fois ce dernier validé. Et pour ce projet, comme j’ai laissé la partie scénaristique avec son lot de doutes, de questionnements et de nœuds dramatiques à Augustin (c’est cadeau !), le tout s’est fait dans un très grand plaisir et surtout une grande sérénité.

Comment avez-vous créé graphiquement l'univers du Grand migrateur et quelles sont vos influences ? 

L'envie de départ était d'adopter un style un peu déformé avec des petits personnages à grosses têtes, style qui diffère un peu de celui de mes albums précédents. Pour la création des architectures, des vêtements et des objets, j'ai fait un mix entre les styles moyen-âgeux mongols, occidentaux et arabes. Pour le bestiaire, j'ai choisi de tout faire tourner autour des dinosaures et d'animaux à plumes, carapaces et écailles. Pas trop d'animaux à fourrure. Il n'y avait pas vraiment de limites précises, tant que c'était cohérent avec l'univers du récit. Parmi mes influences qui se ressentent dans cet album, il y a les dessins animés de Disney, de Hayao Miyazaki, les romans de Robin Hobb, le manga Bride Stories, la série BD Bergères guerrières, le MMORPG Ragnarök et sans doute beaucoup d'autres auxquelles je ne pense pas.

Comment dessinez-vous ?

Je fais tout mon découpage sur papier, au format final de l'album. Pour le crayonné, je travaille au crayon F sur papier A3, puis je mets au net avec un crayon gras 2 B. Ensuite, je scanne et je mets en couleur numériquement sur Photoshop. Et paf, ça fait un album de bande dessinée. Avis aux amateurs d'originaux : du 06 octobre au 21 octobre 2023, des planches originales du Grand Migrateur (ainsi que de mes précédents albums) seront exposées à Bruxelles par Créabulles, à la galerie Passerelle Louise, en compagnie de très beaux originaux d'Augustin Lebon et de Mobidic.

Combien de temps vous a demandé Le Grand Migrateur ?

Pour le temps d'écriture pure (donc sans compter les temps de discussion, de réflexion et de recherches qui sont bien plus longs), Augustin a travaillé environ 2 mois sur le scénario. De mon côté, environ 2 mois aussi pour le découpage. Pour les planches noir et blanc, environ 8 mois et pour la couleur, environ 4 mois. Un peu plus d'un an donc, juste pour la partie dessin.

Envisagez-vous une suite dans l'univers du Grand Migrateur ?

À priori, non, à moins d'avoir un jour une idée qui mérite d'être développée dans cet univers. Le Grand Migrateur a vraiment été pensé comme un one-shot, en partie car nous voulions tester notre collaboration avec Augustin. Collaboration qui s'est plus que bien passée, donc nous avons déjà imaginé un autre projet ensemble, mais ce n'est pas pour tout de suite. ;)

Quels sont vos projets actuels et futurs ?

Je travaille actuellement sur les planches d'un chouette diptyque, sur un scénario de Sylvain Féry, à paraître aux éditions Drakoo en 2024/2025. Ensuite, j'ai une idée de one-shot jeunesse à l'aquarelle qui risque d'être un beau défi, puis j'aimerais revenir à notre idée de collaboration avec Augustin. Et du côté d'Augustin, ne ratez pas la sortie de son Western Love, ce mercredi 20 septembre aux éditions Soleil  ! Un tome 1 pêchu, plein de western et d'amour ♥. La suite est en cours. ;)

Le 18 septembre 2023