Interview de Makyo, à propos du Chant de la femme parfaite

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Le Chant de la femme parfaite, parue aux éditions Delcourt, en lisant l'interview de son scénariste, Makyo.
Comment êtes-vous devenu scénariste ?
Au départ, j'étais dessinateur et seul le dessin m'intéressait. Alors, je bricolais des scénarios simplement pour pouvoir dessiner. Puis j'ai rencontré Alain Dodier, qui a fini par me demander de lui écrire une histoire. Et là, j'ai découvert ce que c'était qu'écrire une histoire qui a du sens et qui n'est pas seulement destinée à assouvir le besoin de dessin.
Depuis Pistil, en 1977, vous n'avez cessé de scénariser, voire de dessiner, des albums de BD. À combien d'albums en êtes-vous ? Pouvez-vous nous parler de l'évolution de ce métier depuis près de cinquante ans ? L'envie est-elle toujours la même qu'aux débuts ?
Pour le nombre d'albums, je ne sais pas exactement, je n'ai jamais compté. Probablement entre 150 et 200. L'évolution du métier est globalement positive (pagination libre, romans graphiques abordant tous les genres, plus de femmes dans la profession qui était essentiellement masculine, etc.). Mais le point négatif, c'est la surproduction… Un album qui sort est noyé dans la masse.
Quel a été le point de départ du Chant de la femme parfaite ?
Un article que j'avais lu sur un Australien, James Harrison, qui possède un anticorps rare qui permet de guérir la maladie hémolytique… La maladie hémolytique du nouveau-né est une pathologie qui survient durant la grossesse lorsque des anticorps maternels attaquent les globules rouges du fœtus, de par la présence de certains marqueurs cellulaires hérités du père. Cette maladie survient typiquement quand le groupe sanguin de l'enfant est de rhésus positif, et celui de la mère de rhésus négatif. Elle se traduit par des fausses couches, des morts à la naissance ou par des malformations cérébrales de l'enfant. Cet homme a ainsi sauvé plus de deux millions de bébés.
Comment avez-vous travaillé le scénario ? Faites-vous un synopsis, puis un plan, etc. ?
J'écris toujours un synopsis extrêmement détaillé, voire dialogué, qui peut faire entre 20 et 30 pages et qui me sert de guide ensuite pour le traduire en pages dialoguées.
Le récit se sert des ondes électromagnétiques comme porte d'entrée vers des mondes parallèles. Y a-t-il des thèses ou des expériences sur le domaine ou tout ce qui a été abordé dans l'album est-il de la vulgarisation romancée ?
Oui, il y a toutes sortes de thèses sur le sujet, certaines intrigantes, d'autres farfelues. Moi, ce qui m'intéresse toujours, c'est de donner une assise sinon cohérente, du moins qui aura des allures de cohérence pour mon récit.
Quels étaient les messages sous-jacents que vous vouliez faire passer avec cet album ?
Faire passer des messages est quelque chose de plus ou moins ambitieux, voire prétentieux. J'aime simplement aborder des thèmes qui me sont chers, comme la recherche psychologique, l'abîme des projections et des transferts des émotions, croyances, manques et traumas personnels sur les autres dans le magma des relations humaines, puisque, comme l'avait dit Jung, tout ce qui est inconscient se projette.
Alan aime Catherine puis essaye de l'oublier, arrive ensuite Omaïa, dont Alan tombe amoureux. Omaïa s'en va, Catherine semble vouloir revenir… Quand on crée ainsi une histoire s'entrelace, imagine-t-on le point de convergence au-delà de la dernière planche ? Dans votre intention d'auteur, Alan peut-il retomber amoureux de Catherine après ce sentiment d'abandon et le fait qu'il ait aimé Omaïa ?
Disons que Alan ne tombe pas amoureux d'Omaïa, il recolle petit à petit au sentiment amoureux qu'il éprouve pour Catherine et que, les circonstances aidant, il accepte intérieurement de projeter (provisoirement) sur Omaïa. J'imagine que Alan peut facilement retrouver l'amour pour Catherine puisque cet amour ne l'a jamais quitté. J'avais tout conçu et élaboré dans le synopsis initial qui faisait 30 pages. Comme un mini roman.
Hormis la page 102, qui est une parenthèse dans la fin, vous terminez l'album par quatre planches muettes. Quelle symbolique avez-vous placée dans ce silence ?
J'aime, après tout le tumulte émotionnel d'Alan, le laisser digérer ce qu'il a vécu et laisser le lecteur se demander, comme le suggère Frank dans la page 102, si tout ça, finalement, n'était pas un délire fantasmatique d'Alan (ce sont les mots de Frank), car, après tout, il n'y a qu'Alan qui a vu Omaïa.
Comment avez-vous rencontré Bruno Cannucciari, le dessinateur – qui signe un dessin très épuré –, et comment avez-vous travaillé avec lui ?
C'est un ami dessinateur romain, Simone Gabrielli, qui le connaît bien et qui me l'avait conseillé. Avec Bruno, j'ai fait comme avec tous les dessinateurs avec lesquels je travaille : je lui ai envoyé le synopsis complet et le scénario dialogué complet également. Ensuite, nous avons beaucoup discuté de l'aspect physique des deux personnages principaux.
Qu'est-ce qui a motivé le choix que l'on retrouve dans l'album pour l'aspect physique des deux personnages principaux ?
L'idée était qu'Alan avait été militaire. Donc il était en bonne forme physique. Belle allure, beau mec, mais pas trop quand même… Normal. Et de plus, il était malade, donc amaigri. Et il fallait qu'il maigrisse encore au cours de l'histoire, car la maladie s'accentuait. Le dessinateur l'oubliait parfois. Et quand il commence à guérir grâce aux chants guérisseurs d'Omaïa, il s'étoffe de nouveau. Pour Catherine/Omaïa, il a proposé plusieurs types de femmes et nous avons finalement opté pour celui-là. Elle est blonde, jolie, avec un soupçon de grâce, de naïveté.
Combien de temps vous a demandé l'écriture du scénario et combien de temps a demandé l'album au total ?
Le temps d'écriture d'un scénario est difficilement chiffrable. Ça mijote longtemps avec des lectures de toutes sortes. Ensuite, il y a des prises de notes, puis l'écriture du synopsis qui peut prendre un mois. Et le découpage dialogué, un ou deux mois. Bruno a mis un an à peu près pour le dessin et la couleur.
Avez-vous une anecdote relative à cet album ?
Rien de spécial à part dire que c'est le premier album que je fais avec Alix de Sanderval qui est éditrice chez Delcourt et que cette collaboration a été très productive. Elle a su gérer certains de mes excès et réguler les erreurs de cohérence. Merci à elle.
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
Je travaille sur plusieurs projets en même temps. Une adaptation de La Mort à Venise, une histoire pour les jeunes filles qui s'appelle Zoline, c'est ma copine et un grand projet qui s'appellera Voir Bouddha.
Le 22 février 2025