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Interview de Marc Cuadrado, à propos de Dans ses yeux

Couverture de la BD Dans ses yeux

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Dans ses yeux, parue aux éditions Bamboo, en lisant l'interview de son auteur, Marc Cuadrado.

Comment êtes-vous devenu auteur de bande dessinée ?

Enfant, puis ado, j'ai été nourri avec Pif Gadget et Fluide Glacial. Quand je suis entré aux Arts décoratifs de Nice, c'est naturellement par le dessin d'humour que je me suis exprimé. Pendant mes études, je suis devenu le dessinateur de Nice-Matin : illustrations d'articles de presse, strips hebdomadaires… Cela a été une bonne école. Après l'obtention du diplôme, j'ai créé une agence de pub avec mon épouse, que je connaissais déjà aux Arts Déco. Mais c'est à partir de 1995 que j'ai décidé de tout lâcher pour me consacrer essentiellement à la bande dessinée. Avec nos deux filles, nous sommes partis vivre à Montréal et c'est vraiment là que tout a commencé. Je travaillais comme illustrateur humoristique pour une douzaine de magazines québécois dont Safarir, un journal de BD. C'est là que j'ai créé Norma, une ado déjantée. Trois albums sont parus chez Casterman. Quatre ans plus tard, nous sommes revenus vivre en France et, en 2002, paraissait Parker et Badger dans le magazine Spirou. En 2012, je me suis lancé sur le scénario d'une nouvelle série,Je veux une Harley, qui raconte mon expérience du milieu biker. Frank Margerin en a assuré le dessin.

Vous expliquez dans le dossier de presse que l'histoire de Tanie et Marc est celle de votre femme et de vous-même. Quelle est la part fictionnelle dans cette bande-dessinée ?

« Dans ses yeux » raconte le quotidien du couple que je forme avec Tanie. Je dirais que le récit est fidèle à la réalité à 90 %.

Comment avez-vous décidé de l'histoire, entre ce qui se garde en intime et ce qui se partage en extime ?

Tanie et moi vivons ensemble 24 h/­24 et depuis de longues années. Son rapport au handicap m'a toujours épaté. Tout est parti d'anecdotes vécues. J'avais envie d'en raconter quelques-unes et de livrer un témoignage, sans prétention et de manière positive. À vrai dire, je ne me suis pas posé la question de savoir ce que je pouvais dire ou pas. C'est un récit intime, forcément, mais les idées sont venues naturellement. Je me suis laissé porter tout en tenant à livrer un récit optimiste, car Tanie l'est.

Avez-vous respecté les étapes traditionnelles de la réalisation d'une BD, à savoir synopsis, scénario, storyboard, crayonné, encrage, ou avez-vous shunté certaines étapes ?

Je suis méthodique, donc j'ai toujours construit mes albums de gags en une planche dans les règles, sauf qu'en m'attaquant au roman graphique, j'ai dû passer par des étapes supplémentaires. Par exemple, l'écriture d'un séquencier, car Bamboo tenait à en savoir plus sur le contenu de l'album. Je dois reconnaître que ça m'a permis de mieux bâtir le scénario.

Comment avez-vous travaillé le scénario ?

Dans le séquencier, j'avais répertorié les différents sujets à aborder. J'ai intégré trois flashbacks, répartis dans l'album, qui racontent comment Tanie est devenue malvoyante. J'ai soumis chaque scène à Tanie pour avoir son avis, mais je tenais à ce qu'elle apporte aussi sa contribution. Alors à chaque fois que nous parlions du contenu, je nous enregistrais. Elle a apporté des dialogues que je n'aurais pas eus, des sentiments qu'elle n'avait jamais exprimés. Cela a beaucoup enrichi le scénario.

Comment avez-vous travaillé le dessin ?

Je dessine chaque case, à 200 % par rapport à la taille d'impression, au feutre sur du calque. Ensuite, je scanne une par une les cases d'une même planche et je fais le montage et la finalisation sur Photoshop et à la tablette graphique. La couleur est également réalisée sur Photoshop.

Vous souhaitiez un album en noir et blanc et finalement votre fille a mis en couleurs Dans ses yeux. Pourquoi ce changement et comment avez-vous décidez de la gamme chromatique, particulière de cet ouvrage ?

Je pensais que la couleur n'était pas essentielle pour cet album. Chez Grand Angle, le noir et blanc n'étant pas possible, nous sommes donc partis, avec ma fille Clara, sur un choix de trois couleurs plus une pour les flashbacks. Je ne suis pas très doué pour la couleur et, en plus, je suis daltonien (il y a forcément un rapport de cause à effet), c'est donc tout naturellement que j'ai confié ce travail à Clara, auteure de BD elle-même.

Combien de temps vous a demandé, au total, l'album ?

Deux années, mais j'ai passé quelques mois de réflexion sur le contenu avant de démarrer.

Avez-vous une anecdote relative à cet album ?

Dans l'album, il y a une histoire où je donne un cours de conduite à Tanie qui n'a jamais pu passer son permis à cause de sa vue. J'avais écrit toute la scène, mais je voulais lui trouver une chute. J'ai emprunté la voiture cabossée de Clara pour éviter d'abîmer la mienne. Au moment de récupérer ma voiture, une des chèvres de ma fille est montée sur mon capot. J'étais très énervé par les marques laissées par les sabots, mais, du coup, la fin de mon histoire était toute trouvée.

Quel regard Tanie a-t-elle eu sur ce livre ? A-t-elle pu le lire ?

La lecture est difficile pour elle, mais, chaussée de ses lunettes-loupe, elle arrive encore à lire si les caractères ne sont pas trop petits. Tanie a une forte personnalité, mais elle n'aime pas se mettre en avant. Elle, qui parle rarement de son handicap, est devenue le personnage principal d'une bande dessinée. De lire son histoire a été une prise de conscience pour elle et lui a fait réaliser ses moments de faiblesse et ses petites victoires.

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Faire un roman graphique dans un style plus réaliste a été une super expérience, mais comme je suis un laborieux, j'ai dû beaucoup travailler pour arriver au résultat que je souhaitais. Une fois les planches livrées, j'ai pris un peu de repos, mais j'ai été vite rattrapé par la vie de tous les jours : j'ai une maison que je continue d'améliorer par des travaux de bricolage (Tanie m'avait préparé une longue liste de choses à faire), trois petits-enfants qui nous occupent beaucoup et quatre motos à entretenir. Bref, les journées passent trop vite, mais j'ai dans la tête une ou deux idées. J'aimerais, par exemple, parler de mes origines espagnoles et j'ai trouvé un angle qui pourrait être intéressant, mais je prends le temps d'y réfléchir.

Le 1er avril 2025