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Interview de Michel Alzéal, à propos du Monde de Pickto

Couverture de la BD Le Monde de Pickto

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Le Monde de Pickto, parue aux éditions Paquet, en lisant l'interview de son auteur, Michel Alzéal.

Comment êtes-vous devenu dessinateur et auteur solo de BD ?

J’ai toujours aimé dessiner, c’est un moyen d’expression qui me convient bien et je n’ai jamais lâché mes crayons. Ce qui m’a permis de progresser au fil des ans, en copiant dans un premier temps les auteurs de mon enfance que j’aimais bien jusqu'à m'en libérer afin de me sentir à l’aise avec mes propres styles. Et puis l’envie de raconter des histoires a muri dans ma tête et toujours en autodidacte, j’ai tout fait pour comprendre le fonctionnement de la narration.

Le Monde de Pickto est un OVNI dans le monde de la BD, puisque les pictogrammes remplacent le texte dans les bulles. Comment avez-vous eu cette idée ?

Deux de mes premières publications en bande dessinée étaient une lecture d’images : Le Pantin, sans aucun texte, et EpouvanPaille, où j’avais inséré des sons ainsi que deux ou trois bulles avec des dessins. Le choix de faire une bande dessinée avec des pictogrammes dans les bulles à la place des textes était finalement la continuité de ce travail fait en amont. L’idée n’est pas venue si facilement malgré tout, cela faisait un moment que j’avais envie d’aller plus loin sans savoir comment m’y prendre et puis après différentes réflexions, j’ai voulu voir si le pari des pictogrammes pouvait se tenir dans la longueur et après différents essais, j’ai décidé de me lancer.

Remplacer le texte par des pictogrammes, c'est un peu jouer au rébus, le soucis est que tout le monde ne trouve pas forcément la réponse aux rébus, d'où la page de réponses dans les livres de jeux. Ici, pas de page de réponses, le lecteur devra comprendre avec le dessin et les cases qui précèdent ou qui suivent. C'est un pari de lecture, qui peut exclure certaines personnes. Comment avez-vous testé cette écriture pour être certain qu'elle fonctionnait ?

C’est un pari qui peut effectivement exclure certaines personnes, mais qui peut aussi permettre à d’autres de découvrir un autre moyen de rentrer dans la bande dessinée. J’ai souvent entendu « La BD ce n’est pas pour moi, le mélange de texte et d’image ne me convient pas » et là finalement nous nous retrouvons avec des images dans l’image et je peux vous assurer que les retours que j’ai pu avoir me prouvent aujourd’hui que cela fonctionne bien. Et puis c’est un langage universel que je propose, nous trouvons aujourd’hui des pictogrammes partout, dans les gares, les aéroports, sur nos téléphones… Cela parle forcément à la majorité. En amont, j’avais fait lire les premières pages à différents types de personnes en guettant leurs réactions et finalement êtais convaincu que je pouvais continuer avec ce mode de narration.

Comment avez-vous écrit cet album ? Comme une autre BD, ou bien le fait de substituer les pictogrammes au texte a impliqué un changement dans la conception du découpage du scénario et du storyboard ?

Pour chaque nouvelle BD que je fais, je me pose énormément de questions, car mon style et ma manière de faire n’est jamais tout à fait identique. Pour cette histoire, je me suis volontairement imposé cette contrainte de couleurs limitées et de pictogrammes que je devais tenir sur la longueur. Pour cela, il m’a fallu créer la plupart des symboles, ce qui était nouveau pour moi et qui n’a pas toujours été évident, mais le travail de mise en scène que m’a demandé cette démarche a été un véritable plaisir. La façon de raconter cette histoire m’a demandé énormément de trouvailles afin d'être certain que le lecteur prenne autant de plaisir que moi à avancer dans le récit. Comme à chaque fois, ce que je mets en avant dans mon travail est la lisibilité et la fluidité de lecture afin que le lecteur puisse dérouler les pages le plus naturellement possible. C’est une démarche qui me prend beaucoup de temps quel que soit le projet sur lequel je travaille. Ce qui fait que je n’ai pas l’impression d’avoir vraiment procédé différemment sur la conception du découpage pour Le monde de Pickto malgré ses différences.

Le monde de Pickto ne se prend pas au sérieux, Pinocchio vient berner le prince de La Belle au bois dormant, qui est croisée avec Berthe aux grands-pieds. Vous inversez aussi le conte des frères Grimm Le Roi Grenouille ou Henri de Fer, faites allusion à Blanche Neige et les sept nains… On sent que vous vous êtes beaucoup amusé à créer cet album, qui mêle également le Code de la route aux contes… Pouvez-vous nous citer toutes les références que vous avez reprises dans Le monde de Pickto ?

Je ne vais pas citer toutes les références que j’ai mises dans le livre, car il y en a beaucoup et que cela fait partie du plaisir de lecture de les découvrir au fur et à mesure. Ce qui est amusant, c’est que parfois on me site des références auxquelles je n’avais pas pensé consciemment, mais qui sont effectivement bien présentes. Je vais tout de même vous dévoiler le nom de chaque nain se trouvant dans le monde de Pickto, c’est une référence que vous avez graphiquement dans le livre, mais je profite de cette interview pour nommer : Mick, Keith, Ron, John, Paul, Georges et Ringo qui m’ont fait le plaisir de m’accompagner pendant la réalisation de cet ouvrage, vous les reconnaitrez certainement.

Page 35, vous mettez le feu aux interlignes du gaufrier, un procédé très original, comment avez-vous eu cette idée ?

Je ne me souviens plus exactement comment m’est venue l’idée, par contre je sais que la mise en forme ne s’est pas faite du premier coup et qu’un bon nombre de storyboards ont été nécessaires avant de pouvoir travailler ces deux planches au propre.

La dernière case reste énigmatique, avec une femme en suspension au-dessus du sol. Pouvez-vous nous expliquer la dernière partie de la BD, avec cette femme qui trouve la chaussure de La Belle au bois dormant, et qui vole ?

En fait, cet épilogue, même s’il n'était pas indispensable, était important pour moi. Sans raconter comment cela se termine pour mes protagonistes qui trouvent un sens nouveau à leur vie à la fin du récit, j’avais aussi besoin de ne pas laisser cette chaussure sans son pied, ou plutôt devrais-je dire cette demoiselle sans sa chaussure. Elle a forcément vécu quelque chose avec le prince, même si ce n’est pas raconté, et j’avais envie de ne pas l’oublier. L’idée n'était pas de la faire voler, mais qu’on la sente légère, et de laisser le lecteur sur une fin ouverte où il peut imaginer ce qui peut suivre comme il l’entend. Pour en revenir aux références dont nous parlions tout à l'heure, sa coupe de cheveux particulière n’est pas faite au hasard.

Comment dessinez-vous, quel matériel et logiciel utilisez-vous ? On sent un travail numérique important dans cet album.

Le dessin à la base est fait à la main. Tout ce qui est trait noir est fait sur papier, je dessine mes personnages, mes décors, etc… Ensuite, je scanne et une fois la mise en page faite sur Photoshop (mes inter-cases, mes bulles…), je pose mes premiers contours avant de gommer les traits que je souhaite remplacer par la couleur, puis je rentre plus dans les détails et je termine tout le reste de mes planches sur Photoshop. Certains pictogrammes ont été réalisés à la main, d'autres directement sur l’ordi.

Combien de temps vous a demandé la réalisation du Monde de Pickto ?

Difficile de dire combien de temps j’ai mis pour réaliser Le monde de Pickto, car je travaillais sur deux projets en même temps lors de sa réalisation.

Avez-vous une anecdote sur la réalisation de cet album ?

Pas d’anecdote particulière à part le fait d’avoir pris énormément de plaisir à faire ce livre. Je me suis beaucoup amusé à harmoniser mon histoire autour des pictogrammes afin de permettre au lecteur une lecture fluide mais aussi et surtout la plus amusante possible !

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Des projets j’en ai pleins mes cartons, mais rien pour le moment qui ressemble au Monde de Pickto. L’idée de retravailler un univers comme celui-ci trotte tout de même dans ma tête, si je trouve le bon angle et les bonnes idées, je repartirais volontiers dans ce type d'écriture. Pour le moment, je suis en train de mettre en forme une nouvelle histoire, pour celle-ci, j’ai commencé par l'écriture des dialogues. Cette BD suit différents couples passés, présents ou à venir qui guident un récit fantastique dont le cœur central du récit est une librairie. Le style graphique que j’ai commencé à mettre en forme n’a rien à voir avec le Monde de Pickto, j’ai besoin de plonger le lecteur dans une ambiance plus chaude, aux couleurs plus épaisses.

Le 28 novembre 2023