Interview de Michèle Standjofski, à propos de Mona Corona

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Mona Corona, parue aux éditions Le Bruit du monde, en lisant l'interview de son auteur, Michèle Standjofski.
Comment est née l'idée de Mona Corona ?
Mona Corona, est une fiction dont l’idée m’est venue la veille du premier confinement de Beyrouth, en mars 2020. J'étais partie à la recherche d’une machine à café pour trois de mes collègues et moi, dans les bâtiments désertés de l'école où j’enseigne, et suis tombée, rencontre surréelle, sur une employée de l’administration en train d’arroser les plantes de son bureau. J’ai immédiatement senti le potentiel romanesque de la situation incongrue et du personnage. Après l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, j’ai naturellement ressenti le besoin de remanier mon scénario pour traduire en dessin l’atmosphère fantomatique et toxique qui se dégage des rues de la ville.
Page 116, Aya dit : « Les gens t'ont surnommé Mona Corona, tu sais, du nom de ce virus des années 2020… ». On retrouve également de nombreux pangolins autour de la page 40. Il y a plus qu'une allusion au Covid, pourtant, ici, ce sont des gaz et la pollution qui rendent l'air irrespirable. Mais Mona dit, page 82 : « Je suis contaminée ». Pouvez-vous nous expliquer ce que vous avez imaginé comme mal frappant Mona et la ville ?
Le mal qui frappe Mona et la ville, je l'ai voulu multiple, mais aussi mystérieux. Je ne l'ai volontairement pas clairement identifié. On découvre au fil des pages qu'il y a une crise sanitaire, mais aussi une crise sécuritaire, économique et politique, une autre environnementale. C'est le contexte de multi-crise que traverse le Liban qui m'a bien entendu inspirée, mais je n'ai pas voulu nommer Beyrouth pour garder à la crise sanitaire son aspect universel.
Pourtant page 24, on peut lire Beirut en grafitti sur un mur de la ville. Page 87, Mona chante : « This town looks like a dead town ». Y a-t-il un message politique concernant Beyrouth dans votre ouvrage ?
Je ne sais pas si on peut parler de message politique, mais oui, il y a un appel à la révolte. Le geste de Mona est libérateur et contagieux. Une chose que les mouvements de révolte nous apprennent, c'est que l'intime et le politique sont très connectés.
Le résumé de couverture dit : « La révolte et la réjouissante folie libératrice d'une femme pourraient peut-être […] changer le cours d'une histoire qui semble s'acharner à toujours tendre vers le pire… » Cette libération via la femme n'est-elle pas, ici, en opposition directe avec le mal féminin incarné par le rose du livre ? Le livre n'a-t-il pas un message sous-jaçant sur le rôle passif ou inconscient de la femme dans son propre malheur ?
Je n'ai pas du tout considéré le rose du livre comme une couleur féminine. Mais plutôt comme une couleur à la fois séduisante et toxique. Je ne l'utilise d'ailleurs que pour le ciel et les éléments toxiques, qu'ils soient réels ou fantasmés. C'est la couleur du ciel de Beyrouth dans les heures qui ont suivi l'explosion du 4 août 2020. Mais oui, la folie de Mona est réjouissante et libératrice à partir du moment où elle n'est plus passive.
Tout se qui se déroule dans l'histoire s'est-il réellement passé pour Mona, ou bien le lecteur assiste-t-il à une forme de folie onirique faites de fantasmes ?
Mona Corona est un personnage fictif et le livre une espèce de fable. Une fois ceci admis, Mona a vraiment vécu toute cette histoire. Mais certaines images sont en effet la projection de ses fantasmes.
Mona Corona présente une structure narrative très particulière puisque le livre est quasiment muet durant 40 planches, alterne des passages avec quelques diaologues et la phrase “This town looks like a dead town” jusqu'à la page 114, pour ensuite présenter des planches plus bavardes. Comment ce genre de structure se conçoit-elle au moment du scénario et du storyboard ?
La première partie ne pouvait être que muette puisque Mona traverse, seule, une ville déserte. J'y tenais, pour souligner la solitude du personnage. Il y a ensuite une espèce de diarrhée verbale, quand elle se trouve face à quelqu'un à qui parler. Et puis le refrain libérateur qui sert un peu de ralliement à la foule. La deuxième partie est une tentative de retour à la normale et correspond à un apaisement chez Mona. Je l'ai voulu normalement bavard :-)
Comment travaillez-vous le dessin et la couleur ? Quelle tablette et quel logiciel utilisez-vous ?
J'ai réalisé les dessins à l'encre de Chine et posé la couleur sur Photoshop avec ma tablette Wacom.
Combien de temps vous a demandé la réalisation de Mona Corona ?
Il m'a fallu environ deux ans pour réaliser ce livre. Mais j'ai travaillé en parallèle à d'autres projets.
Avez-vous une anecdote relative à ce livre ?
La chanson qu'écoute et chante Mona devait être Ghost town, une chanson que les Specials ont composée durant les manifestations anti-Thatcher de 1980. On n'a pas obtenu les droits d'utilisation parce que les agents du groupe ont cru que j'étais anti-vax… et il était trop tard pour leur dire que j'étais vaccinée quatre fois !
Michèle Standjofski a récemment scénarisé la bande dessinée Escape Ghosn, parue chez Samir Éditeur. L'interview dédiée permet de répondre à d'autres questions, comme les projets en cours de l'autrice.
Le 14 janvier 2024