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Interview de Miguel Vila, à propos de La Forteresse volante

Couverture de la BD La Forteresse volante

Découvrez les coulisses de la bande dessinée La Forteresse volante, parue aux éditions Sarbacane, en lisant l'interview de son dessinateur, Miguel Vila.

Comment êtes-vous devenu dessinateur ?

Alors que j'étudiais la bande dessinée à l'Académie des beaux-arts de Bologne, j'ai rencontré Edo Chieregato, l'éditeur de Canicola. Immédiatement après l'obtention de mon diplôme, il m'a proposé de travailler sur Padovaland, mon premier roman graphique qui sera publié en 2020. Entre-temps, j'ai publié deux autres volumes chez Canicola : Fiordilatte et Comfortless. Les deux premiers ont été traduits en France par Presque Lune 1, le troisième sera publié en mai.

Comment avez-vous rencontré Lorenzo Palloni, le scénariste de La Forteresse volante ?

Il était déjà connu en Italie et en France avant ce projet, mais je n'ai fait sa connaissance que lorsque Carlotta Colarieti (médiatrice de Minimum Fax) m'a proposé de dessiner son histoire. Pour une première collaboration avec un écrivain, c'était vraiment bien, car Lorenzo reconnaît que les illustrateurs ont parfois besoin de liberté dans leurs scènes, même s'ils ne les a pas écrites. Il n'a donc pas manqué de moments où son scénario s'est adapté à mes besoins stylistiques ; d'ailleurs, c'était réciproque : j'ai moi aussi adapté mes dessins à ses décors.

Ce qui marque dans La Forteresse volante, au-delà de l'histoire, c'est votre façon d'utiliser l'espace des planches. Le blanc de la pagination a une part très importante. Vous vous échappez du gaufrier traditionnel, utilisant des cases empilées centralement en une colonne, des cases rondes, des cases très petites, alors que la planche vous permettait de les agrandir. Quelles sont les raisons de ces choix atypiques ?

J'ai commencé à utiliser une cage libre dès mon premier livre, mais ce n'est pas mon invention : je l'ai “empruntée” à la phase stylistique la plus récente de Chris Ware, que l'on peut voir dans le volume de Rusty Brown. Je pense que l'alternance d'espaces blancs et de vignettes reliées entre elles “personnalise” le flux narratif d'une page : la lecture est accompagnée le long d'une ligne temporelle spécifique et, en même temps, elle se ramifie dans les détails et les actions simultanées de cette scène, sans perdre son orientation. L'absence de structure rigide permet également de donner à chaque vignette la bonne dimension : le poids narratif doit changer, il ne doit pas toujours être le même.

Bien que l'histoire se passe à la veille de la deuxième guerre mondiale sur fond de fascisme et de nazisme, La Forteresse volante n'a aucun des codes graphiques des bandes dessinées de guerre. Était-ce une demande de Lorenzo Palloni, ou est-ce vous qui avez proposé ce décalage ?

Je n'avais jamais rien dessiné sur la guerre ou la science-fiction avant cet album, j'ai donc dû réinventer mon imagerie pour l'adapter à mon style tout en racontant une histoire qui n'était pas la mienne. Plus précisément, je me suis beaucoup concentré sur les scènes sanglantes, les déformations des extraterrestres et les expressions contractées des protagonistes. C'est peut-être la raison pour laquelle cette bande dessinée semble “étrange” pour son genre.

La forteresse volante désigne le Boeing B-17, dont le premier vol date de 1935. Y a-t-il une allusion à cet avion dans le titre de l'album ?

C'est vrai, je l'ai découvert bien plus tard. Je n'en ai jamais parlé avec Lorenzo, mais je suis presque sûr qu'il voulait faire un jeu de mots avec ce titre, faisant allusion à la fois au bombardier américain et à l'énorme vaisseau spatial terrien que l'on voit sur l'album.

La couleur rose est omniprésente dans cet album, que ce soit dans les bulles ou en couleur de colorisation. Une couleur douce qui contraste avec la violence implicite du récit. Pourquoi avoir fait le choix de cette couleur ?

De nombreux choix narratifs ont été faits par hasard. Lorenzo et moi voulions que l'album ait des couleurs monochromes afin que les décors aient un effet de film d'actualité des années 1930 (voir Istituto LUCE). Puis j'ai pensé que, dans un monde aux couleurs dépourvues d'inspiration, une présence extraterrestre constituerait un contraste fort ; le rose symboliserait alors une technologie futuriste à des années-lumière des modestes vies paysannes de Vergiate.

La forteresse volante donne l'impression d'avoir été modélisée en 3D. Est-ce le cas, ou est-ce une illusion d'optique du fait de votre technique de dessin utilisant des formes géométriques ?

Dans la plupart des scènes, j'ai dessiné le vaisseau spatial au stylo et à l'équerre, puis j'ai éclairci les contours dans Photoshop, pour le rendre plus irréel ou du moins plus “raréfié”. Sur une page, je l'ai dessiné numériquement parce que je voulais qu'il ressemble à une étrange mosaïque de lumières enveloppées dans l'obscurité de la nuit.

Comment travaillez-vous le dessin et la couleur ?

Dans un premier temps, j'encre les crayons sur le papier, avec des marqueurs très fins. Une fois les planches prêtes, je les scanne et les nettoie dans Photoshop à l'aide d'une tablette Wacom. Après avoir “blanchi” les contours des vignettes, je commence la mise en couleur.

Combien de temps vous a demandé la réalisation de cet album ?

Initialement, je devais préparer les planches finales en huit mois environ. À un moment donné, cependant, le délai a été repoussé pour des raisons éditoriales et j'ai travaillé plus calmement pendant trois mois supplémentaires. Les derniers jours de travail ont été interminables, car nous devions nous coordonner en permanence avec Alessio, qui était chargé du lettrage, pour répartir correctement les textes dans les ballons.

Avez-vous une anecdote relative à La forteresse volante ?

Ce qui m'amuse à me souvenir de ce travail, c'est que j'en ai sous-estimé la difficulté : j'étais convaincu qu'il était beaucoup plus facile de dessiner un scénario tout fait, et d'une certaine manière, c'est vrai parce que vous êtes dispensé de l'élaboration fastidieuse des scènes. Mais en même temps, c'est vraiment très fatigant de respecter le nombre de lignes et de s'assurer que l'on n'oublie pas un petit détail essentiel à l'histoire. Dans une scène, j'ai dû refaire les personnages avec une cagoule parce que, ayant mal compris, je les avais démasqués trop tôt.

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Ils sont actuellement en phase d'écriture. Il s'agira de livres à auteur unique, mais une nouvelle collaboration avec Lorenzo Palloni n'est pas exclue.

1 Padovaland et Fleur de lait.

Le 01 février 2024