La Mouette hurlante Le webzine spécialisé dans les interviews d'auteurs de BD et de romans graphiques

Interview de Nicolas Dumontheuil, à propos du Meunier hurlant

Couverture de la BD Le Meunier hurlant

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Le Meunier hurlant, parue aux éditions Futuropolis, en lisant l'interview de son auteur, Nicolas Dumontheuil.

Comment êtes-vous devenu auteur complet de bande dessinée ?

J'ai toujours voulu être auteur de BD, dessiner des histoires, depuis tout gosse. J'ai fait une école d'arts appliqués à Toulouse, puis travaillé très tôt à Paris en indépendant (à 20 ans), pour des agences de pub : je faisais des illustrations et des story-boards pour vendre du dentifrice et des machines à laver. Facile, ça m'a mis en selle, mais pas très excitant, ça m'a inquiété et poussé à dessiner pour moi. J'avais 23 ans quand j'ai commencé ma première histoire en  BD, dans mon coin — qui est devenue mon premier album publié chez Dargaud : L'Enclave — et comme je ne connaissais absolument personne dans le milieu, aucun scénariste surtout, ça m'a poussé à écrire moi-même, bien obligé. Mais j'aimais ça aussi, écrire. J'avais le goût des mots, un certain sens des dialogues aussi. Juste, il fallait que je m'y mette, et que j'apprenne à construire une histoire, ce qui est venu avec l'album d'après : Qui a tué l'idiot ?, paru chez Casterman, qui ressort aujourd'hui chez Futuropolis, et qui en 1997 a reçu plusieurs prix, dont notamment celui de meilleur album à Angoulême, ce qui m'a lancé et fait connaître.

Qu'est-ce qui vous a donné envie d'adapter Le Meunier hurlant, d'Arto Paasilinna, dans sa version traduite en français par Anne Colin du Terrail (éditions Denoël) ?

J'ai découvert Paasilinna dans les années 90, Le journaliste-chroniqueur Michel Polac à la radio avait vanté cet écrivain, et le roman La Forêt des renards pendus que j'ai d'ailleurs adapté aussi. Il en avait parlé en de tels termes, évoquant un certain ton ironique et absurde, à la fois pessimiste et joyeux, avec des histoires qui ne croient pas trop en l'humanité, mais plutôt en une certaine beauté qui peut surgir des êtres dans des situations précises. Bref, un ton décalé et drôle, et mélancolique aussi. Tout pour m'attirer et me plaire. Ce fut le cas, j'ai tout lu de cet auteur, je me sens très familier de son univers, sans vouloir me vanter ou me comparer, très proche de cet humour nordique “pince-sans-rire”, je suis comme chez moi dans ses livres, c'est l'effet que cela me fait en le lisant en tous cas, et à chaque fois je me dis : « Ho ! j'aurais voulu penser à cette idée ! ».  Alors voilà : deuxième adaptation de Paasilinna, et je me suis vraiment beaucoup amusé, peut-être encore plus que la première fois, avec La Forêt des renards pendus.

Comment s'est déroulée l'adaptation ? Le livre d'origine fait 256 pages, vous l'avez réduit à environ 148 planches. Le format final est-il celui qui était prévu au départ dans le contrat d'édition ? A-t-il fallu faire des coupes ?

L'adaptation s'est passée naturellement, j'ai relu le roman, et commencé le découpage, j'avais la structure du récit bien en tête, j'ai suivi la ligne générale, la mécanique d'enchainement des péripéties est très précise, je ne pouvais pas trop la modifier, où tout se cassait la gueule. Mais j'ai coupé des séquences oui, un peu, et rajouté des détails à moi, des dialogues de mon cru, en restant dans le ton.

Avez-vous directement écrit le scénario ou avez-vous réécrit, en le réduisant, le récit ou du moins le synopsis, en fonction de ce que vous vouliez conserver ?

Parfois des idées me venaient, des répliques surtout, et je les ajoutais, quand il me semblait que ça pouvait apporter un truc en plus, ou être drôle ou touchant. (Comme l'histoire des oreilles décollées du héros enfant, que ça mère vient tous les soirs retourner quand il dort, ou le moulin que l'on redresse en le tirant par des bœufs, tout ça n'est pas dans le roman par exemple). Mais j'ai suivi le livre, c'est plutôt très fidèle. J'ai aussi remplacé certains personnages masculins par des femmes (comme la paysanne voisine d'Agnar : c'est un homme dans le roman), ça permettait une plus grande variété et un ton sensiblement différent.

Nous sommes ici dans une adaptation “d'après” et non dans un livre “librement adapté”. Avez-vous cependant pris quelques libertés par nécessité narrative ?

Comme j'ai dit plus haut, ce n'est pas une adaptation “libre”. J'ai eu la liberté que je voulais bien sûr, mais je ne me suis pas affranchi du roman, je l'ai choisi car je voulais raconter cette histoire, et non parce qu'elle était un tremplin à ma propre imagination. (Comme ce fut le cas avec ma trilogie western Big Foot inspirée par le roman Le monstre des Hawkline de Brautigan. Là, j'étais parti en roues libres !)

Quand on est auteur solo ou auteur complet, la nécessité de respecter certaines étapes pour se faire comprendre du dessinateur n'existe plus. Est-ce que cela permet de s'affranchir de certaines de ces étapes ?

Quand on écrit et dessine aussi, cela se fait naturellement, on fait généralement le scénario en même temps que le découpage, ce qui fait que l'on s'affranchit de la nécessité d'être compris uniquement par le texte, la mise en scène compte énormément et donne des idées de scénario uniquement visuelles, par exemple. Cela permet d'autres idées, d'autres directions au récit aussi, parfois.

Vous signez un album entièrement réalisé en lavis. Pourquoi ce choix et comment l'avez-vous travaillé ?

Le lavis, c'est mon choix, une technique qui me va bien, car elle est dynamique, rapide, expressive, on peut mettre des lumières facilement, utiliser des pinceaux fins, et aussi des brosses, des pinceaux aquarelles, etc. Je me suis inspiré des dessins au lavis chinois notamment, faits avec cette technique traditionnelle au pinceau et à l'encre, qui permet beaucoup de choses, on peut être très près d'un certain académisme tout en trouvant des solutions modernes et personnelles, induites par l'efficacité et la simplicité du dispositif. Et au final, le rendu est simple et riche, je crois. J'espère. À l'impression ensuite a été introduite une teinte sépia. (Il y a donc deux passages d'encre : un pour le noir, et un pour la teinte sépia.

La typographie du Meunier hurlant est manuelle, est-ce une volonté de votre part ou est-ce un choix de Didier Gonord, qui signe la conception et la réalisation graphique de l'album pour Futuropolis ?

La typo est faite à la main par moi, directement sur la page. Je n'ai pas un dessin classique trop figé et posé, alors je considère que ma typo doit être partie intégrante du dessin, elle doit être graphique, pas seulement “lisible” et “bien alignée”, propre. Elle doit varier selon les bulles, s'adapter au dessin et à ce qui est dit, et à la place dans la case, la situation, et rechercher, dans la lisibilité et le confort, un certain équilibre. Je dois dire que je déteste les typos mécaniques, plaquées sur le dessin, avec des bulles intégrées après par ordi. Hou ! Ça devait être interdit, inscrit dans la constitution ! La typo, c'est du dessin !

Combien de temps vous a demandé l'album au total ?

Un an et demi : une grosse année pour le dessin, quelques mois pour le scénario et le découpage, les recherches.

Avez-vous une anecdote relative à cet album ? Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Je n'ai pas d'anecdote qui me vient, là comme ça. Mais actuellement, je commence à dessiner une histoire que j'ai écrite, une longue histoire (240 planches prévues) de vampire dont le personnage, s'il vit en France, est suédois et s'appelle Gunnar. Je l'avais écrite avant de relire Le Meunier hurlant, et j'ai prénommé mon héros vampire “Gunnar”, car je trouvais que Gunnar le vampire sonnait bien. Et puis voilà que le héros du Meunier hurlant s'appelle Gunnar Huttunen ! Était-ce une réminiscence ? J’avais lu Le Meunier hurlant une première fois des années avant ! Toujours est-il que j’ai gardé “Gunnar” pour mon vampire, et rebaptisé le meunier “Agnar”. Il fallait que ça finisse en “ar” pour que les gens continuent de l’appeler “Nanar”, important ça, car cela impliquait une familiarité à double sens, à la fois affectueuse et un peu dédaigneuse et méprisante. Voilà, ça me fait penser qu’un jour, il faudrait que j’aille faire un tour dans les contrées scandinaves, pour voir un peu. Ça serait une idée, ça, tiens, pourquoi pas ! J’en ai pour un moment à dessiner ces 240 planches de Gunnar le vampire. Une saga : un vampire-couturier qui vit en Bourgogne au début du ⅩⅩe siècle, qui a presque mille ans, avec des flash-backs, plusieurs époques, du drame, de la romance, de l’humour, du sang, et une bonne dose de délires et d’absurde aussi, tout cela, j'espère, dans le respect de la tradition du mythe ! Vivement les vacances dans deux ans !

Le 3 mars 2024