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Interview de Niko Tackian, à propos de Traqueurs d'âmes

Couverture de la BD Traqueurs d'âmes, Premier contact

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Traqueurs d'âmes, parue aux éditions Jungle, en lisant l'interview de son scénariste, Niko Tackian.

Quel a été le point de départ de la série Traqueurs d'âmes ?

Franck Thilliez m'avait parlé de la Brigade des cauchemars et de la volonté des éditions Jungle de s'associer à des auteurs de thrillers pour créer des univers en BD jeunesse. Il se trouve qu'au même moment, mes garçons avaient onze ans et se trouvaient être totalement la cible de ce type de récit. J'ai donc décidé de revenir à mes premiers amours en proposant Traqueurs d'âmes.

Est-ce que l'écriture d'un scénario d'une BD, comme Traqueurs d'âmes, diffère de l'écriture d'un épisode d'un feuilleton TV comme Alex Hugo dont vous êtes co-auteur ? Le schéma narratif diffère-t-il, ou reste-t-on classiquement dans les deux cas dans un schéma quinaire ?

Totalement. D'abord au niveau de la contrainte. Un scénario, que ce soit pour la télé ou le cinéma, est très technique, avec un cahier des charges précis. On est tout sauf libre. En BD, la seule contrainte réelle est le format de l'album. Avoir 46 ou 54 planches pour raconter une histoire, c'est peu. Ça nécessite de savoir gérer l'ellipse et c'est la particularité narrative de la BD. Mais au-delà de ça, on peut tout raconter. Bien entendu, la BD est aussi une association de talents, l'histoire et le dessin. Il faut que les deux fonctionnent ensemble.

Si les dessinateurs doivent livrer un objet fini, les scénaristes ne livrent pas tous un scénario sous la même forme au dessinateur. Certains livrent un sinopsys détaillé, laissant beaucoup de latitude et de création, y compris narrative, au dessinateur, d'autres scénarisent à la case et écrivent les dialogues. Comment vous situez-vous et comment travaillez-vous avec le dessinateur ?

Je livre découpage et dialogues tout en précisant bien au dessinateur qu'il est libre de changer ma mise en scène. Au début de ma carrière en BD, je livrai des scénarii ultra détaillés qui enfermaient le dessinateur dans un rôle de simple illustrateur tentant de concrétiser à l'image mes descriptions. Aujourd'hui, j'ai abandonné ça depuis longtemps. Je suggère, j'explique, je partage et le rendu visuel définitif est une vraie collaboration dans laquelle le dessinateur a toujours le dernier mot. C'est lui qui met en image tout ça, il faut qu'il soit à l'aise, heureux de faire vivre cet univers pour que la magie opère.

Quand un scénariste se lance dans une série, on peut logiquement imaginer qu'il a le scénario de la série en tête, avec la situation initiale correspondant au début du premier tome, et la situation finale correspondant à la fin du dernier tome.  Cela sous-entend donc de savoir combien de tomes comportera la série.  Est-ce une démarche juste logique (et indépendante de la réalité des lois de commercialisations des BD, voulant qu'un tome 1 se vende plus qu'un tome 2 et qu'un tome 2 se vende plus qu'un tome 3, etc.), et avez-vous décidé du nombre de tomes de la série ?

Au début peut-être… mais en ce qui me concerne, j'écris des histoires sur tous les supports depuis presque trentes ans. Je travaille au fil de l'eau. Une série BD met des années à voir le jour, il serait tellement réducteur de vouloir la visser de cette manière dès sa naissance. Bien sur je sais ou je vais, mais c'est juste un sentiment, une envie, en aucun cas je ne me laisse enfermer dans un schéma narratif strict. J'ai évoqué un minimum de trois tomes avec mon éditrice afin d'avoir l'espace suffisant pour créer cet univers. Et puis j'ai suggéré plusieurs cycles de trois tomes permettant de l'enrichir et de le déployer. Mais l'édition étant ce qu'elle est (et j'avoue que ça a peu changé en 30 ans), l'incertitude des ventes pèse toujours sur la suite des événements.

Traqueurs d'âmes, Premier contact est une histoire entière et le mystère de Théophile trouve sa réponse dans cet album, même si la fin du tome comporte un cliffhanger. Comment arrive-t-on, en finalement peu de pages, à développer une histoire "policière”, à la résoudre et parallèlement, à développer le fil rouge de la série, pour développer les personnages, tout en rendant chaque épisode complémentaire mais indépendant ?

Traqueurs d'âmes est une série à la fois bouclée (une histoire par tome) et feuilletonnante. Ce type de structure nécessite d'avoir un bon sens du rythme, notamment en déployant à la fois une histoire et un univers en peu de planches. C'est de plus un tome 1 donc il a la contrainte supplémentaire de devoir présenter les personnages. Bref, c'est délicat. Il faut bien mélanger les ingrédients, donner beaucoup d'informations sans perdre le lecteur, ni le rythme. Et puis c'est une série jeunesse, donc il ne faut pas oublier non plus son public.

Au terme de ce premier épisode, les personnages types sont en place, parmi eux, le gentil, l'allié, le traitre, et le méchant. Le tome 2 va-t-il faire entrer d'autres personnages récurrents à la série ?

Le tome 2 va surtout pouvoir présenter une nouvelle histoire de fantôme tout en développant l'univers et en enrichissant l'expérience du lecteur. L'exposition des personnages n'étant plus nécessaire, je vais pouvoir me lancer plus rapidement dans le vif du sujet.

En fin d'album on retrouve deux faux extraits de la Gazette de Ludendorf, et une fiche de la plante imaginaire “visaré”. Était-ce prévu dans le scénario, ou est-ce une idée de la dessinatrice, Soann ? Il n'y aurait pas eu la mention en dernière page que c'étaient des créations de la dessinatrice, le lecteur serait en toute logique en train de se poser des questions et pourrait croire à un cahier “historique”.

Non, c'est mon idée et c'était prévu dans le scénario. Ce genre d'informations permet de montrer que derrière les cases et les bulles, il existe tout un univers

Dans quelle “région” est situé Ludendorf, le nom fait penser à l'Allemagne, la tradition vampiresque sous-jacente fait penser aux Balkans, et sur la carte le lecteur peut voir de nombreux noms à consonances britanniques. Est-ce que sa situation a d'ailleurs une importance par rapport à l'histoire, et si non, pourquoi avoir mis une carte ?

La région de référence : les Carpates. Pas pour la référence à Dracula (bien que…), mais surtout pour ses paysages incroyables de forêts, ses vieux villages, sa culture. Après il y a également d'autres références, comme celle d'Insmouth de H.P Lovecraft. Et d'autres encore, bien plus cachées.

Où en êtes-vous de l'écriture de la suite de la série, et quel devrait être le calendrier de publication pour les deux prochains tomes ?

Pour être sincère, nous attendons le feu vert de notre éditeur pour nous lancer dans le tome 2. On souhaite donc que ce premier tome plaise au public (et aux libraires), avant de nous lancer dans la suite. Mais nous avions prévu à la base d'enchainer les tomes et le fait est que Soann est d'une rapidité déconcertante. Il ne serait pas impossible de voir un nouvel album avant l'été ou à la rentrée prochaine.

Avez-vous une anecdote relative à cet album, ou à la série ?

La sortie est toute jeune mais il se trouve que, comme je fais beaucoup de salons en tant que romancier, j'ai déjà croisé pas mal de public. Je me suis retrouvé sur un Salon, à Nantes, où une petite fille est venue me voir pour me "cuisiner”. Le cliffhanger de fin l'avait visiblement beaucoup intriguée et elle m'a fait un interrogatoire façon policier. J'avoue que ça m'a bien amusé (même si je n'ai RIEN dit).

Sur quoi travaillez-vous actuellement, en parallèle de Traqueurs d'âmes et quels sont vos projets futurs ?

Je viens de terminer mon roman 2024 qui sortira en mars, je bosse également avec Franck Thilliez sur un gros roman graphique qui sortira aux éditions Soleil ainsi que sur l'adaptation en BD d'Avalanche Hôtel (un de mes romans). L'année prochaine, il y aura également un jeu d'enquête Avalanche Hôtel, un jeu de rôle que j'écris, et plusieurs projets de longs métrages. Bref je m'occupe.

Le 27 octobre 2023