Interview d'Olivier Peru, à propos de Titans : Ariane

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Titans : Ariane, parue aux éditions Oxymore, en lisant l'interview de son scénariste, Olivier Peru.
Comment êtes-vous devenu scénariste ?
Avec beaucoup de travail et de passion, je crois que tout commence ainsi. J'ai toujours écrit et dessiné quand j'étais enfant et, surtout, j'ai toujours voulu raconter des histoires. Je savais, dès mon plus jeune âge, que j'en ferais mon métier. Du coup, je n'ai pas vraiment eu le choix puisque aucune autre vocation ne me tentait. En grandissant, je suis donc allé à la rencontre d'éditeurs jusqu'à ce qu'une porte s'ouvre. Ce qui a fini par arriver grâce à Thierry Mornet et Jean-Marc Lofficier qui officiaient alors chez Semic au début des années 2000. Puis, de petits projets en petits projets, j'ai pu apprendre le métier, gagner en expérience et signer un premier album… ce qui, en définitive, reste le plus dur à accomplir. Ensuite, quelques bonnes idées, beaucoup de travail (encore du travail), de la passion (toujours) et des rencontres m'ont permis de travailler sur de nouveaux albums et des séries qui ont eu la chance de marcher… Et voilà, j'étais scénariste. ;-)
Comment avez-vous rejoint l'aventure de la série Titans créée par Jean-Luc Istin et Sébastien Grenier ?
Je travaille avec Jean-Luc depuis plus de quinze ans et on a dû faire une cinquantaine d'albums ensemble. On communique constamment ; quand il pense à des idées de séries ou à de futurs projets, j'ai la chance de faire partie des premiers auteurs avec qui il en parle. Et j'embarque avec lui très souvent, pour ne pas dire à chaque fois, quand il part pour de nouvelles aventures, ce qui a été le cas avec Titans. Quant à Sébastien et à son énorme apport graphique sur l'univers, c'était la cerise sur le gâteau, qui a fini de me donner envie de travailler avec eux sur la série.
Pourquoi avoir choisi le mythe d'Ariane ? Comment vous est venu le procédé narratif du conte qui encapsule l'histoire d'Ariane, et pourquoi avoir choisi ce biais ?
Quand Jean-Luc et Sébastien ont construit l'univers et développé les quatre actes de la série ainsi que leurs personnages respectifs, ils ont élaboré des pitchs en créant des antagonismes entre nos héroïnes, des titans et des dieux. Le nom d'Ariane est sorti du chapeau durant cette phase. J'ai alors parlé à Sébastien et Jean-Luc de l'idée de travailler sur un récit racontant ce qui aurait pu se passer pour Ariane après l’histoire de son célèbre fil. Tous deux ont aimé ce point de départ et m'ont laissé développer l'album en jouant sur ce qu'on croit savoir au sujet d'Ariane et ce qui s'est vraiment passé pour elle (dans notre univers du moins). J'ai donc lancé l'histoire en focalisant l'attention sur notre héroïne et sur ce qu'elle vit environ dix ans après son « moment de gloire mythologique ». Et je lui ai aussi inventé un frère hypothétique pour en faire le narrateur de sa tragédie. Cela permet quelques pirouettes narratives, car ceux qui racontent l'histoire peuvent s'arranger avec la vérité, et ainsi emporter les lecteurs et les surprendre en trichant juste ce qu'il faut. ;-)
La mythologie crétoise est une partie à part dans la mythologie grecque et vous avez pris un malin plaisir à entremêler ces deux univers. Quelles furent vos inspirations et les limites que vous vous étiez fixées pour créer ce scénario ?
Mes inspirations sont des plus classiques et ne vous surprendront guère. J'ai re-regardé quelques films avec de beaux décors antiques et de bons dialogues (Troie, 300, Le choc des titans (la version originale, quel chef-d’œuvre !) et relu quelques contes mythologiques que je connaissais finalement plutôt bien. J'ai aussi fait beaucoup de recherches pour être certain de maîtriser la géographie crétoise et grecque, ainsi que pour approfondir les généalogies et les détails de la vie supposée de certains personnages. Rien de révolutionnaire au niveau des inspirations. Quant aux limites, je ne crois pas m'en être fixées ici, car l'histoire a vite trouvé sa propre logique et un ton qui fonctionnait bien, entre l'oralité parfois la plus crue et le ton solennel du conte. Cette musique a pris vie toute seule et j'ai travaillé en veillant à la cohérence du récit plutôt qu'en pensant aux contraintes de l'univers.
Comment avez-vous travaillé le scénario ? Faites-vous un synopsis, puis un plan, etc. ?
Pour cet album, je me suis appuyé sur le point de départ de Jean-Luc et Sébastien et j'ai travaillé sur un premier synopsis de l'histoire en développant quelques lignes sur toutes les scènes de l'album jusqu'à son grand final. J'ai aussi dû y esquisser les dialogues et développer des idées importantes. Après un retour de Jean-Luc et Sébastien, j'ai ajusté quelques détails sur cette première phase, puis j'ai produit les premières pages dialoguées afin de trouver le bon ton. Je crois me souvenir que Jean-Luc avait aimé ces pages mais qu'il trouvait que parfois mon narrateur parlait trop et trop bien (quelques lignes de dialogues sonnaient comme un vieux péplum, selon lui). J'ai alors ajusté tout ça, trouvé une voix plus directe et efficace à notre conteur et l'aventure était lancée. À partir du synopsis, j'ai ensuite découpé le récit en grandes scènes, attribué un nombre de pages plus ou moins conséquent à toutes ces scènes en fonction de leur importance (tout en gardant une marge de manœuvre) et j'ai pu avancer sur la version découpée et dialoguée du scénario.
Comment avez-vous été mis en contact avec Andrea Cuno, qui signe le storyboard, et comment avez-vous travaillé avec lui ?
Jean-Luc est un véritable chef d'orchestre, et c'est souvent lui qui cherche à monter les bonnes équipes et qui rassemble les auteurs autour des projets. Ce qui a été le cas ici. Andrea et moi avons donc fait connaissance par mail en travaillant sur les boards de ce tome 3. Notre méthode de boulot était des plus simples : après lecture du scénario découpé et dialogué, il nous proposait des storyboards détaillés et nous ajustions la mise en scène en fonction de ce qui nous paraissait le plus pertinent. Les premières pages nous ont servi à faire des réglages, ainsi que je l'avais fait moi-même sur les dialogues, puis l'histoire a aussi pris vie entre les mains d'Andrea. Il a fait un excellent et très pointilleux travail pour s'imprégner du récit et suivre nos directives afin d'aller chercher un maximum d'impact graphique. J'ai été ravi de le découvrir sur cet album et, depuis, nous nous sommes retrouvés sur un nouveau projet.
Est-ce différent de travailler avec un storyboarder par rapport à un dessinateur comme Umberto Giampà, et l'un empêche-t-il l'autre ?
D'un point de vue formel, à quelques détails près, j'écris toujours mes scénarios de la même manière, je fournis donc le même matériau de base à l'artiste ou à l'équipe avec qui je dois travailler. Une grande partie de mon boulot est donc souvent concrétisée avant la phase graphique. En revanche, c'est dans le suivi et l'avancement du projet que les choses changent. Si nous avons un storyboarder, nous échangeons beaucoup avec lui pour élaborer de bonnes pages, à la fois spectaculaires et justes, qui aideront le dessinateur à transmettre un maximum d'informations et d’émotions par la suite. C'est un vrai « plus » d'avoir un storyboarder à bord, car on peut vraiment ne se concentrer que sur le storytelling avec lui et enlever de la pression au dessinateur qui peut alors se donner à fond sur l'interprétation et les détails. Certains artistes qui prennent goût à cette mécanique de travail en duo graphique en deviennent même meilleurs. Quant à moi, j'avoue que je retravaille souvent des détails dans mes scripts une fois que je découvre les storyboards.
Combien de temps vous a demandé l'écriture du scénario et combien de temps a demandé l'album au total ?
En général, je travaille toujours mes scripts en trois ou quatre phases d'écriture. Durant la première phase, qui prend souvent un bon mois, je développe le synopsis, les personnages et j'écris les dix ou quinze premières pages, pour me mettre dans l'ambiance, pour ainsi dire. Ensuite, je fais une petite coupure et j'attends de voir avancer le dessinateur, car j'aime bien rebondir sur ce que proposent les artistes. Quand on commence à avoir les premières pages, je me lance alors sur la suite. J'écris souvent une quinzaine de pages de script avant de faire un nouveau break sur l’univers, puis, quand je sens que j'ai rassemblé toutes les idées dont j'ai besoin, je me lance sur le final. Chaque phase d'écriture prend une à deux semaines environ, donc en tout, je dirais que je passe environ deux mois sur chaque scénario, mais qu'il s'écoule parfois bien plus de temps entre le début et la fin de l’écriture. Quant à la durée de réalisation de tout l'album, entre les premières lignes, le board, le dessin et les dernières touches de couleur, je dirais que toute l'équipe a passé un peu plus d'un an sur ce projet.
Avez-vous une anecdote relative à cet album ?
Une anecdote mignonne, mais sur le tome 1. Je refuse, pour l'instant, à ma fille de 10 ans le droit de lire la plupart de mes BDs (qui sont parfois très dures au niveau des thèmes). Mais, quand j'ai reçu un exemplaire du T1 de Titans, je l'ai laissé traîner et ma fille s'est empressée de le lire en me disant ensuite et en toute innocence qu'elle pensait que j'étais ok puisque j'avais laissé l'album en évidence. Elle a évidemment adoré et devinez quoi, elle a trouvé que c'était pas si « dur » et qu'il était temps que je lui laisse lire mes BD ! Et depuis, j'avoue, je lui ai laissé lire le T3 aussi. :-)
Au verso de l'album, le lecteur peut voir qu'un quatrième tome est prévu, avec Gihef au scénario et Zivorad Radivojevic au dessin. Y a-t-il un album ultérieur de la série dont vous signerez le scénario ?
Ce n’est pas prévu pour l'instant. Jean-Luc et Sébastien ont pensé la série en 4 tomes. J'ai ouvert le bal avec le T1 et Gihef le fermera avec le T4.
Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
Je viens de plonger dans un autre univers créé par Jean-Luc (et le talentueux Bertrand Benoît) : West Fantasy. J'avais déjà écrit le tome 4 du premier cycle et je suis en train d'avancer sur le tome 8 ces jours-ci, avec le fabuleux Simone Buonfantino au dessin. Et toujours avec Jean-Luc et l'équipe du Monde d'Aquilon, chez Soleil, je travaille sur les prochains Orcs & Gobelins et quelques surprises qui feront suite aux Guerres d'Arran, mais dont je ne peux encore rien révéler. :-) Et pour les amateurs de littérature fantasy, je suis aussi très content de sortir cette année, chez J'ai lu, le troisième et dernier tome de ma série de romans Martyrs (une série commencée il y a plus de 10 ans).
Le 29 mars 2025