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Interview de Pain(t), à propos du Bon, la brute et les schtömeuls

Couverture de la BD Le Bon, la brute et les schtömeuls

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Le Bon, la brute et les schtömeuls, parue aux éditions La Valtynière, de la en lisant l'interview de son auteur, Pain(t).

Comment est née l'idée du Bon, la brute et les schtömeuls ?

Je commence toujours un nouveau projet de la même façon : j'ai une envie, une idée, une situation de départ simple qui pourrait devenir l'embryon d'un scénar et je dessine la première planche sans pression, simplement. Ensuite, alors, je sais si j'ai envie ou non de continuer l'histoire. Parfois, je dessine juste la première page, des fois quelques-unes seulement. Pour Le Bon, la brute et les schtömeuls, j'ai d'abord eu envie de dessiner un paysage désolé, de type western. Ensuite, je me suis dit qu'un chariot collait à ce décor. Enfin, j'ai installé sur celui-ci deux personnages. Je me suis dit que cela pouvait être deux frères, sans trop savoir pourquoi ils étaient là dans un premier temps. Cela m'a plu et une fois la première planche terminée, je ne me suis plus arrêté jusqu'à la fin.

Le Bon, la brute et les schtömeuls fait plus de 180 planches. Avez-vous scénarisé l'album puis fait un storyboard, chapitre par chapitre, ou y êtes-vous allé au feeling ? 

Tout comme j'aime être séduit par le début d'une histoire qui me motive, j'aime tout autant être le premier lecteur de ma bd. Je ne dirais pas que c'est improvisé, car, une fois les personnages et leurs problématiques posés, j'ai assez vite en tête le fil narratif. Ensuite, j'avance par paquet de 5/10 pages. J'entrouvre des portes narratives que je referme ou non plus tard, mais qui me permettent de rebondir ultérieurement de manière plus simple. Cela impose de se relire fréquemment, de vérifier les cohérences dans les situations ou les dialogues. Mais c'est justement cela que j'aime particulièrement dans cette façon de procéder : je reste en permanence actif non seulement sur le dessin, mais aussi sur le scénario. J'ai tenté sur d'autres projets d'écrire entièrement tout le scénario et les dialogues avant de storyboarder puis de dessiner les planches. Mais ceci était bien trop laborieux pour moi. J'avais l'impression de revivre trois fois la même histoire, si bien que l'envie et la motivation chutaient entre l'écriture du scénario puis le storyboard, et encore plus au moment crucial du dessin des planches… Je suis donc naturellement revenu à un procédé plus aventureux, mais bien plus palpitant pour moi ! Je pense même que cette façon de faire rend la BD finale plus vivante, car justement, j'ai pris du plaisir à chaque page.

Le titre fait référence au film de Sergio Leone. Est-ce parce que Le Bon, la brute et les schtömeuls est un western et que vous êtes fan de ce film, ou est-ce pour une autre raison ?

Ce projet s'appelait au départ Fraternité et infestations. Ce titre m'est venu très vite. J'avais envie d'un titre qui joindrait deux mots n'ayant a priori rien à voir, à l'instar de Cuisine et dépendances de Jaoui et Bacri. La fraternité faisait bien sûr référence au lien qui unit les deux frères protagonistes, Raz et Balthazar, mais aussi à la fraternité dans un sens plus large, sur l'acceptation des autres et l'entraide (symbolisées par la relation entre Balthazar et l'indigène qu'ils rencontreront). Les infestations, annonçant les difficultés tapies derrière ce récit, étaient multiples. Les deux frères s'implantent en territoire inconnu, mais en réalité occupé par des bestioles, les schtömeuls, mais aussi tout un peuple indigène. Ces fameux schtömeuls, en réponse, vont s'attaquer au fort des deux frères. Raz, l'aîné, tentera ensuite d'imposer sa culture et sa vision du monde lors de leur visite au village indigène. Enfin, sans trop en dire, l'infestation virale conclura le récit. Il y a donc de multiples tentatives d'envahissement ou d'anéantissement croisés que j'ai voulu retranscrire avec le terme “infestations”. Malheureusement, ce titre était un peu trop étrange et sibyllin. J'ai donc cherché un nouveau titre plus évocateur, plus punchy. L'idée de détourner le nom d'un western nous est venue avec un ami dessinateur. Plusieurs idées ont fusé assez vite et Le bon, la brute et les schtömeuls s'est imposé. On n'est pas passé loin de Pour une poignée de schtömeuls !

L'une des originalités du Bon, la brute et les schtömeuls est que la quasi entièreté de l'album est dessinée en silhouettes noires, sans nuances de colorisation, vous imposant de jouer sur des formes de personnages très variées. Comment ce choix s'est-il imposé et a-t-il précédé l'idée de l'histoire ?

J'avais envie de simplifier mon trait à l'extrême pour laisser un maximum de place aux dialogues, qui sont mes péchés mignons : j'aime les ciseler, les remodeler, me mettre à la place des personnages et jouer les scènes dans ma tête. Au départ donc, les silhouettes se sont imposées : simples, efficaces et malgré tout suffisamment expressives. Il a fallu tout de même trouver des signes distinctifs nets entre les différents personnages pour éviter toute confusion (d'où cette profusion de chapeaux en tout genre). Au final, comme bien souvent dans tout ce que j'ai pu tester en BD, cette contrainte est devenue une force motrice tant au niveau narratif que graphique, les contraintes forçant à tenter d'autres choses, à se mettre en difficulté. Dans la même idée que le scénario se déroulant devant moi au fil des pages, le fait de s'entraver graphiquement, de ne pas rester dans l'aisance, me permet de rester éveillé et novateur sur mes projets.

Vous utilisez un gaufrier de 15 cases carrées par planche, avec certaines variations, comme les pages 64-65 où vous avez inséré des photos (?) hyperpixelisées. Ou encore, page 60, avec le gaufrier qui représente la silhouette de Raz. Ces variations sont-elles des choix esthétiques, pour rompre la monotonie, ou témoignent-elles d'une envie de jouer avec le support ?

Les deux. Le choix des silhouettes entériné, je me suis assez vite rendu compte que sur un récit au long cours, je devais insérer des variations pour casser la monotonie (mais aussi pour me faire plaisir !). Ces variations ont donc eu lieu sur la taille des cases faisant valser le gaufrier répétitif, mais aussi sur leur traitement graphique (l'utilisation abusive de trames, le détournement de tableaux, voire des cases dessinées de manière plus « classique »). De nombreuses illustrations pleines pages, à la façon de l'illustrateur russe Bilibine, apportent des respirations dans le récit. J'ai également fait participer des amis dessinateurs et mes filles sur certaines cases. Tout ceci a permis de donner du relief graphique aux pages, rendant d'autant plus saisissants les passages de cases itérées.

Quel message avez-vous souhaité faire passer dans cette bande dessinée ?

Je ne suis pas trop le genre à vouloir faire passer des messages… J'aime plutôt travailler sur les personnages, exagérer leurs caractères (surtout leurs défauts), trouver des situations et des dialogues comiques. Évidemment, il y a toujours un contexte. Au-delà d'un message, je dirais qu'il y a plutôt un thème. Comme je l'expliquais précédemment, ici, il s'agit de mettre en opposition la fraternité avec tout l'amour de l'autre que cela signifie face aux infestations, aux envies de détruire, d'envahir, de s'imposer face à l'autre.

Page 62 Balthazar dit : « Schtömeuls… » et Raz lui répond : « C'est chiant quand même ce nom… ». D'où vient ce nom ?

“Schtömeul” vient d'un sketch du Palmashow, parodiant Ikea. Mes filles et moi avions adoré ce mot et l'utilisions dans la vie de tous les jours. C'est resté et j'ai ensuite naturellement appelé les bestioles de cette BD ainsi. En réalité, il y a pas mal d'expressions ou d'anecdotes liées à des moments de famille et des rigolades à la maison dans ce projet. Je crois que mes filles sont les personnes avec qui je rie le plus et c'est une source d'inspiration inépuisable. Concernant la remarque de Raz sur ce nom chiant à prononcer, c'est tout simplement son côté sarcastique qui ressort. Il n'apprécie pas ce nom aussi parce que c'est celui que les indigènes ont donné et il veut à tout prix s'en démarquer.

Si le langage, assez grossier des personnages, témoigne d'une réalité dans la vie dans certains échanges, c'est une réalité peu présente en bande dessinée. Pourquoi avoir fait le choix de multiplier les tournures du style “putain, bougre de cul, chiant”, et j'en passe ?

Je n'ai jamais bien compris pourquoi le langage grossier ne devait pas apparaître en BD… Comme si on continuait de cantonner la BD aux enfants. Je suis d'un avis contraire, bien entendu. On ne se pose pas la question dans les films ou les romans, pourquoi en BD ? Sur mes premières BD, je suis resté dans cette tradition de la BD “lisse”, tout public, en évitant un maximum les jurons. Certaines bonnes BD m'ont décomplexé par rapport à ça (je pense notamment à l'excellent Georges Clooney de Philippe Valette). En partant du principe qu'une BD n'est pas spécialement dédiée aux enfants, je ne me sens pas contraint de devoir en adapter le vocabulaire. D'autant que là, c'est justement celui du personnage du grand frère Raz (qui est finalement une de mes facettes) en opposition au caractère lisse et poli de son petit frère Balthazar (qui peut être une autre de mes facettes d'ailleurs…). Comme je me mets à la place de mes personnages en permanence, c'est finalement assez logique et naturel pour moi qu'ils s'expriment ainsi.

Comment travaillez-vous le dessin ?

Tous mes dessins sont dessinés à la main en traditionnel. Je finalise ensuite les planches sur ordinateur (retouches, ajout de trames, de textes).

Combien de temps vous a demandé la réalisation de cet album ?

Il m'a fallu environ 2 ans et demi. Je suis enseignant, donc je dessine à mon rythme les soirs et les weekends.

Avez-vous une anecdote relative à ce livre ?

Comme l'imposait la contrainte graphique du départ, il n'y a aucun visage dans tout l'album. Les personnages sont reconnaissables simplement par leurs silhouettes ou vêtements. Mais il y a une seule case sur les 180 pages où un visage apparait, celui de Tovolaha, la fille du chef indigène dont tombera amoureux Balthazar. Ce dessin a été fait par mon ami et excellent dessinateur Michaël Ribaltchenko auteur de Poussières et du Royaume suspendu, aux éditions Akileos.

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Je suis actuellement sur un nouveau projet utilisant le même procédé graphique en silhouettes, mais avec l'ajout de couleurs. J'avais envie de faire progresser ce type de dessin et travailler la couleur me plait beaucoup. Cette BD s'intitule « La Forêt cache les arbres aussi ». C'est l'histoire d'un navire espagnol perdu à l'époque des conquistadors. Un curé, un indigène (encore) et un soldat s'associent pour le retrouver, ainsi que sa cargaison inestimable. J'en suis actuellement à une quinzaine de pages, visibles au fil de l'eau sur mon Instagram (lionel_paint).

Le 16 janvier 2024