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Interview de Piero Macola, à propos du Passeur de lagunes

Couverture de la BD Le Passeur de lagunes

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Le Passeur de lagunes, parue aux éditions Futuropolis, en lisant l'interview de son dessinateur, Piero Macola.

Comment avez-vous rencontré Christophe Dabitch ?

Nous avions travaillé ensemble pour un volume collectif paru chez Futuropolis1, il y a quelques années. Il s’agissait d’un livre en collaboration avec Amnesty International, avec plusieurs reportages que Christophe avait écrits. J’en avais dessiné un. Nous sommes devenus amis à cette occasion. 

Dans les remerciements Christophe Dabitch écrit : « Je remercie (Piero) pour son invitation à venir imaginer ensemble une histoire à Venise. » Comment s'est déroulé cette phase de construction et de visite de la lagune ? Aviez-vous déjà une idée de départ pour le scénario ?

C’était en 2016, nous avions échangé des mails, évoquant l’idée de travailler ensemble sur un livre, dont l’histoire pouvait se passer à Venise. C’est la ville où je suis né et j’ai grandi. Je vis maintenant en France depuis plus de vingt ans. En 2016, je me préparais à partir à Venise pour y passer une année (j’y suis retourné entre 2017 et 2018). Dans un des mails à Christophe, j’avais lancé cette idée de départ : « … On ne voit pas Venise, on ne la reconnaît pas. On voit juste une lagune, des îles à moitié abandonnées. C'est l'histoire d'un gamin. Son père meurt, il était passeur de clandestins. Le gamin se met en voyage, sur une barque. Une petite odyssée. Il fait des rencontres, traverse des épreuves. Son but : franchir la frontière… » Pendant l’année 2017/18, Christophe est venu me rendre visite à plusieurs reprises. Nous avons fait des tours en barque, je lui ai montré les endroits que j’aime de la lagune, d’autres, nous les avons découverts ensemble. Au cours de ces balades, nous discutions de l’histoire que nous imaginions et nous cherchions des idées. Après ce travail de repérage, Christophe a commencé à écrire…

Christophe Dabitch remercie la barque de vos parents « qui nous a menés bien loin dans les méandres de la lagune. » Est-ce que l'univers des lagunes est un univers que seuls les habitants et les natifs connaissent réellement ?

La lagune de Venise est peut-être mon paysage préféré, je la parcours depuis l’enfance, j’y ai toujours projeté des histoires, des aventures. C’est un territoire vaste, un mélange de terre et d’eau. C’est assez labyrinthique, il y a plein d’endroits perdus, d’îles abandonnées…

Comment avez-vous travaillé avec Christophe Dabitch ?

Au départ, comme je l’ai dit, nous avons cherché les idées ensemble. Ensuite, Christophe a écrit un scénario. Il a développé l’intrigue, il a donné une forme à l’histoire, il a ajouté des personnages. À partir du texte de Christophe, j’ai fait un découpage. Rapide mais lisible. Pour avoir une vision d’ensemble et trouver un rythme dans les images. Ce découpage nous a servi de base de discussion au fur et à mesure que j’avançais dans la réalisation des planches. Il fallait que le récit, que nous avons imaginé dans un futur proche, soit crédible. Alors, jusqu’à la fin, nous avons échangé ensemble et modifié des choses. Parfois on coupait ou on déplaçait des parties, parfois on développait des personnages. Le final, par exemple, nous l’avons modifié à plusieurs reprises.

L'album oscille entre la tension scénaristique et la douceur de vos aquarelles. Est-ce un choix posé sciemment, ou est-ce votre façon de faire habituelle ?

Pour moi, c’était important de bien rendre le paysage de la lagune. Je voulais qu’il soit très présent. Aussi, je voulais absolument échapper au pittoresque dans la représentation de Venise.  Je n’avais jamais utilisé l’aquarelle, une histoire avec beaucoup d’eau me semblait bien s’y prêter. Avec Christophe, on s’était dit qu’il fallait éviter le côté « joli » de l’aquarelle. Le récit devait être tendu, c’est une histoire dure dans laquelle, c’est vrai, le traitement du dessin emmène un peu de douceur, ou plutôt une dimension contemplative.

Il y a, comme nous venons de l'évoquer, votre travail d'aquarelliste, mais le dessin du Passeur de lagunesne se résume pas à la mise en couleur. Comment avez-vous travaillé le dessin ?

À partir de mon découpage, je fais un crayonné, à peu près en format A4. En général, j’avance sur des séquences de trois pages. J’ai toujours à l’esprit qu’en bande dessinée, une case doit fonctionner dans le rythme de la page, voire de la double page. Je gomme énormément, avant d’arriver à des cadrages et des compositions qui me semblent tenir. Ensuite, je fais un encrage très léger. En dernier, beaucoup de travail est fait à la couleur, pour définir les volumes, la profondeur de l’image, la lumière… Je refais très souvent les dessins, essayant que le côté laborieux ne transparaisse pas trop.

Combien de temps vous a demandé le dessin de l'album ?

J’ai commencé le découpage en 2019, j’ai fini l’album en mai 2023. Je n’y ai pas travaillé quatre ans à plein temps, mais je dirais que les trois-quarts de mon temps y était consacré.

Avez-vous une anecdote relative à cet album ?

Un jour d’été, il faisait très chaud, avec Christophe, nous avons débarqué sur une île, au nord de la lagune. L’endroit était très beau, on aurait voulu y faire un tour. Tout de suite est arrivé un monsieur, à l’allure de garde du corps. Il nous a dit que c’était une île privée. Pour ne pas répartir tout de suite, j’ai dit à Christophe de faire semblant de souffrir d’un coup de chaleur, et j’ai demandé au monsieur si on pouvait rester quelques minutes à l’ombre des arbres et avoir un peu d’eau. Il nous a permis de rester un peu, sans jamais nous quitter du regard. C’est aussi ce type de rencontres qui a nourri le récit.

Sur quoi travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?

Les derniers mois, j’ai travaillé sur plusieurs commandes d’illustrations : des couvertures de livres, des livres illustrés…Pour l’automne, je dois dessiner un album illustré pour la jeunesse. Ensuite, il est prévu que je reprenne la bande dessinée, sur un nouveau scénario de Christophe.

1 Être là avec Amnesty international, 2014

Le 29 juin 2024