La Mouette hurlante Le webzine spécialisé dans les interviews d'auteurs de BD et de romans graphiques

Interview de Pierre Alary, à propos de Gone in the Wind

Couverture de la BD Gone in the Wind, tome 1

Découvrez les coulisses de la bande dessinée Gone in the Wind, parue aux éditions Rue de Sèvres, en lisant l'interview de son auteur, Pierre Alary.

Pierre Alary, qu'est-ce qui vous a donné l'envie d'adapter le livre de Margaret Mitchell ?

La curiosité. Je venais de terminer Don Vega, une variation de Zorro, et je voulais rester dans le XIXe siècle aux États-Unis. J'ai alors pensé à Autant en emporte le vent. Comme à chaque fois, pris à la gorge par le temps, je me suis lancé dans la lecture du livre, en espérant qu'il y avait quelque chose à en faire, car je le lisais en cherchant du boulot, et qu'il faut se taper les 1000 pages ! Les deux personnages principaux sont géniaux, et le livre n'avait pas encore été porté en BD. J'ai alors travaillé sur l'adaptation, car je ne voulais pas reprendre les mots de l'auteur.

C'est un peu avec surprise, qu'à la fin de la lecture du tome, on découvre les mots « À suivre… », alors que rien n'indique sur la couverture qu'il s'agit d'un tome 1, hormis le chiffre 1 sur la tranche. En combien de tomes, la série est-elle prévue ?

La série est prévue en deux tomes. J'avais demandé à l'éditeur de mettre tome 1, sur la couverture, mais il parait que ça ne se fait pas, car cela peut décourager les lecteurs. Je me demande comment ils vont faire pour différencier les deux tomes au niveau de la couverture.

Pourquoi avoir choisi de sortir la bande dessinée avec son titre anglais plutôt que celui français, Autant en emporte le vent ?

Le titre français appartient à Gallimard, et ils n'ont rien voulu savoir. Et finalement, ce n'est pas plus mal, puisque je l’ai adaptée de la version originale, pour une question de droit notamment. Mais il ne faut pas qu'on pense que c'est une variation comme il y en a eu beaucoup autour de Scarlett.

L'album comporte 137 planches, combien de temps avez-vous mis pour les réaliser ?

Comme je dis souvent, je suis une belle affaire pour les bookeurs. Je m'étais donné deux ans par album, car on a un budget. Pour le premier tome, j'ai même mis un peu moins. Ça sera plus compliqué pour le second qui sera plus dense et comportera plus de pages.

Où se termine, par rapport au roman de Margaret Mitchell le premier tome ?

Le tome 1 se termine un peu après la moitié du roman. Tout le découpage du second tome est terminé. Il fera 150 pages. J'ai abrégé pour adapter et non par obligation.  J'ai lu et relu, en remplissant des carnets de notes, avec des post-it dans tous les sens. À la relecture, on fait des rapprochements, pour recouper les informations. Quand je vois à peu près le nombre de pages, à partir de là, je fais mon pré storyboard.

Vous avez utilisé l'informatique pour réussir à boucler en moins de deux ans un tel album à vous tout seul ?

J'ai encré à la main, puis, j'ai travaillé sur ordi, et je fais évoluer les personnages. Il y a un côté pratique, qui permet de faire des allers-retours. Je peux ainsi continuer d'empiler des calques sur Photoshop. Je bosse beaucoup en amont sur les recherches, pas du dessin, car j'ai l'impression de perdre ma vie, mais les documents, les couleurs, que je classe par thèmes, par page, par séquences, ce qui me permet d'avoir les éclairages, les costumes, ou les décors. Le moindre fauteuil qui est dans la BD date d'avant 1865, j'essaye d'être très précis, même si le dessin est en partie hors cadre, mais je souhaite être fidèle le plus possible. Sur de tels projets, on est confronté à ses limites. Je sais que j'ai mes limites en dessin, mais j'ai la satisfaction d'avoir le sens de l'organisation.

Beaucoup de gens rêveraient d'avoir vos limites en dessin…

Et moi, je rêve des limites d'autres. Comme celles de Denis Bodart, qui a un super talent, et qui a été mon seul correspondant sur ce projet. J'écoutais, ou pas, mais il m'a sorti des dessins qui m'ont permis de repousser mes limites et d'ouvrir des fenêtres. Quand une idole vous donne un coup de main, c'est une grande aide et un plaisir, même si ça fait mal, car on est encore plus confronté à ses limites. Parfois, un simple crobard est une clé de 12 dans la gueule.

Sur une histoire aussi connue, notamment par le film de Fleming, comment fait-on pour donner un visage aux différents personnages sans se laisser influencer ?

Rhett Butler est précisément décrit dans le livre, il est censé avoir 35 ans, même si Clark Gable en avait plus. Pour Scarlett, j'ai fait justement avec mes limites. Elle est censée avoir 16 ans dans le livre, mais je me voyais mal dessiner une gamine, je l'ai située dans la vingtaine, avec un nez pointu, car c'est toujours mignon et que ça accentue le côté mutin. Scarlett n'est pas facile à décrire, d'ailleurs dans le livre la première phrase est « Scarlett n'est ni très belle, ni très moche. » Il ne fallait pas trop coller non plus à Vivien Leigh, pour pouvoir la faire évoluer sur 300 pages.

Comment arrive-t-on à faire évoluer un personnage graphiquement, de manière quasi imperceptible de planche en planche, alors que lorsque l'on regarde le début et la fin de l'album, on voit une vraie différence et un réel vieillissement ?

Je ne sais pas. Elle vieillit, mais reste jeune quand même à la fin du livre, mais elle a tellement travaillé, et s'est épuisée, qu'elle a pris quinze en quelques années. Je me demande souvent si on voit si les personnages vieillissent. On creuse une joue, mais, après il faut s'y tenir, et c'est compliqué avec un style comme le mien, car je suis vraiment à dessiner dans la ligne. Pour Mon traitre, j'étais plus sorti de ma zone de confort pour montrer ce vieillissement et des personnages.

Depuis Mon traitre, parut en 2018, dans la plupart de vos albums, comme Retour à KillyBegs, Don Vega, ou encore Gone in the Wind, vous signez le scénario, le dessin et la colorisation. Est-ce un hasard, ou une orientation dans votre parcours ?

C'est un peu des deux. J'ai des envies de choses à dire. J'aime faire des choix avec des messages sous-jacents, et je n'ai pas eu de proposition dans ce sens-là. Et je pars du principe qu'un bon livre peut faire une bonne BD. Il faut juste respecter l'œuvre en y insufflant quelque chose de personnel. Pour Mon traitre, je voulais garder les mots de Sorj. J'ai juste coupé des passages. Pour Gone in the Wind, c'était un vrai travail d'adaptation, il a fallu trouver les parties fortes et y insuffler ce que j'avais envie d'y mettre de personnel, comme de remplir les trous qui m'avaient perturbé en tant que lecteur, notamment autour de la mère. J'ai tiré sur le fil, avec la lettre, qui est une sorte de mantra lien avec la mère de Scarlett. Sa mère, qui est un peu le point zéro de la nouvelle femme, et Scarlett le point deux. Scarlett hérite du caractère de sa mère, qui était une femme très forte et en avance sur son époque. En fait, c'était plutôt les hommes qui étaient en retard.

Comment pensez-vous que cette adaptation va être accueillie par le public ?

Je suis assez curieux des retours que je vais avoir. Il devrait y en avoir de trois sortes. Ceux qui n'ont ni vu le film ni lu le livre et qui vont tout découvrir. Ceux qui ont lu le livre et qui vont devoir accepter les partis pris, et eux qui ont vu le film et qui vont être surpris. Dans le second tome, il y a un parti-pris plus politique, notamment autour du Ku Klux Klan, ce que Selznick avait refusé de faire. Pourtant au niveau dramaturgique, c'est très important. Scarlett de mon point de vue n'est pas la méchante femme blanche raciste que certains décrient. Ce n'est d'ailleurs pas un livre sur le racisme, mais la vie d'une famille, avec son époque, même si Margaret Mitchell se met dans la peau d'un narrateur du Sud, de l'époque.

Le 17 avril 2023